Les années 1950 ont constitué une période faste pour la Comédie Musicale américaine, et les créations d’œuvres illustres se sont enchaînées à Broadway, telles My Fair Lady (1956), West Side Story (1957) ou la bouleversante Mélodie du bonheur (The Sound of Music, en 1959). C’est l’immense chorégraphe Jerome Robbins ( trois ans avant de monter au théâtre West Side Story, dont il sera ensuite l’un des réalisateurs du film mythique) qui a mis en scène en 1954 la création de The Pajama Game au St James Theatre de Broadway, où Hello Dolly! sera joué pour la première fois dix ans plus tard, en 1964.
Ce tourbillonnant Pajama Game a vu le jour en plein maccarthysme, cette période de peur du communisme et de chasse aux sorcières qui secoua les États-Unis entre 1950 et 1954, au début de la guerre froide. La pièce d’Arthur Miller, Les sorcières de Salem (The Crucible), qui reflète cette sombre époque, a été représentée pour la première fois en 1953, également à Broadway. Cette proximité de dates et de théâtres est un troublant paradoxe, dans des genres et des thématiques aux antipodes !
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Un hymne à la joie étourdissant !
The Pajama Game , a été présenté par Angers Nantes Opéra dans une mise en scène de Jean Lacornerie et du chorégraphe Raphaël Cottin. Jean Lacornerie dirige le Théâtre de la Croix Rousse à Lyon depuis 2010. Ce metteur en scène, qui explore le théâtre musical dans toute sa diversité, a collaboré à ses débuts avec Jacques Lassalle, notamment au début des années 1990, pour une très belle Bérénice de Racine, où Jean-François Sivadier était particulièrement émouvant en Titus. Il a signé en 1994 la mise en scène de La glycine, un texte étonnant de Serge Revzani (auteur des paroles du tourbillon d’la vie chanté par Jeanne Moreau), au Théâtre du Vieux Colombier , un spectacle de la Comédie Française où l’on voyait Martine Chevallier, Jeanne Balibar et Eric Ruf.
En 2016, Jean Lacornerie et Raphaël Cottin ont monté L’opéra de quat’sous de Kurt Weill et Bertolt Brecht au Théâtre de la Croix Rousse à Lyon. Ils se retrouveront la saison prochaine pour une chauve-souris de Johann Strauss, à l’Opéra de Rennes et à l’Opéra d’Avignon. Leur Pajama Game est un hymne à la joie, complètement étourdissant !
Un monde du travail qui chante et qui danse
L’action s’inspire d’un roman de Richard Bissel (qui a aussi collaboré au livret), 7½ Cents, publié en 1953. Elle a pour cadre une usine de confection de pyjamas, où les employés se battent pour une augmentation de salaire de 7,5 cents. On entend en voix off le patron qui énonce de façon autoritaire ses objectifs, tandis que le spectacle décline tout un lexique du monde du travail, qui résonne avec le quotidien de travailleurs d’aujourd’hui : la pression, les cadences, la pénibilité et la répétition des mêmes gestes. Mais ces détails prosaïques volent en éclats dans les chansons aux mélodies touchantes, pleines de rythme et d’humour, de Richard Adler et Jerry Ross, suggérant que la vraie vie est ailleurs. Cette impression est accentuée par le cocktail de couleurs acidulées du spectacle, dans les costumes poétiques de Marion Menagès, d’où se détache l’éclat du rose fushia, mais aussi du jaune et du bleu intense, ainsi que de beaux dégradés de vert. Il y a dans cette usine un côté festif, par delà les frustrations et l’ennui du quotidien, et la chorégraphie pleine de rythme de Raphaël Cottin apporte une véritable fièvre à des ensembles qui dynamisent le public.
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Un salvateur éclat de rire
Avant le début de la représentation, un programme à la couverture rose est distribué à chaque spectateur, à l’intérieur duquel on a glissé un énigmatique morceau de tissu rouge. Deux figures de l’entreprise se détachent, Sid Sorokin, son nouveau directeur exécutif, et Babe Williams, la porte parole du comité économique et social, donnant lieu à quelques réjouissants affrontements. Les revendications atteignent un spectaculaire paroxysme lors d’une scène de manifestation qui s’étend sur toute la salle du théâtre Graslin, plongée dans une lumière rouge. Galvanisés par les discours qui viennent du plateau, les spectateurs brandissent les tissus rouges, en répétant de façon dérisoire des revendications qui trouvent un écho avec les préoccupations du moment, mais qui se brisent dans un salvateur éclat de rire.
Sous les revendications : un cœur qui bat
La vie de l’usine est ponctuée d’événements, telle cette journée où l’on se lâche à l’occasion du pique nique annuel du syndicat. C’est aussi l’occasion d’un joyeux moment du spectacle, avec les musiciens qui sont en fond de scène, portant des bleus de travail. Jean Lacornerie et Raphaël Cottin ont effectué ici un formidable travail de troupe, où les chanteurs sont à la fois acteurs et musiciens. C’est fascinant de voir chaque comédien prendre son instrument pour rejoindre le trio de musiciens à la fin d’une scène ! Ces interprètes ont tous de magnifiques présences et des tempéraments marquants; ils débordent d’une énergie communicative.
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L’amour triomphe !
La représentation est traversée par des coups de théâtre. Ainsi, la représentante syndicale est licenciée pour faute grave, parce qu’elle a saboté une machine. Mais l’événement se confond avec un autre effet de surprise, l’histoire d’amour entre Babe, cette déléguée du personnel , et Sid, le nouveau chef. Le glissement progressif des revendications vers le sentiment amoureux amène de savoureux quiproquos, mais aussi une atmosphère plus sensuelle dans les numéros musicaux. L’histoire s’achève sur un Happy End. L’augmentation demandée est enfin accordée, suite à la découverte de petits arrangements financiers et de détournements d’argent du côté de la direction de l’entreprise…et l’amour triomphe !
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Un irremplaçable moment de bonheur
Angers Nantes Opéra offert au public un irremplaçable moment de bonheur, avant la fermeture des théâtres et la période de confinement. Il n’y avait pas eu de comédies musicales américaines au Théâtre Graslin depuis les années 1980, avec Hello Dolly ! de Jerry herman (Mars 1981), La mélodie du bonheur de Rodgers et Hammerstein (Février 1982) et Cabaret de John Kander (Mai 1988, dans la mise en scène de Jérôme Savary). Il s’agit d’ un spectacle total, qui mêle le théâtre, le chant, la musique et la danse, et donc complètement à sa place sur une scène d’opéra.
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La troupe du « Pajama Game » :
Avec dix artistes (jeu, chant, instruments)
Dalia Constantin, Marianne Devos, Marie Glorieux, Vincent Heden, Pierre Lecomte, Mathilde Lemmoniet, Amélie Munier, Zacharie Saal, Cloé Horry, Alexis Meriaux
Percussions Gérard Lecointe
Piano Sébastien Jaudon
Contrebasse Daniel Romero