12 novembre 2018

La revue de presse médiatique et numérique du 5/11 au 10/11

Cyberharcelement, dérives des réseaux sociaux, polémistes clasheurs... Fragil a sélectionné pour vous l'essentiel de l'actualité numérique et médiatique de la semaine passée.

La revue de presse médiatique et numérique du 5/11 au 10/11

12 Nov 2018

Cyberharcelement, dérives des réseaux sociaux, polémistes clasheurs... Fragil a sélectionné pour vous l'essentiel de l'actualité numérique et médiatique de la semaine passée.

“TV : prof cogneur” enquêtes sur les “snipers” des plateaux télé par Complément d’enquête

Le magazine “Complément d’enquête” s’est plongé dans l’univers télévisuel actuel et sur ces principaux acteurs: les “polémistes” ou “chroniqueurs” virulents. Ils se nomment Eric Zemmour, Charlotte d’Ornellas, Charles Consigny ou encore Natacha Polony. Qu’ils soient sur les chaînes du service public, Canal+ ou encore TF1, leur présence n’échappe pas aux principales émissions en prime time. C’est sur cette omniprésence que s’est penché le journaliste Julien Daguerre pour Complément d’Enquête, diffusé le 8 novembre du France 2. Souvent qualifiés de “snipers”, les chroniqueurs TV qui ont le vent en poupe n’ont bien souvent pas leurs langues dans leurs poches, et c’est ce qui les rend aussi populaires.

L’enquête permet en effet de comprendre les mécanismes qui poussent les émissions à inviter ces polémistes, le plus souvent sur des sujets brûlants, voire polémiques. Avec un langage souvent brutale les chroniqueurs en viennent au “clash” et leurs “punch lines” sont reprises immédiatement sur les réseaux sociaux. Un phénomène attendu par les chaînes télévisées qui souhaitent faire croître leurs nombre de spectateurs, mais aussi leurs followers sur les réseaux sociaux. C‘est en effet toute l’économie des médias qui est  impliquée, les buzz profitant largement aux chaînes et à leurs annonceurs. Un système “du clash” qui bien souvent fait oublier le fond, le sujet débattu, pour laisser exploser la forme, les propos violents. Une enquête inédite qui laisse entrevoir les dessous de cette tendance souvent dangereuse: l’expression par la brutalité.

 

Le phénomène Tik Tok accusé d’hypersexualisation

Anciennement Musica.ly puis baptisé Tik Tok, l’application la plus téléchargée au monde (500 millions d’utilisateurs mensuels), fait débat depuis quelques semaines en France. Son fonctionnement repose sur le schéma classique d’un réseau social: chaque profil peut s’abonner à un autre lorsqu’il est public, visible par tous. Son contenu se base sur de courtes vidéos, où les abonnés se filment en chantant et dansant sur la musique du moment. D’origine chinoise, l’application a séduit les jeunes français, voire les très jeunes puisque certains abonnés ont tout juste une dizaine d’année. Un karaoké partagé en somme.

Oui mais voilà comme tout réseau social les dérives sont nombreuses et les plus jeunes copient leurs aînés, jusqu’à se mettre en scène pour ressembler à son profil favoris. S’emparant du sujet, les médias français tel que France Inter, se focalisent sur un phénomène plus que palpable chez Tik Tok: l’hypersexualisation des jeunes filles. Seules dans leurs chambres, des milliers de (très) jeunes adolescentes se mettent en scène pour ressembler à des profils ayant plusieurs millions d’abonnés. Quitte à abuser des codes: maquillage, danse et tenue sexy. Le tout saupoudré de commentaires allant des compliments aux paroles obscènes. Pour appuyer son propos, le média français évoque le youtubeur “Le roi des rats” qui, après enquête, dénonce la présence de profil à caractère pédophile. Une part d’ombre souvent méconnue de ses utilisateurs et de leurs parents. Qualifié de “royaume de la petite fille hyper sexuée”, Tik Tok est dénoncé comme un espace virtuel or contrôle pouvant devenir un danger réel pour les jeunes utilisateurs et utilisatrices.

 

E-Enfance lutte contre le cyberharcèlement

L’association e-Enfance se bat au quotidien contre les violences en ligne et le cyberharcèlement en travaillant étroitement avec certains réseaux sociaux. Alors que les cas de harcèlements s’intensifient après les vacances de la Toussaint, beaucoup d’adolescents en détresse se tournent vers des associations pour les aider à contrer ce cyberharcèlement.

