8 juin 2021

Rencontre avec Aurore Ugolin : « Quand l’émotion est là, on se laisse emporter… »

D’Henry Purcell à Philip Glass, la mezzo-soprano Aurore Ugolin revient sur des temps forts de son beau parcours, en attendant un retour à Angers Nantes Opéra la saison prochaine…

Rencontre avec Aurore Ugolin : « Quand l’émotion est là, on se laisse emporter… »

08 Juin 2021

D’Henry Purcell à Philip Glass, la mezzo-soprano Aurore Ugolin revient sur des temps forts de son beau parcours, en attendant un retour à Angers Nantes Opéra la saison prochaine…

Fragil : Vous avez très souvent chanté le rôle de Carmen dans l’Opéra de Georges Bizet, notamment en 2017 à l’Opéra de Nice, dans une mise en scène de Daniel Benoin. Que représente ce rôle pour vous, et quelles traces ce spectacle vous a-t-il laissées ?

Aurore Ugolin : C’est un rôle que l’on rêve de faire lorsque l’on est mezzo. Quand j’étais plus jeune, je ne mesurais pas l’ampleur théâtrale et musicale de ce personnage, très exigeant physiquement et qui m’a permis de savoir où j’en étais, à la fois sur le plan dramatique et technique. Aussi,  lorsque je l’ai interprété à Nice, j’avais déjà acquis plein de choses qui m’ont servi pour le reprendre sereinement, dans un spectacle où l’investissement au niveau du jeu était très fort. Daniel Benoin avait transposé l’action durant la guerre d’Espagne, et son rapport au théâtre m’a beaucoup marqué. Ce travail théâtral pur me plaît en effet beaucoup et j’aime creuser dans le jeu. La scène finale était certainement à cet égard mon passage préféré. Le metteur en scène nous a montré des images de Carmen qu’il ne voulait pas voir tout en nourrissant sa vision de nombreux films et en partant de ce que l’on était pour construire les personnages. C’est ainsi que je me suis approprié le rôle en trouvant en moi ce qui me rend vaillante et forte,  et comment je charme, pour que ce soit plus authentique, au plus près de ma vérité.

« Carmen » de Bizet à l’Opéra de Nice – Collection personnelle de l’artiste

« Didon de Purcell fait partie des rôles qui m’ont très tôt parlé ; je le chantais à tue-tête quand j’avais quinze ans. »

Fragil : A partir de 2005 et durant de nombreuses années, vous avez incarné Didon dans Didon et Enée d’Henry Purcell, mis en scène par la chorégraphe  Sasha Waltz, dans le monde entier : à Berlin, Rome, Sydney et Buenos Aires… En quoi ce travail sur un opéra avec une chorégraphe a-t-il été essentiel ?

Aurore Ugolin : Il s’agit d’un spectacle-clé pour moi. J’ai en effet passé une audition pour ce rôle en 2004, juste après l’obtention de mon prix au conservatoire. C’était la première mise en scène lyrique de Sasha Waltz, et  le chef d’orchestre Attilio Cremonesi avait imaginé un prologue sur des scènes improvisées par les danseurs, avec aussi des textes parlés. Le résultat était à la fois poétique et très imagé, comme cet aquarium géant symbolisant la mer, source de liens et de séparations. Tous les interprètes étaient doublés par des danseurs et, avant la création de 2005, des ateliers ont été organisés afin d’évoluer ensemble sur le plateau. Nous avons également fait un concert de l’intégralité de l’œuvre. Les chorégraphes s’attachent à la personne correspondant à l’image qu’ils se font d’un personnage ; c’est pourquoi j’ai tourné pendant quinze ans avec ce spectacle. Didon de Purcell fait partie des rôles qui m’ont très tôt parlé ; je le chantais à tue-tête quand j’avais quinze ans. C’était une nécessité et il fallait que cela sorte à tout prix. De plus, le fait d’avoir été choisie pour l’interpréter sur une période aussi longue m’a permis de grandir avec ce personnage, enrichissant d’autres prises de rôles qui ont à leur tour influé sur Didon. C’est une figure d’une grande droiture, retenant l’émotion dans un premier temps, avant de flancher : elle se donne le droit d’aimer et en meurt. Je mesure ma chance d’avoir pu incarner un caractère féminin d’une telle force, et ce spectacle, mêlant les exigences de la voix avec celles de la danse, m’a ouvert des portes. Il m’a permis d’être vue comme une artiste capable de faire plein de choses dans des genres différents.

« Didon et Enée » de Purcell au Teatro Colon de Buenos Aires. ©Maximo Parpagnoli

« Je me retrouvais face à mes collègues alignés avec des fusils, tenant un bâton de majorette à la main : tout le paradoxe des États-Unis est dans cette image… »

Fragil : On vous a vue en 2009 à Angers Nantes Opéra et en tournée dans Hydrogen Jukebox de Philip Glass, dans une mise en scène de Joël Jouanneau. Quel souvenir en gardez-vous et quelles émotions cette musique vous procure-t-elle ?

