30 ans après le siège de Sarajevo, des associations nantaises rendent hommage aux victimes de guerre à Cosmopolis

Le 6 avril 1992, débutait le siège le plus long de l'histoire moderne. Pendant près de quatre ans, les 350 000 habitants de Sarajevo ont subi les bombardements serbes. Ils ont vécu privés de tout, sans eau, sans électricité, cachés dans des sous-sols, affamés. Mais ils ont montré au monde entier un formidable esprit de résistance. Pour montrer leur quotidien et saluer leur courage, l’association franco-bosnienne et l’assemblée européenne des citoyens de Nantes ont programmé les 1er et 2 juin, le film de Rémy Ourdan et Patrick Chauvel : «Le siège»

07 Juin 2022

Rémy Ourdan débutait sa carrière de reporter de guerre au Monde lorsqu’il a couvert le siège de Sarajevo. Mais ce n’est que 20 ans plus tard qu’il a réalisé ce film pour Arte. «Le siège» n’est donc pas un film de journaliste relatant des faits précis. C’est un film d’auteur, un documentaire qui donne la parole à une cinquantaine de témoins anonymes qui racontent comment ils ont vécu cet enfer dans leur intimité et c’est ce qui en fait tout l’intérêt.
«Dans ce film, vous n’entendrez pas de politiques ni de diplomates» explique Rémy Ourdan qui était en visioconférence à l’espace Cosmopolis depuis le Donbass, la nouvelle scène de guerre qu’il suit toujours pour Le Monde. «C’est un film sur l’humain, sur ceux qui sont restés dans le siège et qui ont résisté à la volonté de destruction du siège. C’est pourquoi j’ai interviewé autant de témoins des évènements, une centaine au total, mais dans le film il n’y en a qu’une cinquantaine».

 

Remy Ourdan, journaliste au Monde, commente son film sur Sarajevo en visio-conférence depuis le Donbass

Des archives inédites sur la violence de la guerre

Rémy Ourdan s’est également appuyé sur des archives inédites, non officielles qu’il a trouvées pour les deux tiers à Sarajevo. Des images reçues par certains spectateurs comme une claque tant elles font froid dans le dos. On y voit des cadavres gisant sur le sol, des hommes et des femmes démembrées, des bâtiments en ruine.
«Je voulais montrer la violence de la guerre, montrer les morts mais sans qu’on puisse les reconnaitre» précise l’auteur du film.
Ce film a aussi une autre vertu. Avec cette mosaïque de témoignages, il analyse avec finesse et sensibilité la capacité de résistance contre ceux qui voulaient les réduire à néant.

Sarajervo, un exemple de résistance

«La guerre fait surgir le courage, l’entraide, la compassion» explique un de ces témoins sans nom. «C’est un moment de vérité où l’on se révèle des forces insoupçonnées».
«Les serbes voulaient nous diviser» poursuit un autre assiégé anonyme «mais lorsque vous êtes dos au mur, que l’on veut nier votre existence, vous effacer, vous détruire en profondeur, vous n’avez que deux choix : vous rendre ou résister»
Et un troisième de conclure : « Les fascistes qui voulaient détruire notre multiculturalisme se sont ridiculisés. Ils ont été vaincus. C’est la civilisation qui l’a emporté»
Face à la politique de la terreur imposé par les obus, la peur, le repli sur soi, la folie aurait pu s’emparer des habitants. Mais c’est le contraire qui s’est produit et le film le souligne très bien.

La fête et l’humour, remède contre l’horreur

Un violoncelliste dans les ruines de l’Opéra, l’epoir d’une vie qui reprend à sarajevo

Dans une ville où la mort rôde partout, où les gens vivent enfermés «comme des animaux en cage» dit un témoin, «comme dans un camp de concentration» dit un autre, la population a développé des mécanismes d’autodéfense : faire la fête, se marier, organiser des concerts, élire une Miss Sarajevo mais aussi avoir de l’humour et de l’autodérision sur son malheur à l’exemple des publicités de grandes marques détournées pour se faire entendre du reste du monde.

«Le siège», c’est un film universel qui résonne autant à Alep qu’à Grozny. D’ailleurs, lorsque le film a été projeté en Syrie, Rémy Ourdan s’est souvenu d’une remarque d’un spectateur. «Mais c’est notre histoire que vous racontez.»

Un enfant rescapé des bombardements témoigne

Très applaudi, le film a suscité le témoignage d’Edin Mesanovic, un rescapé de ces crimes de guerre qui vit aujourd’hui à Nantes et qui a failli mourir à l’âge de 12 ans. C’était le 26 août 1992. Ce jour là, l’obus a tué son père qui jouait aux échecs avec ses voisins.

«Pendant des années, je me suis muré dans mon silence» raconte Edin. «Je ne voulais plus revivre cette tragédie. Mais il y a un an, je me suis engagé dans l’association franco-bosnienne, écoeuré par les révisionnistes qui mettent sur un même pied d’égalité les victimes et leur bourreau.»

Il a vivement remercié Rémy Ourdan pour son travail tout comme Anne Marie Giffo Levasseur de l’assemblée européenne des citoyens de Nantes.
«En couvrant régulièrement le siège de Sarajevo, avec des articles tous les 2 jours», a-t-elle indiqué, «vous nous avez aidé à prendre conscience de ce qui se passait là bas et çà nous a permis de nous mobiliser ici. Votre travail est essentiel».

Quand on a été journaliste pendant plus de 30 ans à France 3, que l'on s'est enrichi de belles rencontres et de découvertes, on a envie de continuer à partager sa curiosité et son ouverture d'esprit avec d'autres. En travaillant bénévolement à Fragil, on peut continuer à se cultiver en toute liberté. Ca donne du sens à un retraité devenu journaliste honoraire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017