Le cyberharcèlement, il faut oser en parler ! Lundi 10 et Mercredi 12 janvier, Fragil était à l’EREA (Établissement Régional d’Enseignement adapté) de Nantes pour échanger sur ce sujet avec deux groupes de jeunes en CAP horticulture et MLDS (jeunes accompagnés par la mission de lutte contre le décrochage scolaire). La thématique de la violence sur les réseaux sociaux a été abordée au cours de deux ateliers de deux heures chacun. Une manière d’ouvrir un espace de parole et de leur proposer des pistes de réflexion et d’action contre la haine en ligne.
Les adolescent.es s’assoient en demi-cercle devant l’animatrice. « Veuillez ranger vos smartphones », leur intime l’un.e des trois professeur.es qui ont assisté à l’atelier. Le téléphone portable est devenu un essentiel pour chacun.e. Tous et toutes possèdent de quoi naviguer sur internet et rares sont ceux et celles qui ne sont pas actif.v.es sur les réseaux sociaux. Défendre son opinion sur Twitter, regarder la dernière vidéo virale sur Tik Tok, s’informer des dernières tendances sur Instagram : l’usage croissant des outils numériques comme moyen de communication engendre parfois des dérives concernant leur utilisation. Le cyberharcèlement en fait partie.
Définir le cyberharcèlement : une étape essentielle pour mieux l’identifier
Parfois, il est aisé de le reconnaître ; parfois, il est plus insidieux et un internaute peut, sous couvert de plaisanterie, persécuter virtuellement un autre internaute. Le cyberharcèlement, pour le comprendre, il faut d’abord le définir. L’animatrice enjoint chaque individu du groupe à s’exprimer : « au cours de cet atelier, je vais vous donner la parole et j’espère que vous allez la prendre », leur explique-t-elle. L’atelier s’ouvre ainsi sur une discussion au cours de laquelle chacun.e est invité.e à partager sa propre conception du terme.
Cyberharceler, c’est « moquer, insulter », « avoir des propos déplacés » sur internet, Instagram, Twitter, par messages privés, plusieurs fois. L’animatrice note les propositions des élèves au tableau. Les élèves ont ensuite pu visionner une vidéo intitulée « 1 jour une question : c’est quoi le cyberharcèlement ? » qui a permis de préparer le terrain en caractérisant le cyberharcèlement comme une série d’humiliations (insultes, commentaires malveillants) subies virtuellement par la victime, sur les réseaux ou par SMS. Le rôle des témoins a aussi pu être abordé. La vidéo a ainsi introduit la suite de l’atelier.
Autour du mot, la parole se libère sur le cyberharcèlement
Appelé « Autour du mot », l’exercice consiste à élaborer un nuage de mots autour du concept de cyberharcèlement afin de mieux cerner les enjeux que ce phénomène cause aux adolescent.e.s. L’atelier est souvent proposé afin d’ouvrir un espace d’échange et de débat autour d’une notion précise. Au début, les adolescent.es hésitent. « il n’y a pas de mauvaise réponse. C’est votre avis », les encourage l’animatrice, crayon à la main. La parole se libère alors peu à peu : « combat », suggère un élève. « Suicide », lance un.e autre. L’animatrice acquiesce : « Ça peut être des sentiments aussi, des ressentis », assure-t-elle. Une élève prend la parole : « je dirais de la haine », fait-elle du bout des lèvres. Bientôt, les mots écrits au tableau viennent former une bulle autour du terme central. Parmi les plus évoqués par les jeunes, la solitude, la dépression et la confiance en soi (que l’on peut perdre en tant que victime). Des mots parfois crus dévoilant une réalité menant à des situations dramatiques.
L’intervenante a ensuite invité les jeunes à choisir chacun.e un mot qu’iel voulait garder, et à l’inverse un autre qu’iel souhaiterait enlever de la liste. Un exercice de sélection qui constitue en réalité un prétexte pour susciter le débat parmi les membres du groupe. Les professeurs, enthousiastes, se sont également prêtés au jeu. Un garçon se décide : « j’enlève suicide », dit-il. Un.e camarade poursuit : « moi je garde suicide mais j’enlève combat ». Une jeune fille hésite ; « si je devais en choisir un seul je dirais dépression », fait-elle finalement. L’un des professeurs prend la parole : « J’enlèverais peur », suggère-t-il. « bah non faut le garder peur », réagit un élève, cette opposition éveillant l’intérêt de l’animatrice : « on va commencer par peur », propose-t-elle.
« Quand on se met à la place d’une victime il peut avoir peur de la personne et cette peur peut mener à la solitude, la dépression, la perte de confiance en soi », entend-on à l’autre bout de la salle. L’intervenante se tourne alors vers l’élève qui avait proposé « peur » un peu plus tôt en lui demandant pourquoi ce terme est selon elle important pour définir le cyberharcèlement. La jeune fille répond avec conviction : « la plupart des gens disent qu’avoir peur c’est mal alors qu’avoir peur, ça te montre que tu dois te méfier de quelque chose. La peur te protège », enchaîne-t-elle avec maturité. La remarque donne une autre direction au débat : « souvent dans le cyberharcèlement la peur c’est la peur de parler », poursuit quelqu’un d’autre, mettant l’accent sur le silence potentiel des victimes. Finalement, parmi tous les mots affichés au tableau, la notion de combat ne fait pas l’unanimité. Elle finira pourtant par devenir un important élément de réflexion. L’animatrice ouvre le débat : « vous êtes cinq à avoir dit d’enlever combat », fait-t-elle remarquer au groupe. L’élève ayant proposé le terme justifie son choix : « C’est un peu de tout, lance-t-il d’un ton désabusé. Quelqu’un qui se moque de toi, à un moment donné, voilà », poursuit-il après un moment d’hésitation, évasif. Une élève se manifeste : au-delà de la violence physique, le combat peut aussi se manifester lorsque l’on s’oppose intérieurement à la haine en ligne. Ainsi, « on se débat contre ce cyberharcèlement sans vraiment aller taper la personne », explique-t-elle au reste du groupe.