Aurore Ugolin : C’est un merveilleux souvenir, qui m’a permis la rencontre avec Eric Génovèse  qui jouait le narrateur. Ce comédien est devenu un ami que j’ai retrouvé sur des concerts. Toute la troupe était sur scène pendant toute la durée de la représentation, dans un décor totalement ouvert, donnant à voir les miroirs des loges au fond du plateau. Le livret d’ Hydrogen Jukebox réunit des poèmes d’Allen Ginsberg, et il n’y a pas vraiment d’histoire. C’est pourquoi Joël Jouanneau a recontextualisé cet ouvrage en en faisant une traversée de toute l’histoire des Etats-Unis, depuis ses origines jusqu’au chaos total à la fin, dénonçant notamment la société consumériste et le monde de l’argent. Le spectacle a touché un public très diversifié et le metteur en scène s’est également appuyé sur ce que l’on était pour le construire, en partant de la drôlerie et des émotions de chacun. Je me souviens par exemple avoir fait le clown avec un parapluie durant une pause, et Joël a exploité ce moment de détente pour une saisissante idée scénique, où je me retrouvais face à mes collègues alignés avec des fusils, tenant un bâton de majorette à la main : tout le paradoxe des Etats-Unis est dans cette image…La tournée est toujours un atout pour un spectacle, nous l’avons joué une quinzaine de fois. De plus, Angers Nantes Opéra a effectué tout un travail de sensibilisation auprès de classes de collèges et de lycées, ce qui a permis à un public plus vaste de mieux aborder l’œuvre. Cette partition de Philip Glass est complètement enivrante, avec un côté mystique qui évoque les musiques traditionnelles africaines.

Aurore Ugolin ©Chantal Casanova

Fragil : Parmi les raretés que vous avez abordées, vous avez interprété en 2010 à Nancy le rôle de Dinah dans Trouble in Tahiti de Leonard Bernstein, le compositeur de Candide et du célébrissime West Side Story. Que raconte cet ouvrage ?

Aurore Ugolin : C’est une œuvre très courte comportant un homme et une femme, un enfant qui ne chante pas et un trio jazzy qui commente l’action. Elle raconte l’histoire d’un couple des années 1950, vivant dans un bonheur apparent avec de l’argent, une voiture et une maison, mais qui n’a pas l’essentiel. L’épouse est très malheureuse parce qu’elle ne se sent pas regardée, n’existant pas vraiment. Comme elle ne travaille pas et dépend de son mari, une scène de ménage éclate au début. Un passage, « What a movie ! », est particulièrement marquant. Il s’agit d’une scène très rythmée, proche de la comédie musicale américaine, où Dinah va au cinéma et se demande quel est ce film plein de clichés qu’elle est en train de voir. Elle dérange tout le monde dans la salle, se met à danser en une véritable explosion où elle lâche tout, parodiant les chansons du film. Le mari et la femme se croisent à la sortie du cinéma ; cette vie ne convient à aucun des deux, et l’ouvrage s’achève sur un point d’interrogation. Le duo final est sublime, et j’ai adoré l’interpréter avec Jean Teitgen qui jouait Sam dans cette production. Bernstein a écrit une suite de cet opéra en 1983, A Quiet Place, dont l’histoire est beaucoup plus sombre.

« Trouble in Tahiti » de Bernstein, avec Jean Teitgen, à l’Opéra de Nancy – Collection personnelle de l’artiste

« La mise en scène de Mireille Larroche transposait l’action dans la réalité de gens précaires d’aujourd’hui »

Fragil : Vous avez également été Margret du Wozzeck d’Alban Berg dans une vision de Mireille Larroche, à l’opéra d’Avignon en 2013. En quoi cette production vous a-t-elle marquée ?

Aurore Ugolin : Cet opéra est d’une grande complexité musicale, et son écriture véhicule autrement les émotions mais une fois que l’on est entré dans cet univers, on en prend plein les oreilles ! C’est dur mais très beau. La mise en scène de Mireille Larroche transposait l’action dans la réalité de gens précaires d’aujourd’hui, dans une décharge de banlieue, dont il subsistait une roulotte. Je jouais une prostituée en difficulté, tandis que les personnages de Wozzeck et d’Andres étaient des éboueurs nettoyant les rues avec des gilets jaunes. J’ai beaucoup aimé cette production, à la fois concrète et proche de nous.

Margret dans « Wozzeck » d’Alban Berg à l’Opéra d’Avignon , avec Philippe Do dans le rôle d’Andres.
©Studio ACM Delestrade.

