19 mai 2022

« Là-haut » de Maurice Yvain : Dans les contours d’un rêve…

Le Théâtre de l’Athénée à Paris a affiché en mars 2022 « Là-haut » de Maurice Yvain, dans une mise en scène brillante et imaginative de Pascal Neyron : un spectacle qui fait du bien et mérite de nombreuses reprises !

« Là-haut » de Maurice Yvain : Dans les contours d’un rêve…

19 Mai 2022

Le Théâtre de l’Athénée à Paris a affiché en mars 2022 « Là-haut » de Maurice Yvain, dans une mise en scène brillante et imaginative de Pascal Neyron : un spectacle qui fait du bien et mérite de nombreuses reprises !

Créé en 1923 au Théâtre des Bouffes Parisiens, Là-Haut est une opérette de Maurice Yvain (1891-1965) qui raconte l’extravagante arrivée au paradis d’Évariste, disparu le jour de ses 33 ans. Les situations cocasses du livret d’Yves Mirande et Gustave Quinson s’enchaînent au rythme d’une pièce de Feydeau, où les personnages ne sont jamais à la bonne place, tandis que l’ouvrage reflète la légèreté et l’insouciance retrouvées des années folles, de 1920 à 1929 entre les deux guerres mondiales. On parvient même ici à rire de la mort malgré la proximité de la catastrophe. Maurice Yvain possède un sens de la mélodie, du rythme et des ensembles, tout en jouant avec virtuosité sur les mots des paroles d’Albert Willemetz, son fidèle collaborateur. C’est Maurice Chevalier qui a créé le rôle d’Évariste et certains passages ont l’énergie de numéros de Music-hall. Le compositeur a été redécouvert en 2003 au cinéma, grâce à Alain Resnais qui a adapté son opérette Pas sur la bouche (1925) dans un film récompensé par trois César. Là-haut a été représenté à l’Opéra de Nantes en novembre 1982, dans une mise en scène d’Odette Lost. La troupe réunie au Théâtre de l’Athénée restitue, avec l’Orchestre des Frivolités Parisiennes, tout l’éclat de cette œuvre dans une interprétation d’une haute qualité musicale et vocale, sous la direction pleine de verve et de belles nuances de Nicolas Chesneau. On se réjouit de retrouver Maurice Yvain au prochain Festival de Saint-Céré, où la compagnie Les Brigands, qui a déjà monté Ta bouche (1922) en 2004, reprendra Yes ! (1928) au Théâtre de l’Usine entre le 5 et le 12 août.

Paradis festif

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…une réjouissante chorégraphie exprimant tout l’émerveillement d’être sur le plateau.

Tout commence par la fête d’anniversaire d’Évariste Chanterelle, avec champagne, pièce montée, fanfare, et rideau à paillettes argentées à l’arrière-plan, où le roi de la soirée s’effondre avec exubérance en appelant sa maman. Il se retrouve au paradis, dans une salle d’attente baignant dans une lumière blanche, où les nouveaux arrivants portent des peignoirs comme dans un établissement thermal, des écrans de télévision placés au- dessus d’eux diffusant des images en noir et blanc des nouvelles d’en bas. Les parodies de chants religieux prolongent cependant le climat joyeux, tel le chœur d’entrée, « Nous sommes les anges du Seigneur, nous chantons ses louanges tous en chœur » ou, plus loin, cette chanson enfiévrée dont la mélodie est annoncée dès l’ouverture, « Ose Anna… », évoquant une scène de cabaret avec son rideau doré. Évariste est accueilli par Saint Pierre, « C’est ainsi qu’un tas de sacripants entrent au ciel rien qu’en frappant ». Il retrouve Maud, la meilleure amie de sa femme, qui peut désormais lui déclarer son amour. L’inventaire des questions sur cette nouvelle vie dans l’au-delà explose sur une réjouissante chorégraphie exprimant tout l’émerveillement d’être sur le plateau. Une autre image d’un paradis plus libre est aussi suggérée dans l’air, « Le premier, le seul, le vrai paradis, c’est Paris », éclatante réminiscence d’un final de revue. Évariste demande à Frisotin, l’ange gardien de sa femme, le droit de descendre avec lui sur terre pour la revoir. Maud, qui n’a jamais connu l’amour, se joint à l’expédition et Saint Pierre leur donne sa permission, s’ils reviennent à minuit.

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…un parcours initiatique reflétant une période où l’on se cherche tout en essayant de se perdre.