L’article questionne les réseaux sociaux dont Facebook, Snapchat ou encore YouTube directement concernés par ces affaires de cyberharcèlements sur leurs plateformes. La journaliste du Monde Morgane Tual a interrogé Samuel Comblez, psychologue de l’enfant et de l’adolescent qui possède aussi la casquette de directeur des opérations de e-Enfance, pour connaître sa vision sur cette thématique. La discussion se tourne assez rapidement vers le rôle des réseaux sociaux et la prise en compte des campagnes de cyberharcèlements par ces derniers. En effet, la victime doit préalablement émettre un signalement auprès des réseaux sociaux concernés pour qu’ils puissent agir face au cyberharcèlement. Samuel Comblez évoque un progrès des entreprises sur ce thème même si ces grands groupes du web doivent encore s’améliorer dans le domaine notamment en prenant en compte plus rapidement les cas de cyberharcèlements. Le directeur de l’association e-Enfance témoigne d’un réel dialogue et d’une proximité installée au cours des dernières années entre son association et plusieurs plateformes. Un rapport privilégié qui permet à l’association d’agir plus rapidement et directement avec les réseaux sociaux concernés dans les cas de cyberharcèlements. Une collaboration qui passe par une aide financière pour l’association, rémunérée pour gérer les problèmes de harcèlements sur les différentes plateformes. Enfin, e-Enfance réfute l’idée de servir de caution pour redorer l’image de ces réseaux sociaux. Au contraire l’association évoque un échange de bons procédés pour améliorer la prise en compte du cyberharcèlement.

Le difficile prisme du débat sur les réseaux sociaux

Le magazine en ligne la vie des idées, coopérative intellectuelle ouvre sa tribune à Romain Badouard, maître de conférence en science de l’information et de la communication et enseignant à l’Institut Français de Presse, afin de mieux comprendre la teneur et l’agressivité du débat en ligne.

Romain Badouard introduit son propos en présentant les décisions de justice qui ont accompagné le cyberharcèlement subi par la journaliste Nadia Daam. Cette affaire met en lumière une certaine brutalisation du débat qui s’est progressivement installé sur internet depuis plusieurs années. Romain Badouard ouvre sa réflexion sur le manque d’uniformité des réponses sur les évolutions de la parole en ligne. Il met en exergue les contradictions exprimées par certains universitaires. En effet, il indique la thèse de la libération des paroles les moins audibles grâce à internet, mais  évoque également les problèmes exprimés sur le renforcement des opinions et des interlocuteurs dominants grâce à ces nouveaux outils numériques. De plus, il indique qu’il s’agit d’une nouvelle forme de débat qui s’installe sur internet. Ce débat n’est pas uniforme et son agressivité dépend de la perception de l’individu. Romain Badouard témoigne également de l’intrusion des trolls dans ces échanges, un phénomène uniquement présent sur le web. Selon l’universitaire, ces trolls nuisent au débat sur internet puisqu’ils engendrent censure et autocensure de la part des participants aux débats.

Le lynchage collectif occupe aussi cet espace de débat potentiel qui se mue régulièrement en tribunal. Romain Badouard rend également compte du paradoxe de la multiplicité des sources et des points de vue sur internet, en démontrant le modèle d’un web condamnant l’utilisateur à l’enfermement dans son carcan idéologique et ses certitudes. Il livre aussi l’influence massive d’un modèle politique et idéologique, où l’agressivité est au cœur de la stratégie. Cette violence est aussi un moyen d’obtenir une reconnaissance parmi une communauté formée sur le net. Romain Badouard poursuit en questionnant le modèle économique des réseaux sociaux qui favorise cette installation du clivage brut et de la radicalisation des propos. Il évoque les algorithmes hiérarchisant les informations, et la construction de bulles informationnelles pour les utilisateurs, mais aussi le modèle publicitaire incitant les utilisateurs à rester longtemps sur une plateforme. La conséquence est l’apparition d’une binarité dans les discours et l’appauvrissement du débat public. L’universitaire termine son article en admettant un réel besoin d’investissement de la part des pouvoirs publics pour contenir cette violence du débat. Mais il n’élude pas non plus le risque qu’apposerait une censure sur internet. Il propose aussi de démonétiser les sites hébergeurs de contenus haineux afin d’enclencher une modération plus rude par ces grands groupes du web. Enfin, pour l’auteur la responsabilité des discours haineux sur internet est également l’affaire de chacun d’entre nous, et passe par des signalements systématiques.

À la semaine prochaine pour une nouvelle revue de presse autour des thèmes du numérique et du journalisme.

Curieuse de tout et surtout de l'info, Romane (se) pose beaucoup de questions. Salariée de Fragil, elle écrit sur l'éducation aux médias et la musique actuelle !

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017