« J’adorerais faire un autre spectacle avec lui, même s’il n’y avait pas de chant… »

Fragil : Dans un registre différent, vous avez participé à une revue imaginée et mise en scène par Jean-Michel Ribes au Théâtre du Rond-Point en 2016, Par-delà les marronniers. Qu’est-ce qui vous a particulièrement touché dans ce spectacle ?

Aurore Ugolin : Jean-Michel Ribes voulait une meneuse de revue capable de chanter des chansons, y compris lyriques comme des airs de Mozart, et de danser. J’étais la seule chanteuse dans un univers de comédiens, avec  Michel Fau, Hervé Lassince qui avait travaillé avec les Deschiens, Sophie Lenoir, Stéphane Roger et Michel d’Aboville qui venait de recevoir un Molière pour The servant, d’après le film de Joseph Losey. Cette expérience m’a donné envie de me confronter à ces acteurs, pour creuser davantage  le domaine du jeu. J’étais meneuse de revue tout en représentant des allégories, dans un spectacle où les moments musicaux étaient aussi importants que les moments théâtraux, avec beaucoup de  texte. Jean-Michel Ribes et moi sommes devenus amis. C’est un boulimique de travail, qui ne s’arrête jamais d’écrire et de mettre en scène, tout en dirigeant son magnifique Théâtre du Rond-Point à Paris. J’aime son univers, sa rigueur, sa compréhension des textes mais aussi son humour. J’adorerais faire un autre spectacle avec lui, même s’il n’y avait pas de chant…

Avec Michel Fau dans « Par delà les marronniers » de Jean-Michel Ribes au Théâtre du Rond-Point. ©Sigrid Colomyes

« Amneris et une figure de mezzo avec des aigus particulièrement jouissifs, qui font du bien à chanter »

Fragil : Vous chantez aussi le répertoire de Verdi et vous avez notamment incarné Amneris dans Aïda, également en 2016, à Schwerin, en Allemagne. À quoi êtes-vous particulièrement sensible chez ce personnage ?

Aurore Ugolin : J’aime beaucoup explorer la prestance et la complexité de ce personnage. Amneris est d’une grande puissance car elle est fille de roi. C’est pourquoi elle ne comprend pas que son amour soit rejeté par celui qu’elle aime. Elle a beau avoir tout l’argent du monde, elle se révèle déstabilisée, blessée et humaine : c’est une femme sure d’elle qui s’effondre. J’adore ces rôles où l’on peut lâcher les vannes. Amneris et une figure de mezzo avec des aigus particulièrement jouissifs, qui font du bien à chanter. De plus, c’est tellement bien écrit qu’il est impossible de se faire du mal sur ces notes.

Amneris dans « Aïda » de Verdi à Schwerin. ©Manfred Klement

« Kurt Masur a souhaité que je chante cet air avec toute la charge émotionnelle et tout le vide que l’on ressent face à une telle perte »

Fragil : Quelles rencontres ont été particulièrement déterminantes dans votre itinéraire artistique ?

Aurore Ugolin : Le nom qui me vient tout de suite à l’esprit, est celui de Kurt Masur, qui m’a dirigé dans La passion selon Saint Jean de Bach. Je me souviens d’une expérience aussi profonde que déroutante. Ce grand chef d’orchestre m’avait interpellée sur le début de l’air  Es ist vollbracht. Cette toute première phrase est en effet magnifique et doit être habitée dès les premières secondes.  J’étais alors une jeune chanteuse,  j’ai démarré en me préoccupant avant tout du son, soucieuse de bien chanter. C’est alors qu’il m’a brutalement interrompue pour me demander si j’avais perdu un être cher, comme s’il le sentait quelque part. Face au chœur, à tout l’orchestre et aux collègues solistes, j’ai expliqué  que j’avais perdu mon père à l’âge de trois ans. Kurt Masur a souhaité que je chante cet air avec toute la charge émotionnelle et tout le vide que l’on ressent face à une telle perteJ’ai croisé l’une des chanteuses qui était alors dans le chœur il n’y a pas si longtemps, elle se souvenait encore de ce moment, où elle avait eu les larmes aux yeux. Il n’y a pas toujours un Kurt Masur pour nous aider à ne pas rester à la surface des choses. Il m’a appris qu’il faut toujours rester connecté à ses émotions, sans se laisser déborder, et puiser au plus profond de soi. Je n’y arrive pas toujours mais cette notion ne me quitte plus.