Évariste a désormais une vue privilégiée sur ce qui se passe en son absence et il aperçoit, juste avant de descendre, Paris, l’Avenue du Bois et une dame vêtue de noir et accompagnée du cousin Martel qui lui prend la main. Cette figure de Martel, le fils du gros industriel, est récurrente dans les ouvrages de Maurice Yvain ; elle est aussi citée dans un ensemble de Ta bouche. C’est ainsi qu’Évariste découvre qu’il est cocu, Frisotin lui rappelant qu’il n’est plus rien qu’un bienheureux. Une auréole bleutée descend des cintres pour accompagner la descente sur terre, des variations de couleurs variant les ambiances. Au début du deuxième acte, le rideau à paillettes de l’arrière-plan est désormais bleu argenté et se décline en mauve. On chante un requiem, Évariste retrouvant la place du défunt que l’on veille. Les langues se délient et Martel déclare sa flamme à Emma, la dame en noir, en tenant une bougie à la main face au lit de mort sur lequel on a posé une bouteille de vin. La chambre mortuaire est le théâtre d’un réjouissant désordre, où chacun tente de régler ses comptes dans un tourbillon de lumières multicolores. Les péripéties surréalistes s’enchaînent sur un rythme endiablé avec des effets de surprise, comme cet éveil du trépassé qui se redresse. La troupe réunie s’investit avec une belle énergie dans cette folie de chaque instant et tous sont à citer, de Mathieu Dubroca, à la présence charismatique dans le rôle d’Evariste à Judith Fa, Emma au fort tempérament, en passant par Richard Delestre, très créatif dans le rôle de Frisotin et Olivier Podesta, qui incarne Martel après de nombreux rôles de comédies musicales. Lors de la représentation du 27 mars, Anne-Aurore Cochet, merveilleuse Blanche-Marie dans Les p’tites Michu d’André Messager à Angers Nantes Opéra en 2018, remplaçait Clarisse Dalles, souffrante, dans le personnage touchant de Maud. Par-delà le délire des situations, les personnages accomplissent un parcours initiatique reflétant une période où l’on se cherche tout en essayant de se perdre.

Initiation loufoque et burlesque

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Dans un mouvement inverse de l’histoire d’Orphée et Eurydice, Évariste ramène son épouse dans le monde des morts.

Malgré l’assiduité du cousin Martel, Emma aime toujours Évariste, qui s’efforce de la reconquérir. Elle l’avoue dans un chant d’une douce nostalgie et teinté de superbes aigus, « Mais je l’aime encor, d’un amour si fort », pendant que son ange Gardien, dans un état d’ébriété, lui fait des avances à la manière de grands auteurs. Richard Delestre montre toute sa virtuosité dans cette scène comique dédiée à Emma, « Aime-moi Emma », où il se réfère dans un premier temps à Jean de La Fontaine, « Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre », puis à Paul Verlaine, «Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches », avant de se lancer dans une série d’improvisations à la demande du public, à la manière de Shakespeare puis de Philippe Katerine. C’est alors que minuit sonne. Le temps se fige et s’affole autour d’un tout petit détail, d’une incertitude de deux minutes avant ou après l’heure fixée par Saint Pierre pour le retour au paradis. Dans un trio rapide au rythme d’une horloge ou de battements de cœur, les notes se chevauchent et se dérobent tout en jouant avec les sonorités, comme dans les moments de stupeur d’opéras de Rossini, tels le sextuor de Cenerentola ou le duo entre Figaro et Almaviva du Barbier de Séville. Dans la parodie d’une scène d’opéra avec des éclairs, la confusion est extrême, « Mes amis pas tant de bruit, tant de cris, il fait nuit ». Emma veut également monter au ciel, ainsi que le cousin Martel et la bonne toulousaine. Dans un mouvement inverse de l’histoire d’Orphée et Eurydice, Évariste ramène son épouse dans le monde des morts.

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Le paradis est également plongé dans un désordre annonçant Ionesco et le théâtre de l’absurde.

Le paradis est également plongé dans un désordre annonçant Ionesco et le théâtre de l’absurde. Les chaises sont désormais au plafond, les images projetées sur les écrans de télévision sont brouillées et on fume dans l’au-delà. Le maître des lieux se montre très en colère contre les retardataires, malgré le vin ramené par Frisotin. D’un coup de théâtre à l’autre, on apprend qu’Emma attend un enfant. Il y a des effusions, des embrassades, mais on n’embrasse pas Saint Pierre ! On retrouve alors la fête d’anniversaire du début dans une nouvelle teinte de paillettes argentées. Tout cela n’était qu’un rêve qui permet, malgré tout, de se réconcilier ici-bas en sachant voir ce qui est essentiel. Tel un Deus ex machina baignant dans du champagne, un oncle qu’on avait oublié, aux mêmes traits que Saint Pierre, arrive avec une petite somme d’argent et s’installe à Paris. Dans un ultime tourbillon, tous ces égarements de la fête et de l’ivresse trouvent leur résolution dans l’urgence d’un bonheur retrouvé : ce spectacle procure une telle joie !

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Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017