L’un des professeurs prend alors la parole : « je suis étonné que solitude ne remonte pas plus que ça », fait-il remarquer à ses élèves. En effet, comme expliqué plus tôt dans la vidéo, la personne harcelée est souvent mise de côté par le groupe, qu’il s’agisse des persécuteurs ou encore des témoins. Une jeune fille s’exprime alors : « pour moi tout le monde n’est pas seul. Il y a beaucoup de personnes qui ont quelqu’un pour leur faire remonter la pente, même si on n’est pas amis, même que ce n’est pas un parent ou un prof », ajoute-t-elle avec espoir. L’activité aura permis de libérer la parole autour de la haine. Nous avons remarqué que les différents propos qui ont été tenus par le groupe s’exerçait surtout à décrire les conséquences du cyberharcèlement sur la victime, notamment psychologiques, preuve que les élèves sont sensible aux enjeux personnels et interpersonnels de ces problématiques.
Mise en situation : que puis-je faire à mon niveau ?
L’atelier se poursuit avec une autre activité. L’intervenante a fait disposer les tables de la salle en îlots tandis que les élèves ont été invités à se mettre par groupes de trois à six. Ils sont ensuite mis face à une situation fictive comme celle de Sofia sur la photo ci-dessus. Deux objectifs ont été donnés aux élèves : l’identification du problème que pose la situation (qu’est-ce qui ne va pas?) et les solutions possibles à ce problème selon le rôle dans lequel on se place (parent ? Ami ? Professeur ? Etc.). Les élèves ont été placés dans un processus d’empathie (se mettre à la place de), ce qui leur a permis de débattre sur plusieurs questions : Quand doit-on intervenir ? Faut-il directement, en tant qu’ami de la victime, se confronter au harceleur ? Doit-on attendre le consentement de la victime avant de l’aider à résoudre la situation ? Autant de problématiques délicates auxquelles les adolescent.es sont confronté.es au quotidien, sur les réseaux sociaux comme dans la vie de tous les jours.
Peu à peu, l’atelier prend la forme d’un véritable dialogue, permettant de faire émerger de nombreuses idées, solutions mais aussi idées reçues. Ainsi, les hypothèses fusent dans la salle : « elle sort pas beaucoup de chez elle le week-end, pourtant elle a des amies au lycée mais elle n’en parle pas avec sa famille », s’étonne un jeune. À propos d’une jeune fille passant ses journées sur son compte Instagram et refusant d’en parler à sa famille, une adolescente prend le parti de la méfiance : « si elle ne montre rien, c’est qu’elle a quelque chose à cacher. », avance-t-elle. Du côté des solutions, si en tant qu’ami.e, aller voir directement le harceleur ou la harceleuse semble dangereux ou plutôt périlleux, il existe des alternatives à la confrontation directe. Une jeune fille propose de choisir la communication avec la personne harcelée : « je vais essayer de la comprendre. Je ne me mets pas à sa place parce que c’est impossible », affirme-t-elle en toute franchise. Plusieurs pistes de réflexion ont pu émerger de ce dialogue : soutenir la victime, l’inciter à demander de l’aide sans faire les choses à sa place ou encore l’accompagner dans ses démarches.
En tant que parent, on peut également mener une enquête, comme le suggère l’animatrice : il est en effet possible de le faire sans forcément s’introduire dans la vie privée de la personne via son téléphone portable. Parmi les pistes proposées, la communication d’abord, et le cas échéant, « se renseigner au collège, avec ses amis, avec ses frères et sœurs ». En tant que victime, consulter un psychologue semble également être une démarche salvatrice pour certain.es, même s’il faut concéder que certain.es élèves ne sont pas à l’aise avec cette idée : « les psychologues c’est des inconnus, tu les connais pas, tu sais pas qui ils sont, explique une adolescente. Même les profs on met des limites même si on s’entend bien avec eux », conclut-elle. Un tabou que l’un de leurs professeurs les invite à franchir : « le problème c’est que dès qu’on évoque le psychologue ça devient un gros mot, se désole-t-il. Aller voir le psychologue ça ne veut pas dire que tu es malade, il peut te donner des clés pour te sortir d’une situation », explique-t-il au groupe.
L’atelier s’est terminé sur un diaporama. Le but était d’expliquer aux élèves que le harcèlement en ligne faisait l’objet de sanctions pénales (de trois à dix-huit mois d’emprisonnement et 45 000 à 75 000 euros d’amende) et que plusieurs outils étaient mis à disposition par le gouvernement pour se défendre contre la haine en ligne. Ainsi, saisir la CNIL leur permet de réclamer l’effacement des données illicites. Pharaos, quand à elle, est une plateforme en ligne permettant à chacun de signaler des contenus illicites à la police. Des pistes concrètes qui peuvent informer les élèves sur leurs droits et les accompagner dans la prévention et la lutte contre le cyberharcèlement.