17 mars 2022

A Virxe Roxa ou l’histoire incroyable de la Vierge Rouge au Festival du cinéma espagnol

Avec ce documentaire, Virxe Roxa, Marco Nine a revisité l’histoire d’Aurora Rodriguez, cette mère féministe aux idées révolutionnaires, qui a tué sa fille parce qu’elle échappait à son contrôle. Des faits qui remontent à 1933 et qui continuent de faire couler beaucoup d’encre.

A Virxe Roxa ou l’histoire incroyable de la Vierge Rouge au Festival du cinéma espagnol

17 Mar 2022

Avec ce documentaire, Virxe Roxa, Marco Nine a revisité l’histoire d’Aurora Rodriguez, cette mère féministe aux idées révolutionnaires, qui a tué sa fille parce qu’elle échappait à son contrôle. Des faits qui remontent à 1933 et qui continuent de faire couler beaucoup d’encre.

Il ne s’agit pas d’un fait divers banal. L’histoire d’Aurora Rodriguez Carballeira est extraordinaire car elle avait un projet à la mesure de son délire : émanciper les enfants d’ouvriers par l’éducation.

Aurora s’est beaucoup inspiré des idées anarchistes de penseurs comme Fourier ou Proudhon. Elle voulait créer des familistères, sorte de colonies où l’on scolariserait les enfants d’ouvriers dès le plus jeune âge pour en faire des maîtres à penser. Elle a aussi été influencée par des révolutionnaires socialistes qui prônaient l’indépendance de Cuba comme Macéo et Rizal.


Hildegart, une poupée manipulée par sa mère Aurora

La fille poupée

Et finalement, elle a expérimenté sa théorie sur sa propre fille Hildegart, qui signifiait pour elle «les jardins de la sagesse». A 11 ans, Hildegart parlait couramment plusieurs langues et suscitait l’admiration d’Einstein, de Freud et de H.G Wells. A 15 ans, sa célébrité dépassait les frontières de l’Espagne. Elle est devenue Vice-Présidente des Jeunesses Socialistes, a donné des conférences et fondé avec sa mère la Ligue pour la Réforme sexuelle sur des bases scientifiques. Une carrière fulgurante pour celle que l’on a surnommée « la Vierge Rouge » et qui prônait des idées féministes : la libération sexuelle, la contraception, l’émancipation dans le couple et la société dominée par les hommes.

Mais Aurora est une mère très exigeante, quasi tyrannique, en tout cas castratrice. Elle est obsédée par la réussite et l’accomplissement de sa fille au point d’en faire sa chose, une marionette que l’on manipule. Quand Hildegart se rebelle et veut rejoindre Londres pour prendre son indépendance, sa mère la tue de quatre balles de revolver.

Dans le documentaire, le geste d’Aurora est justifié par plusieurs  craintes, celles de voir sa fille trahir son  idéal d’émancipation et celui de devenir une espionne manipulée par les anglais.

L’eugénisme marqué par son époque

Dans « A Virxe Roxa », l’un des documentaires programmés par le Festival du cinéma espagnol, ,  Marcos Nine insiste beaucoup sur le contexte qui pousse les deux femmes à prôner de telles idées avant-gardistes.

«Vouloir créer un être supérieur pour sauver la classe ouvrière est un idéal qui s’explique lorsque l’on comprend l’époque dans laquelle vivent ces deux femmes» analyse le jeune réalisateur. «La révolution industrielle a fait germer chez Aurora cette utopie que l’on pouvait reproduire mécaniquement des êtres humains pour les rendre meilleurs».

Un procès politisé

Lors de son procès, Aurora a déchaîné les passions politiques à travers les avocats et psychiatres respectifs. Le documentaire le montre très bien. La gauche plaidait la folie d’Aurora, a paranoïa, ce qu’Aurora niait en bloc. Tandis que la droite dénonçait son fanatisme, son acharnement à défendre l’eugénisme, c’est-à-dire à fabriquer des enfants parfaits avec des méthodes rationnelles. et de conclure en généralisant le propos : à gauche, toutes les mère veulent détruire leurs enfants. Sous-entendu : à droite, les mères leur enseigne les bonnes valeurs chrétiennes. Aurora a eu beau crier au complot, elle n’a pas été entendue.

Le documentaire pointe aussi la partialité du procureur, un homme de droite. Dans un livre écrit après le procès, il a affirmé que le père d’Hildegart était un marin anglais alors qu’il est établi que c’était un curé. Un mensonge pour cacher une liaison illégitime et qui selon les propos rapportés par Marcos Nine en cacherant bien d’autres … mensonges.

«Aurora a été instrumentalisée politiquement» estime Marcos Nine. «Pour moi, elle a été jugée comme un bourreau mais elle a aussi été mise à l’écart de son procès. Elle a été victime de cette politisation».

La science au service de la création d’un être supérieur

Un internement à vie

Pour la monstruosité de son acte, Aurora Carballeira a été condamné à 26 ans de prison. Mais en fait elle a pris perpétuité. Les médecins l’ont considérée comme folle. Accusée de paranoïa et de schizophrénie, elle a été enfermée jusqu’à la fin de ces jours à l’asile de Ciempozuelos.

Aurora va finir par reconnaître sa démence mais jusqu’à la fin,  elle est restée cohérente avec sa théorie utopiste, celle de vouloir reproduire mécaniquement les méthodes appliquées à sa fille. A Ciempozuelos, elle s’est mise à fabriquer des poupées qu’elle manipulait, comme elle avait réduit sa fille à un objet. Les médecins ont appelé ce phénomène le syndrome de Frankentein.  Un syndrome qui a inspiré Almuneda Grandes pour écrire son roman « La madre de Frankesnstein ».

Cette histoire hors du commun a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs livres dont celui de Fernando Arrabal «La Vierge rouge» et d’autres films comme celui de Fernando Fernán Gómez «Mi hija Heldegart». Le documentaire de Marcos Nime, « A Virxe Roxa » est à découvrir au Katorza.

Quand on a été journaliste pendant plus de 30 ans à France 3, que l'on s'est enrichi de belles rencontres et de découvertes, on a envie de continuer à partager sa curiosité et son ouverture d'esprit avec d'autres. En travaillant bénévolement à Fragil, on peut continuer à se cultiver en toute liberté. Ca donne du sens à un retraité devenu journaliste honoraire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017