Cet événement autour de la place l’EMI dans le paysage numérique et citoyen s’inscrivait dans deux manifestations : Décryptage, le temps fort de rentrée de l’espace Cosmopolis qui interrogeait cette année « quelle démocratie à l’heure du numérique ? » et la 8ième édition de la Nantes Digital WeeK, le festival numérique de la région Nantaise. Des représentants du VLIPP, de Fragil, du CRIJ, du CLEMI, de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) ainsi que de la ville de Nantes avaient donc répondu à l’invitation. Les propos de Divina Frau-Meigs, sociologue des médias, venaient alimenter le débat par des interventions pré-enregistrées. Le tout était retransmis en live sur Twitch, plateforme streaming vidéo.
Fragil, en tant qu’association Nantaise d’éducation aux médias et au numérique, ne pouvait pas rater cette rencontre. Elle était d’ailleurs présente à double titre, en tant que participante au débat grâce à Merwann Abboud, coordinateur de l’association, mais également dans le public, pour ne pas en perdre une miette et tenter de répondre, elle aussi, à la question de départ posée par les organisateurs « Numérique et citoyenneté, quelle place pour l’éducation aux médias ? ». Avant cela, un état des lieux de l’EMI semblait être nécessaire, puis il a été question d’avenir, et c’est sur ce dernier axe que FRAGIL avait l’oreille particulièrement tendue !
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L’EMI ou l’art de prendre de la hauteur en restant les pieds sur terre
Premiers croisements de regards, première définition synthétique en trois mots clés prononcés lors de cette table ronde. L’EMI c’est à la fois une sensibilisation au fonctionnement des médias et de l’information, une transmission d’outils forgeant l’esprit critique dans la compréhension de son environnement ainsi qu’un accompagnement à l’expérimentation grâce à des supports variés (texte, son, vidéo, dessin…).
C’est ce pas de côté que propose l’EMI qui sert au développement de compétences nécessaires à l’exercice de la citoyenneté : pouvoir faire la part des choses face au déluge d’informations que nous recevons et, selon Merwann Abboud, «ne pas prendre pour argent comptant toute l’info que l’on voit passer ».
Les acteurs de l’EMI se chargent à la fois d’accompagner les publics mais également ceux qui les accompagnent, les professionnels qui ont une fonction d’encadrement.
L’EMI, une réponse face à l’actualité
Après les attentats de 2015 en France, l’EMI est devenue une préoccupation nationale, comme évoqué par la sociologue Divina Frau-Meigs. Et puis, la crise sanitaire est passée par là, amenant un peu plus vers cette prise de conscience, comme le dit Nathalie Jusseaume, coordinatrice du VLIPP, média associatif nantais axé sur la production vidéo : «en changeant un montage vidéo, on peut faire dire n’importe quoi ».
Devant une circulation exponentielle de l’information, des infos et infox confondues et l’impression d’un fossé se creusant entre les journalistes et le public, les acteurs de l’EMI se sont mobilisés, comme le montre ce slogan repris par Loïc Chusseau, président de POP média « Ne haïssez pas les médias, soyez les médias ». Aujourd’hui, leur implication se fait au rythme de l’essor des techniques numériques et des appels à projets (comme ceux lancés par la DRAC ou la ville de Nantes)…
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L’EMI, une discipline populaire qui gagne à être connue
Le constat est sans appel ! L’information et les médias nous concernent toutes et tous !
Certes, le public jeune est une cible privilégiée, comme le rappelle Françoise Laboux, chargée de mission au Centre de Liaison de l’Enseignement et des Moyens d’Information (CLEMI) à l’académie de Nantes. La loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la république a d’ailleurs installé, de manière opérationnelle depuis 2015, l’éducation aux médias dans le programme d’Enseignement Morale et Civique (EMC). Mais le public jeune n’est pas le seul concerné. Laurie Le Brouster et Loïc Chusseau, respectivement responsable EMI et président de l’association POP MEDIA, élargissent le propos en évoquant la nécessité de toucher non seulement les jeunes mais aussi tous les publics, indépendamment de leur âge et/ou de leur condition. C’est d’ailleurs le sens d’un des projets de leur association, « Paroles de quartier ». En effet, l’EMI permet de « donner la parole aux grands invisibles des radars médiatiques » dans les ZEP rebaptisées « Zones d’Expression Prioritaire». Car, au-delà du développement des connaissances liées aux médias et à l’information, l’EMI semble agir à un autre niveau, ce que Laurie Le Brouster évoque lorsque Pascal Massiot pose cette question : « Prendre la parole peut participer à une construction ou une reconstruction de l’estime de soi ?» . Effectivement, il est fort à parier que l’expression, quelle qu’en soit sa forme, permet de prendre confiance, de devenir acteur et de (re)prendre du pouvoir sur sa vie et dans la cité.
L’EMI, un esprit de liberté au service du vivre ensemble
L’EMI favorise cette prise de parole en utilisant une pédagogie active et participative en lien avec l’exercice de la citoyenneté. C’est ainsi que les acteurs présents autour de cette table la conçoivent, comme Françoise Laboux du CLEMI : «on part des sujets des élèves et pas de sujets imposés ». Les publics accompagnés sont ainsi force de propositions et reprennent du pouvoir d’agir. Merwann Abboud illustre cette ligne éducative avec le projet « Grand R » mis en place par l’association Fragil, qui permet d’accompagner des jeunes de la protection Judiciaire de la Jeunesse dans la création de leur propre média d’information sur Instagram et d’en créer les contenus.
