Électrisante Katerina dans « Lady Macbeth de Mtsensk » de Chostakovitch à l’opéra de Monte-Carlo, Nicola Beller Carbone devrait être une brûlante « Médée » dans l’opéra de Luigi Cherubini, révélé au XXe siècle par Maria Callas, à l’opéra Nice Côte d’Azur à partir du 13 mai 2016. La soprano s’est confiée à Fragil sur ses principaux rôles.
Fragil : Pourquoi Médée est-il un rôle redoutable ?
Nicola Beller Carbone : C’est effectivement un rôle énorme, avec beaucoup de notes à chanter. Il y a une succession d’airs, de duos, d’ensembles et un finale interminable avec des chœurs. La tessiture, assez ample, est celle d’une soprano spinto dramatique, et va du grave au très aigu. Le rôle comporte des choses étonnantes sur le plan harmonique, plutôt avant-gardistes pour l’époque. Chaque air est très dramatique et s’achève sur une note inattendue. Le thème de l’opéra est à la fois brutal, existentiel, agressif et nécessite, malgré tout, un contrôle de soi pour ne pas perdre la voix. Il s’agit tout de même d’incarner une femme qui peut tuer ses enfants, ce qui est inimaginable !
Fragil : Vous êtes une immense Tosca et vous l’avez notamment incarnée à Nice en 2008. Quels souvenirs gardez-vous de la vision marquante proposée la même année par Patrice Caurier et Moshe Leiser à Angers Nantes Opéra ?
N.B.C. : C’était passionnant ! Patrice Caurier et Moshe Leiser sont de grands metteurs en scène qui font découvrir sous chaque mot un sens différent, auquel on n’avait pas pensé, en travaillant sur la psychologie du personnage. J’ai appris avec eux beaucoup de choses sur Floria Tosca. Ils conçoivent le jeu comme une partie de ping-pong, où l’on adresse une motivation à son partenaire pour qu’il nous donne quelque chose en retour.
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Leur vision était très réaliste, comme au cinéma. Il n’y a rien de joli dans cet opéra et le chantage de Scarpia, au deuxième acte, est atroce. Il découpait la robe de la cantatrice sur l’air Vissi d’arte dans un geste d’une violence extrême. Elle n’éprouve de son côté aucune attirance pour lui, seulement de la rage. Elle le déteste et parvient à le tuer avec le premier objet qui lui tombe sous la main ; la paire de ciseaux est posée sur la table. Il n’y a rien d’érotique dans tout ça. À la fin de l’opéra, Tosca et Mario chantaient leur ultime duo sans se voir, séparés par le mur de la prison.
Fragil : Vous interprétez aussi régulièrement Salomé de Richard Strauss, et avez chanté Chrysothémis dans Elektra cette saison à Montréal. Quelles émotions ce compositeur vous procure-t-il ?
N.B.C. : C’est une musique pleinement romantique, à la fois parfumée et sensuelle, faite de lignes qui ne finissent jamais et qui vous plongent dans une véritable ivresse, proche de l’hallucination. Dans Salomé comme dans Elektra, il y a cet esprit de décadence fin de siècle qui rappelle l’Art déco. Je vais reprendre le rôle de la teinturière de La Femme sans ombre à Wiesbaden, et adorerais chanter la maréchale du Chevalier à la rose .
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Fragil : Vous étiez Katerina dans Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch (voir l’article Une Bovary sans livres) à l’opéra de Monte-Carlo l’an passé. Quelles traces ce spectacle vous a-t-il laissées ?
N.B.C. : Le metteur en scène argentin Marcelo Lombardero avait transposé l’action dans une boucherie d’un quartier pauvre de Buenos Aires, avec des animaux morts sur les tables. Jouer ce spectacle dans le contexte luxueux de la Salle Garnier de Monte-Carlo avait quelque chose d’irrévérencieux. La confrontation entre deux systèmes et deux classes sociales était très forte. Katerina, qui n’a aucun goût pour l’art ni pour l’esthétisme, se retrouve elle-même dans une ambiance sordide et face à des réalités très dures de la vie. Son histoire en était amplifiée.
Fragil : Vous abordez aussi le répertoire contemporain et vous venez de participer à la production de Die Hamletmaschine de Wolfgang Rihm d’après Heiner Müller à l’opéra de Zurich. Comment présenteriez-vous cette œuvre ?
N.B.C. : Elle n’avait pas été représentée depuis 30 ans et on se demande bien pourquoi, même si nous étions sceptiques au début. C’est difficile à apprendre et musicalement compliqué pour les solistes. Certains rôles sont hurlés, d’autres sont des rires en rythme. Nous nous sommes rendus compte, à l’arrivée de l’orchestre, qu’il s’agit d’une grande œuvre qui mérite d’autres reprises. Tout est extrêmement précis et c’est techniquement difficile de coordonner la musique en direct et les enregistrements qui étaient diffusés par soixante-quinze micros répartis dans toute la salle. Ce qui créé, d’un point de vue acoustique, des effets souvent étranges selon l’endroit où le spectateur se trouve.
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Le texte d’Heiner Müller est lui-même très complexe, avec des allusions, des citations et de nombreuses métaphores. Le metteur en scène Sebastian Baumgarten a inventé une histoire qui a bien fonctionné, avec des images politiques d’aujourd’hui, un discours social sur l’Europe et sur l’impossibilité des utopies. Le spectacle a connu un grand succès.
Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
N.B.C. : Je vais participer à Séville au Roi Candaule de Zemlinsky (d’après André Gide), dont je chanterai aussi Le nain en version de concert à Naples. C’est une musique merveilleuse. En 2017, je serai à Madrid pour La villana d’Amadeo Vives au Teatro de la Zarzuela, puis Bomanzo d’Alberto Ginastera au Teatro Real. Je ferai ensuite mes débuts au Teatro Colon de Buenos Aires dans Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny de Kurt Weill, dans une mise en scène de Marcelo Lombardero. J’enseigne également depuis trois ans et j’organise chaque été In canto, une semaine de Workshop centrée aussi sur le jeu et l’interprétation, à Tignano, en Toscane. Cette année, ce sera du 18 au 24 juillet. Ce travail permet à chaque chanteur de trouver sa vision du rôle et de le préparer comme un comédien.
Photos : C. Laberge, Lanino, Diana