Aurore Ugolin devant l’Opéra de Sydney – Collection personnelle de l’artiste

Parmi les personnes qui m’ont marquée, j’aimerais aussi citer Michèle Le Bris, mon professeur au CNSM. Elle a été un véritable pilier en me donnant une vraie notion de ce qu’est la carrière d’un chanteur, en me précisant tous les outils techniques pour que je puisse progresser, tout en considérant les à-côtés essentiels, notamment pour la préparation d’un concours, le travail avec les chefs d’orchestre…tout m’a servi ! Je souhaite aussi évoquer ma mère, qui m’a toujours soutenue, quoi que je veuille faire et quoi qu’il arrive. J’avais fait des études de mathématiques, mais j’ai bifurqué vers le chant, en interprétant Carmen en Guadeloupe, dont je suis originaire.  J’ai reçu, pour ce rôle, la médaille d’honneur de la ville de Deshaies, sur l’île de Basse-Terre. Ce regard de ma mère, qui a toujours cru en moi, m’a donné confiance.

 

Fragil : Quels rôles aimeriez-vous aborder ?

Aurore Ugolin : Le rôle de Didon dans Les troyens d’Hector Berlioz me fait fantasmer ! J’adorerais également chanter Vénus, dans Tannhäuser de Wagner, et la princesse Eboli dans Don Carlo de Verdi. J’ai travaillé ces deux derniers rôles avec Nadine Denize. C’est avec cette grande interprète que j’ai également abordé celui d’Amneris, qui me semblait inaccessible. Elle a su me conduire sur cette voie et m’a convaincue que c’était pour moi. J’aimerais aussi beaucoup jouer un rôle comique, dans une opérette, pourquoi pas dans un ouvrage d’Offenbach…

« Donner accès aux spectateurs à des genres qui vont se croiser, et qu’ils ne connaîtront pas forcément »

Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?

Aurore Ugolin :   Je répète en ce moment un concert-spectacle intitulé  Soûl Opéra – Épisode 1  avec Laurent Delassus, un pianiste de formation classique qui a évolué vers le jazz, la musique soul et la composition, tandis que moi,  je suis restée sur la voie de l’opéra.  C’est un ami de longue date,  nos chemins s’étaient séparés, nous nous sommes retrouvés par hasard  et avons décidé de confronter nos univers musicaux, tout en racontant nos parcours et nos retrouvailles.  Quand l’émotion est là, on se laisse emporter, et c’est très réjouissant ! On espère faire ces concerts à la rentrée, pour donner accès aux spectateurs à des genres qui vont se croiser, et qu’ils ne connaîtront pas forcément. L’un des rôles qui me tient à cœur la saison prochaine est celui de Baba The Turk du Rake’s Progress d’Igor Stravinsky, pour neuf dates à Angers Nantes Opéra et à l’Opéra de Rennes. Je serai aussi Mercedes dans un opéra participatif coproduit par le Théâtre des Champs-Élysées et l’Opéra de Rouen, Carmen, Reine du cirque, d’après Bizet, à l’Opéra d’Avignon. Tout est réuni, dans un dispositif particulier, pour faire découvrir cette œuvre majeure au plus grand nombre.

Aurore Ugolin et le pianiste Laurent Delassus. ©Chantal Casanova

« Je me dis qu’il est essentiel de transmettre des valeurs et de la culture, pour que les jeunes générations puissent aborder la vie avec tout  ce qu’il faut… »

Fragil : Comment avez-vous traversé cette période particulière de pandémie et de fermeture des théâtres, et quels sont vos espoirs ?

Aurore Ugolin : J’ai eu l’impression de passer entre les gouttes…j’ai pu travailler ma voix, chez moi, et j’ai eu un bébé en décembre. C’est peut-être lié à mon tempérament, je me suis très vite mise dans l’action, en m’investissant notamment dans l’association UNISSON, créée au début du premier confinement pour soutenir les artistes lyriques suite aux annulations et aux reports de spectacles, pour se sentir moins seul et trouver comment obtenir un salaire malgré tout.  Dans une situation aussi difficile, les échanges font du bien et on se serre les coudes. Cette association prend forme et il sera important de tenir sur la durée, au-delà de la crise. Le côté positif de la période que nous traversons, c’est de nous avoir fait réaliser que tout n’est pas acquis,  et de se poser des questions sur du long terme en  tentant de nouvelles choses. C’est ainsi que je vais présenter une émission de télévision d’une vingtaine de minutes dès septembre prochain sur une nouvelle chaîne, autour de la musique classique, pour que cet univers devienne plus accessible grâce à des face à face entre des personnes. En tant que jeune maman, je me dis qu’il est essentiel de transmettre des valeurs et de la culture, pour que les jeunes générations puissent aborder la vie avec tout  ce qu’il faut…

Aurore Ugolin et le comédien Eric Génovèse, récitant lors d’un concert au Hong Kong City Hall en 2019 – Collection personnelle de l’artiste

Haut de page : « Didon et Enée » de Purcell à l’Opéra de Sidney. Collection personnelle de l’artiste.

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017