« Aux origines du surréalisme. Cendres de nos rêves » : le sens de ce titre, à la fois poétique et énigmatique, se dévoile au fil de la visite. Le visiteur qui attendrait de cette exposition qu’elle lui apprenne ce qu’est le surréalisme risquerait d’être déçu, car l’exposition n’est pas à proprement parler sur le surréalisme. Elle entend raconter l’histoire d’un groupe de quatre jeunes Nantais qui sont considérés, notamment grâce à la rencontre de Jacques Vaché avec André Breton, comme les précurseurs du mouvement. Le manifeste du surréalisme sera publié en 1924 par André Breton alors que le principal inspirateur de ce qui deviendra le surréalisme, est déjà mort depuis cinq ans. Elle entend aussi raconter l’histoire d’une génération dont les rêves se brisent avec l’avènement de la Première Guerre Mondiale. Au moyen de photographies, de dessins et de manuscrits originaux, l’exposition nous plonge dans l’atmosphère du début du 20ème siècle, grâce à un parcours chronologique retraçant d’abord leur rencontre, leur existence pendant la guerre et l’avènement du surréalisme.
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Jacques Vaché, Eugène Hublet, Pierre Bisserié et Jean Sarment font connaissance au Lycée de Nantes (actuel Lycée Clémenceau) et, animés par un même amour de la littérature et un même désir de renverser les valeurs de la bourgeoisie, forment le groupe des Sârs. Ce nom est un hommage à Joséphin Peladan, fondateur de l’ordre de la Rose-Croix qui se donnait ce titre autrefois attribué aux rois de Babylone. Issues de collections particulières ou de la collection de la Bibliothèque municipale de Nantes, des photos nous montrent des jeunes gens élégants qui cultivent des allures de dandys. Sous les brefs portraits qui retracent leurs origines familiales et indiquent leurs dates d’entrée respectives au Lycée de Nantes, figurent leurs nombreux pseudonymes, soulignant d’emblée leur goût du jeu et du détournement : Jean Sarment, de son vrai nom Jean Bellemère, prendra par exemple la plume sous le nom de Patrice Bellefille.
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Un peu plus loin, autour de leurs portraits agrandis, des photos nous dévoilent la ville de Nantes telle qu’ils l’ont connue et dans les rues desquelles ils ont faits les quatre cent coups, jouant des tours aux passants et se moquant d’eux. Sur la place Graslin, le bâtiment de l’actuelle Caisse d’Épargne abrite l’Hôtel de Nantes, devant lequel stationnent des calèches. L’exposition est donc également un moyen, pour certains visiteurs qui pourront s’en émouvoir, de (re)découvrir l’histoire de leur ville.
Entre 1913 et 1914, les quatre acolytes publient différentes revues : En route mauvaise troupe rédigé à la main, et publié dans une encre violette très pâle – la pâleur s’explique par le fait que l’exemplaire exposé est probablement l’un des derniers imprimés. Il n’en sortira qu’un seul numéro car l’article « Anarchie » déclenche un scandale dans la presse nationale et le renvoi temporaire de son auteur de l’établissement. Plus « professionnel », le premier numéro Le canard sauvage. Revue libre de critique et de littérature est tapé à la machine et présente une mise en page soigneusement étudiée. Dans Ce que les Sârs ont dit…, on trouvera la trace de leurs premières créations poétiques, ainsi que les prémisses de procédés littéraires qui seront ensuite utilisés par les surréalistes : l’écriture automatique et le cadavre exquis.
En 1914, à la fin d’un ultime regroupement avant que la mobilisation ne les sépare, Pierre Bisserié récolte les cendres se trouvant dans les cendriers du café de Trentemoult où ils se trouvent, les répartit dans des enveloppes et inscrit dessus : « Cendres de nos rêves ». Le geste est hautement symbolique.
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La guerre ne laisse que les « cendres de nos rêves »
Avec la guerre, le groupe se sépare, mais reste malgré tout en contact. Eugène Hublet mourra au front en octobre 1916, tué par un éclat d’obus. Au sein du groupe des Sârs, sa mort est tristement représentative des statistiques nationales : un soldat sur quatre partis au front pendant la Grande Guerre ne reviendra pas. En réalité, Jean Sarment, réformé pour des raisons médicales, ne partira pas dans les tranchées. Il réussira à entrer au Conservatoire de Paris et sera ensuite recruté au Théâtre de l’Odéon avant de partir promouvoir le théâtre français à Broadway, à la demande de Georges Clémenceau.
Pierre Bisserié et Jacques Vaché seront eux mobilisés et reviendront du front, mais pas indemnes. Marqué par les horreurs de la guerre, Pierre Bisserié deviendra après sa démobilisation morphinomane et se suicidera en 1930. Pendant sa mobilisation, Jacques Vaché témoignera, sur un ton décalé, de la vie au front à travers une centaine de lettres agrémentées de dessins. L’exposition fait la part belle à ses illustrations : reproduites à l’encre noire sur un fond jaune par une équipe de graphistes, ils occupent un pan de mur entier. Certaines sont des caricatures de soldats, tandis que d’autres traduisent les violences et la solitude de la guerre. A côté des lettres adressées à ses amis ou à son infirmière Jeanne Derrien, sont exposées quelques-unes des lettres que Jacques Vaché a envoyées à sa mère sur un papier pour enfant orné de petits soldats anglais colorés. Le contraste est saisissant : le ton est sobre cette fois et les dessins sont absents.
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[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#ffffff » align= »left » size= »1″ quote= »[Jacques Vaché] est au monde l’homme que j’ai le plus aimé et qui sans doute a exercé la plus forte et la plus définitive influence sur moi » cite= »André Breton » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
Blessé par une grenade en octobre 1915, Jacques Vaché est d’abord transféré à Nevers, puis à Nantes, à l’Hôpital de la rue du Boccage (actuel Lycée Guist’hau). C’est là qu’il rencontrera brièvement (de novembre 1915 à février 1916) André Breton. La rencontre sera furtive, mais décisive pour André Breton qui écrira le 25 août 1949 à Marie-Louise Vaché : « Votre frère est au monde l’homme que j’ai le plus aimé et qui sans doute a exercé la plus forte et la plus définitive influence sur moi. » Jacques Vaché mourra le 6 janvier 1919 d’une overdose d’opium dans l’une des chambres de l’Hôtel de Nantes. L’exposition nous montre la pipe de son père et expose le procédé complexe qui permettait de fumer l’opium. Cette complexité laisse penser que la mort de Jacques Vaché est accidentelle mais, dans sa douleur, André Breton aura toujours voulu croire que la figure qu’il admirait tant était morte en tentant d’expérimenter quelque chose. Si l’œuvre laissée par Jacques Vaché se résume à ses lettres – dont une vingtaine sera publiée dès 1919 par André Breton lui-même, dans la revue Littérature –, malgré cela, son souvenir reste prégnant dans la mémoire des surréalistes, grâce à l’importance que lui a donné André Breton.
L’exposition est exigeante dans la mesure où elle présente le parcours de quatre jeunes Nantais relativement peu connus du grand public. Mais elle invite les visiteurs aussi bien à mesurer leur rôle dans la naissance du mouvement surréaliste qu’à franchir la distance historique qui nous sépare de cette époque pour retrouver les résonances profondément actuelles de leur esprit et de leurs dessins.
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