“Tant que le regard des hommes sur le corps des femmes n’aura pas changé au point de reconnaître que les femmes peuvent agir avec leur corps de façon libre, et qu’elles peuvent avoir une liberté sexuelle qui se traduit par une réciprocité entre hommes et femmes, les autres égalités, économiques et en droit resteront fragiles. Car ce qui a justifié l’inégalité en droit et économique c’était le rapport au corps. Et aujourd’hui on est enfin au cœur du problème.” , écrit Raphaël Liogier, sociologue.
On dit qu’un homme prend une femme
Aussi incroyable que cela puisse paraître, il n’y a pas d’expression pour signifier que deux personnes font l’amour de façon consentante et égalitaire. Dire que l’on prend quelqu’un nous place en position de dominant, et celui qui se fait prendre est donc soumis dans l’imaginaire collectif. Pourquoi devrait-il y avoir un dominant et un dominé dans nos relations sexuelles ?
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Cela remonte à des millénaires, quand on ne considérait pas une femme comme l’égale d’un homme. L’homme avait le rôle actif dans la société et la sexualité. Une femme se devait d’être fragile, passive, à sa merci.
Dans la première version de la Belle au bois dormant, la jeune femme s’endort pour cent ans quand un promeneur l’aperçoit dans la forêt. Celui-ci la viole. Quelque temps après, la Belle au bois dormant se réveille enceinte, heureuse du miracle ! La Belle au bois dormant était à l’origine un conte sur la natalité, et le viol n’avait aucune signification négative.
“Pute” injure par excellence, mais pas prostitueur
Par le passé, l’apprentissage de la sexualité se faisait traditionnellement avec une prostituée. Certains hommes perpétuent encore cette pratique. Le père, le grand frère offre les services d’une prostituée au jeune garçon pour ses dix-huit ans. Ce rituel de virilité encourage le rapport de domination d’un homme sur une femme. Les femmes ont toujours été représentées en objet de plaisir, elles ne pouvaient donc jouir ou aimer le sexe. Elles ne devaient répondre qu’aux désirs des hommes. C’est le propre des prostituées.
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L’historienne Florence Montreynaud , explique que la prostitution n’est pas une histoire de sexe mais de domination. Le prostitueur a du pouvoir, il peut demander tout ce qu’il veut à la prostituée. C’est lié à un fantasme de viol, car ce qu’achète le prostitueur est le non désir d’une femme.
On croit que nos fantasmes sont ce qu’on a de plus intime et de plus personnel mais ceux-ci sont politiques dans la mesure où ils sont une construction de l’histoire. Beaucoup d’hommes se disent progressistes et se battent pour qu’hommes et femmes aient les mêmes droits sauf que dans le rapport intime et sexuel ils ne jouissent qu’en dominant une femme.
Le BDSM, progressiste ?
Le BDSM est une pratique sexuelle qui se développe de plus en plus chez les jeunes couples. Les personnes la pratiquant se croient progressistes et féministes. Dans le BDSM, il y a un dominant et un soumis, le plus souvent celui qui domine est un homme et le rôle du dominé est attribué à une femme. Dans Cinquante nuances de Grey, le BDSM est montré comme une pratique moderne, et attractive. L’héroïne se libère sexuellement grâce à Monsieur Grey, adepte du BDSM. Avant de le rencontrer, Anastasia, est une jeune femme introvertie et timide. Monsieur Grey la rend désirable et sexy.
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Au cours de l’histoire, les femmes ont été bridées dans leur sexualité.Au nom du féminisme, elles veulent se libérer sexuellement, mais toujours à travers ces fantasmes de domination. En réalité, l’unique fantasme de ces femmes est de se conformer à ce qu’elles croient être le désir des hommes.
Actuellement de plus en plus de pratiques de domination se banalisent. L’association la Corderie Marseille propose des sessions ouvertes aux femmes pour apprendre le shibashi. Le shibashi est une pratique japonaise de domination, qu’on appelle aussi bondage. Il s’agit de saucissonner son partenaire avec des cordes. C’est une activité que l’on propose uniquement aux femmes et cela entre dans le cadre d’un jeu sadomasochiste.
Pour se libérer des stéréotypes sexuels, les femmes utilisent des modèles qu’elles connaissent. Ils correspondent à des rôles conventionnels : le féminin et le masculin, donc le dominé et le dominant. On a du mal à imaginer d’autres modèles. La société ne nous en propose pas.
Comment sortir de ces modèles qui nous enferment ?
John Stoltenberg remet en question le modèle par lequel le désir naît dans la violence et l’appropriation du corps de l’autre. Dans son livre, « Refuser d’être un homme » , (ce que Stoltenberg refuse est non pas l’appartenance biologique mais l’injonction à un statut de dominant ), l’auteur nous explique que les images pornographiques conditionnent notre imaginaire. Lors d’une relation sexuelle, nous utilisons inconsciemment le corps de notre partenaire pour jouir de nos fantasmes nés des images visionnées. Comment alors redécouvrir sa sexualité avec l’autre ?
L’auteur nous fait comprendre que nous délaissons des sensations, des parties de notre corps pour une série d’injonctions sorties tout droit de la culture porn.
