Virginie est veuve et mère de deux enfants. Elle se lance dans l’élevage de sauterelles pour sauver sa ferme de la faillite. Confrontée aux difficultés du métier et à la solitude, elle s’enfonce dans un rapport maladif avec les insectes et entraîne sa famille avec elle.
Renouveler le genre
Le thème de la cellule familiale en crise était déjà présent dans le premier court-métrage du réalisateur, Ses Souffles (2015). Dans La Nuée, il entraîne le spectateur dans la descente d’une mère vers la folie, en douceur, faisant planer une ambiance de plus en plus pressante à mesure que l’histoire se déroule. Le film bascule petit à petit dans l’horreur et n’hésite pas à bousculer le spectateur en développant certains thèmes qu’il emprunte au cinéma de genre. Il ne tombe pas pour autant dans le gore ou le spectaculaire, sauf peut-être dans une scène finale un peu excessive. Les effets spéciaux signés Antoine Moulineau (Avatar, The Dark Knight) sont réussis, notamment pour l’animation des nuées de sauterelles, puisque réalistes et donc peu visibles.
Dans La Nuée se retrouve l’esprit de Grave, film de Julia Ducournau sorti en 2017 qui avait bousculé les codes du cinéma français d’horreur. Mais c’est aussi un film catastrophe du temps présent, catastrophe qui ne participe plus de l’anticipation comme le voulait le genre à l’origine. Il oscille sans cesse entre fantastique et réalisme. Il livre en filigrane une critique de l’agriculture d’aujourd’hui et dénonce l’inhumanité de toute la chaîne de production. L’achat de la farine de sauterelle à un prix toujours plus bas par des personnages antipathiques en est une illustration criante. La violence de l’histoire et la figure biblique du fléau que sont les sauterelles donnent au scénario la possibilité d’une double lecture, le film n’est pas simplement un drame d’horreur, il dénonce également la catastrophe annoncée d’un monde qui ne cesse de tirer sur la corde. Tous les personnages sont à la fois victimes et coupables. Victimes du monde dans lequel ils vivent, coupables d’y participer.
Le piège se referme
Les sauterelles, insectes à priori inoffensifs, sont un choix intéressant comme objet central et déclencheur de la tourmente. Très photogéniques, elles sont de nombreuses fois détaillées en très gros plans, et sont des personnages du film à part entière. C’est aussi par elles que monte l’inquiétude. Leur bruit strident est exploité jusqu’à devenir entêtant pour le spectateur et il participe à la progression de l’ambiance oppressante. Elles deviennent de plus en plus monstrueuses, grouillantes et agressives à mesure que Virginie sombre et développe avec elles un rapport morbide. Le film se déroule presque exclusivement dans la ferme familiale, le peu de lieux et de personnages participent à une sensation de piège qui se referme.
Le jeu des acteurs est juste, celui de Virginie (Suliane Brahim, aperçue dans Hors Norme de Éric Toledano et Olivier Nakache) est saisissant. Pour la première fois dans un premier rôle, l’actrice offre une belle surprise. Elle se transforme littéralement, elle devient de plus en plus maigre, tendue et explosive, sans jamais que cela sonne faux. Elle est accompagnée par Sofian Khammes (que l’on retrouve dans Le monde est à toi de Romain Gavras ou Poissonsexe de Olivier Babinet) discret mais percutant dans le rôle d’un viticulteur attentionné essayant de sauver la famille. Les enfants de Virginie, Laura (Marie Narbonne, déjà croisée dans la série Dix pour cent de Fanny Herrero) et Gaston (Raphaël Romand) sont les derniers piliers qui l’empêchent de sombrer totalement mais aussi les premières victimes de son égarement.
La Nuée
Réalisation : Just Philippot
Scénario : Jérôme Genevray, Franck Victor
Photographie : Romain Carcanade
Musique : Vincent Cahay
Effets spéciaux : Antoine Moulineau
Nationalité : Français
Durée : 1h41
Avec : Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne, Raphaël Romand