Pour Pierre-Adrien Roux, responsable communication et projets numériques au Centre Régional Information Jeunesse (CRIJ) de Nantes, dans l’EMI, il s’agit vraiment d’accompagner les pratiques. Mettre de l’information à disposition, c’est bien, donner des outils aux jeunes pour s’orienter dans ces informations afin qu’ils puissent ensuite avoir des repères pour le faire seuls, c’est mieux.
L’EMI, un moyen de faire du lien
Ce pont entre Numérique et citoyenneté parait presque évident. Ghislaine Rodriguez, élue à la Mairie de Nantes, pose l’idée que « pour pouvoir travailler sur la citoyenneté, il faut avoir accès au numérique ». Pour cette raison et pour faire face à la fracture numérique, la ville est en train de déployer des aides pour équiper les foyers qui ne le seraient pas déjà. Pour cela, elle s’appuie sur des associations Nantaises œuvrant dans le recyclage d’équipements technologiques, comme Nâga, ALIS 44…. Un moyen, au passage, de sensibiliser à des usages responsables, car le numérique porte aussi un enjeu écologique.
De leur coté, les acteurs de terrain utilisent des médiations variées pour pratiquer l’EMI, comme le rappelle Laurie Le Brouster : «Dans média, il y a médiation ». Celles utilisées par les participants à cette table ronde sont diverses: podcast (POP MEDIA), vidéo (VLIPP), webzine (Fragil)… Chacune a sa spécificité mais toutes ont en commun d’être accessibles au plus grand nombre, dans l’ère du temps et d’évoluer au fur et à mesure qu’évoluent les pratiques dans le numérique.
Et puis, qui dit médiation dit lien social… Des initiatives comme, pour n’en citer qu’une, les résidences de journalistes soutenues par la Direction Régionale de Affaires Culturelles (DRAC), permettent depuis 2016 de déployer différents types de médiation en ville comme en campagne, de créer du débat, de rapprocher des territoires et des populations. Des initiatives possibles, notamment, grâce au plan éducation média qui a conduit à un doublement des projets et des financements en 2018.
La place de l’EMI entre numérique et citoyenneté, une question à suivre…
Au sortir de cette table ronde, impossible de se dire que l’EMI n’a pas sa place entre numérique et citoyenneté, et peut-être se trouve-t-elle à la croisée des chemins.
Le grand nombre d’acteurs engagés autour de l’agglomération Nantaise révèle toute la richesse des actions de l’EMI sur ce territoire, mais amène également de la complexité. Pierre-Adrien Roux, du CRIJ, note en effet une « difficulté à se coordonner », un « besoin d’une réflexion commune » voire « d’un lieu commun », ce que Ghislaine Rodriguez, de la ville de Nante,s entend et partage. Dans cet esprit collaboratif, Françoise Laboux propose de partager le référentiel EMI du CLEMI avec l’ensemble de associations présentes. Loïc Chusseau, président de POP média, évoque, de son côté, le système d’appels à projet qui organise aujourd’hui, en grande partie, l’activité des associations. Ce système, s’il reste intéressant car stimulant, vient complexifier l’organisation des associations en terme de charge de travail, de financements et de projections sur l’avenir. En réponse, Christophe Poilane, conseiller action culturelle et territoriale à la DRAC, énonce qu’il y a probablement quelque chose à « réfléchir sur cette question… » à l’échelle locale et régionale, pour pouvoir passer du ponctuel au planifié.
Cette table ronde qui, au départ, aurait pu laisser penser à un choc des cultures entre financeurs et acteurs de terrain, s’est avérée être un dialogue équilibré entre acteurs concernés par l’EMI. Un seul constat : tout le monde semblait parler la même langue, ce qui a eu pour effet de rendre le propos accessible et, surtout, de faire émerger des idées pour envisager l’avenir.
Dynamisme et effervescence, voilà en deux mots l’esprit de cette table ronde à l’image de ce qu’il se passe derrière nos écrans! Faire de l’EMI aujourd’hui suppose d’être dans une veille permanente comme l’évoque Nathalie Jusseaume du VLIPP. Chaque année voit arriver son lot de nouvelles pratiques en lien avec de nouvelles plateforme, de nouveaux réseaux sociaux… Une toile d’araignée qui n’en finit pas de s’étendre, comme le fera remarquer un journaliste du magazine Les Autres Possibles présent dans le public.
Même si l’année 2022 s’annonce dans la continuité d’un système qui semble rodé avec des actions qui fonctionnent, les idées sorties de ce débat montrent que l’EMI n’en a pas fini de s’étendre, de s’organiser et de faire parler d’elle, à l’image de cette question du public interrogeant les collaborations à l’échelle européenne. Et si la question n’était pas « quelle place pour l’EMI ? » mais plutôt « l’EMI a-t-elle assez de place ?» pour faire face aux enjeux du numérique et de la citoyenneté ?
Pour aller plus loin, quelques ressources citées par les participants et participantes:
https://www.ritimo.org/
https://30secondes.org/