Il ne s’agit pas d’un fait divers banal. L’histoire d’Aurora Rodriguez Carballeira est extraordinaire car elle avait un projet à la mesure de son délire : émanciper les enfants d’ouvriers par l’éducation.
Aurora s’est beaucoup inspiré des idées anarchistes de penseurs comme Fourier ou Proudhon. Elle voulait créer des familistères, sorte de colonies où l’on scolariserait les enfants d’ouvriers dès le plus jeune âge pour en faire des maîtres à penser. Elle a aussi été influencée par des révolutionnaires socialistes qui prônaient l’indépendance de Cuba comme Macéo et Rizal.
La fille poupée
Et finalement, elle a expérimenté sa théorie sur sa propre fille Hildegart, qui signifiait pour elle «les jardins de la sagesse». A 11 ans, Hildegart parlait couramment plusieurs langues et suscitait l’admiration d’Einstein, de Freud et de H.G Wells. A 15 ans, sa célébrité dépassait les frontières de l’Espagne. Elle est devenue Vice-Présidente des Jeunesses Socialistes, a donné des conférences et fondé avec sa mère la Ligue pour la Réforme sexuelle sur des bases scientifiques. Une carrière fulgurante pour celle que l’on a surnommée « la Vierge Rouge » et qui prônait des idées féministes : la libération sexuelle, la contraception, l’émancipation dans le couple et la société dominée par les hommes.
Mais Aurora est une mère très exigeante, quasi tyrannique, en tout cas castratrice. Elle est obsédée par la réussite et l’accomplissement de sa fille au point d’en faire sa chose, une marionette que l’on manipule. Quand Hildegart se rebelle et veut rejoindre Londres pour prendre son indépendance, sa mère la tue de quatre balles de revolver.
Dans le documentaire, le geste d’Aurora est justifié par plusieurs craintes, celles de voir sa fille trahir son idéal d’émancipation et celui de devenir une espionne manipulée par les anglais.
L’eugénisme marqué par son époque
Dans « A Virxe Roxa », l’un des documentaires programmés par le Festival du cinéma espagnol, , Marcos Nine insiste beaucoup sur le contexte qui pousse les deux femmes à prôner de telles idées avant-gardistes.
«Vouloir créer un être supérieur pour sauver la classe ouvrière est un idéal qui s’explique lorsque l’on comprend l’époque dans laquelle vivent ces deux femmes» analyse le jeune réalisateur. «La révolution industrielle a fait germer chez Aurora cette utopie que l’on pouvait reproduire mécaniquement des êtres humains pour les rendre meilleurs».
Un procès politisé
Lors de son procès, Aurora a déchaîné les passions politiques à travers les avocats et psychiatres respectifs. Le documentaire le montre très bien. La gauche plaidait la folie d’Aurora, a paranoïa, ce qu’Aurora niait en bloc. Tandis que la droite dénonçait son fanatisme, son acharnement à défendre l’eugénisme, c’est-à-dire à fabriquer des enfants parfaits avec des méthodes rationnelles. et de conclure en généralisant le propos : à gauche, toutes les mère veulent détruire leurs enfants. Sous-entendu : à droite, les mères leur enseigne les bonnes valeurs chrétiennes. Aurora a eu beau crier au complot, elle n’a pas été entendue.
Le documentaire pointe aussi la partialité du procureur, un homme de droite. Dans un livre écrit après le procès, il a affirmé que le père d’Hildegart était un marin anglais alors qu’il est établi que c’était un curé. Un mensonge pour cacher une liaison illégitime et qui selon les propos rapportés par Marcos Nine en cacherant bien d’autres … mensonges.
«Aurora a été instrumentalisée politiquement» estime Marcos Nine. «Pour moi, elle a été jugée comme un bourreau mais elle a aussi été mise à l’écart de son procès. Elle a été victime de cette politisation».
Un internement à vie
Pour la monstruosité de son acte, Aurora Carballeira a été condamné à 26 ans de prison. Mais en fait elle a pris perpétuité. Les médecins l’ont considérée comme folle. Accusée de paranoïa et de schizophrénie, elle a été enfermée jusqu’à la fin de ces jours à l’asile de Ciempozuelos.
Aurora va finir par reconnaître sa démence mais jusqu’à la fin, elle est restée cohérente avec sa théorie utopiste, celle de vouloir reproduire mécaniquement les méthodes appliquées à sa fille. A Ciempozuelos, elle s’est mise à fabriquer des poupées qu’elle manipulait, comme elle avait réduit sa fille à un objet. Les médecins ont appelé ce phénomène le syndrome de Frankentein. Un syndrome qui a inspiré Almuneda Grandes pour écrire son roman « La madre de Frankesnstein ».
Cette histoire hors du commun a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs livres dont celui de Fernando Arrabal «La Vierge rouge» et d’autres films comme celui de Fernando Fernán Gómez «Mi hija Heldegart». Le documentaire de Marcos Nime, « A Virxe Roxa » est à découvrir au Katorza.