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« Personne ne m’a dit, quand j’étais plus jeune, que je pouvais avoir des rapports sexuels sans coït et que ce serait bien. En fait, beaucoup mieux que bien. Personne ne m’a parlé de la gamme incroyable d’autres possibilités érotiques de faire l’amour dans la réciprocité – y compris se frotter l’un à l’autre, puis avoir des orgasmes l’un contre l’autre, compris des orgasmes multiples sans éjaculation, y compris le sentiment qu’on éprouve quand l’endroit -même minuscule – où l’on se touche devient une fenêtre par lequel de grande marée et des orages de passion déferlent, dans un sens comme dans l’autre.» écrit-il
John Stoltenberg nous prouve que le plaisir érotique s’enrichit d’autant plus s’il dépend d’un contexte réciproque et respectueux. Pour cela, la communication est indispensable entre les deux partenaires. Sans communication, les partenaires passent à côté de la fusion véritable.
L’union complète, une expérience inspirée du tantrisme
Le tantrisme est apparu en Inde, au VIIe siècle, comme courant spirituel. Il propose la prise de conscience de notre corps et de notre l’esprit. Lors de la relation sexuelle, le tantrisme consiste à jouir dans tout son corps, et non pas à avoir d’orgasme localisé exclusivement dans le bas ventre. Le tantrisme a pour but l’union complète entre deux partenaires. Sentir le corps, le cœur, l’esprit de l’autre grâce à des techniques de respiration et de relâchement. Par exemple, se regarder quinze minutes dans les yeux, et respirer au même rythme que son partenaire. Puis, faire de longues caresses sur toutes les parties du corps, excepté les parties intimes. L’expérience en est plus intense ! Dans nos sociétés où la vitesse est reine, le tantrisme va tout en lenteur. Les effleurages, baisers, et massages sont très importants. Le tantrisme cherche à faire durer le plaisir. Et c’est surtout dans la tête et le cœur que ça se passe. Le tantrisme relie le cœur au sexe.
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« Le jeu des énergies amoureuses est pollué par des préoccupations telles que : je veux avoir le maximum de plaisir, je veux un orgasme maintenant… Dans le tantrisme, le plaisir sexuel n’est pas considéré comme une fin, c’est l’émotion du cœur, la fusion avec l’autre qui est importante » confie, Jeanne 25 ans.
En nous racontant son expérience du tantrisme, Jeanne nous avoue qu’elle se sentait en décalage avec le modèle de sexualité dominant. Elle était plus attirée par la sensualité que par “la bestialité du modèle classique dominant/ dominé”, dit-elle.
“Enfin, la pratique du tantrisme peut vous aider à atteindre l’extase sexuelle et une intimité personnelle qui dépasse de loin l’orgasme traditionnel. Vous connaîtrez ainsi une union émotive et sexuelle très profonde.” rajoute-t-elle
La réciprocité doit remplacer la domination
Inévitablement, hommes et femmes seront obligés de sortir des stéréotypes de domination car ceux-ci influent sur les discriminations et agressions que subissent les femmes quotidiennement : harcèlement de rue, viols etc… Sans réciprocité, sans égalité, il n’y a pas de relation humaine possible dans les relations sexuelles.
« On ne peut pas être heureux seuls. Parce que la solitude absolue, c’est l’étouffement. Les humains sont heureux avec. Le problème des hommes est qu’ils ont construit un monde « viriliste », un monde en compétition permanent contre eux-mêmes et contre les femmes. Les hommes doivent réapprendre à jouir de la relation humaine ! », écrit Raphaël Liogier.
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Dans nos jeux de séduction habituels «Suis moi je te fuis, fuis moi je te suis», l’homme doit conquérir la femme. Celle-ci est perçue comme une proie. Le désir naît de l’inaccessible et du mystère. Finalement, le désir naît de l’incertitude du consentement. Le consentement ne serait pas sexy parce que la relation serait alors acquise.
Dans son livre « Descente au cœur du mâle », Raphaël Liogier préconise de ne plus voir en l’autre, un objet désirable, une matière à jouir mais comme un sujet désirable parce que volontaire. Il ne faut plus assigner hommes et femmes à un rôle préconçu. Il faut se rééduquer pour une égalité libératrice. A partir de là, hommes et femmes pourront tisser des relations humaines véritables.
Vers l’indifférenciation
Nous ne nous voyons plus comme des personnes à part entière, nous pensons que le féminin, (être belle, sexy, passive) et le masculin (être actif, fort, conquérant) sont des valeurs naturelles qui nous définissent. En intégrant l’indifférenciation, c’est à dire en supprimant les attributs du féminin et du masculin, nous pourrons alors sortir du schéma dominant / dominé. Avant d’être un homme ou une femme, nous sommes des êtres humains, tous égaux.
Sources
Descente au cœur du mâle, Raphael Liogier
Refuser d’être un homme, John Stoltenberg
Le roi des cons, quand la langue française fait mal aux femmes, Florence Montreynaud
Zéromacho, des hommes disent non à la prostitution, Florence Montreynaud