21 janvier 2019

Issues : l’évasion poétique

Le TU a accueilli du 8 au 12 janvier l'adaptation pour la première fois en France d'Issues, la pièce écrite par Samuel Gallet et mise en scène par Simon Le Moullec. Un voyage intense entre enfermement et liberté, une ode bouleversante à la vie, foisonnante et intrépide.

Issues : l’évasion poétique

21 Jan 2019

Le TU a accueilli du 8 au 12 janvier l'adaptation pour la première fois en France d'Issues, la pièce écrite par Samuel Gallet et mise en scène par Simon Le Moullec. Un voyage intense entre enfermement et liberté, une ode bouleversante à la vie, foisonnante et intrépide.

 

Issues, Crédit YLMPicture

Sur la scène les bruits, les grilles, la lumière effacée et penaude, les murs sensoriels de la prison. Un homme visiblement mal à l’aise, doucement nerveux, installe l’espace, dispose des chaises pour accueillir de probables participants. Avec une morgue agressive, suspicieuse et curieuse, trois personnages vont venir s’attabler pour participer à l’atelier poésie qui leur est proposé. Un quatrième fera irruption un peu plus tard, avec une tonitruance inquiète, sur le fil de la raison.

Issues, crédit YLMPicture

Le décor de cette rencontre entre deux mondes est planté. Comment concilier la violence carcérale et l’enfermement s’exprimant très vite dans ses codes de pouvoir, de rapport de force, de méfiance et de détresse et l’univers poétique qui ne se nourrit, lui, que de liberté ? C’est le défi que se lance Pinocchio, l’intervenant-poète ainsi malicieusement surnommé par l’un des quatre autres protagonistes, dans la première partie du spectacle. Il cherche à effacer les barrières, d’abord intérieures, en proposant des exercices d’écriture, avec plus ou moins de succès. L’écrit, la culture, c’est un truc de nanti, forcément proche du mensonge, tellement loin de leurs préoccupations, de leurs possibles. Il n’y a que celui qu’on nomme Wikipédia qui force le respect avec sa culture encyclopédique, mais c’est l’un des leurs, un type du dedans. Les gaillards se moquent, se chamaillent, et se révèlent dans une touchante fragilité, malgré l’omniprésente tentation de la violence. Ils entretiennent entre eux une hiérarchie et des codes sociaux qui leur sont propres, entre cocasserie et tragique, admiration et défiance, tendresse et menace. Cette complexité au bord de l’implosion instille une intimité crue avec le spectateur, une complicité dans l’urgence, tant elle peut être fugace. Il est grand temps de les aimer avant que tout cela ne leur échappe, ne nous échappe.

L’écrit, la culture, c’est un truc de nanti, forcément proche du mensonge, tellement loin de leurs préoccupations, de leurs possibles

 

Le contrat se construit entre les détenus et le poète jusqu’à l’idée de créer une pièce de théâtre d’après Lysistrata, celle écrite par Aristophane et qui raconte la grève sexuelle des femmes grecques s’opposant à la guerre des hommes. Le propos est truculent et les détenus s’emparent du sujet avec une joie goguenarde, en renversent les codes, s’embarquent dans cette deuxième partie du spectacle dans une odyssée délirante et féroce. S’en suivent une succession de scènes parfois franchement baroques et iconoclastes, entre passé et présent, sincérité et bouffonnerie, provocation et subtilité. Un théâtre gigogne qui se lit à différents niveaux et bouscule les repères. Les nombreuses trouvailles de mise en scène de Simon le Moullec étayent magnifiquement les images véhiculées par le texte de Samuel Gallet. Les comédiens, impeccables et inspirés, s’en donnent à cœur joie dans une cavalcade effrénée parfois un peu longuette, qui manque juste de cette suspension, de ce souffle coupé qui aurait achevé de conquérir le public présent.

Un théâtre gigogne qui se lit à différents niveaux et bouscule les repères

L’aventure demeure cependant généreuse, intrigante aussi parfois. Elle interroge nos perceptions et nos manques, titille nos envies et nos imaginaires, nous restitue une folie pas ordinaire et nous emmène vers des ailleurs étranges que nous sommes surpris de trouver, au bout du compte, si familiers.

Issues, Crédit YLMPicture

ISSUES, pièce écrite par Samuel Gallet, mise en scène par Simon le Moullec, Les Eclaireurs Compagnie

Production: Les Eclaireurs Compagnie

Co-production Le Grand T, théâtre de Loire Atlantique / La Fonderie, Le Mans

 

 

Communicante passionnée de contact et d'expériences humaines, d'art et de culture : théâtre, cinéma, et expositions

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017