«Sur cette gravure, j’ai voulu raconter ce qui est arrivé à un de mes oncles qui allait chercher fortune aux Etats-Unis» explique Alondra Alonso Alvarez qui expose une trentaine de lithographies à l’Espace Cosmopolis intitulées «Mi huida», traduction ma fuite .
Son oncle avait voulu traverser le Rio grande. Il s’était déshabillé et avait mis ses affaires dans un balluchon mais le courant a emporté le paquet et il s’est retrouvé nu dans le désert. Cette tristesse et cette désolation, elle a voulu la retracer en imaginant une scène où un homme se tient courbé, seul, face à l’immense rivière.
«Pour la dessiner, j’ai demandé à un ami de se mettre dans la position d’un homme qui pleure la disparition d’un précieux trésor» précise Alondra.
Un peu plus loin, c’est une jeune mère de famille, perdue au milieu de nulle part qui s’enfuie avec son bébé dans les bras.
«J’ai conçue cette scène pour montrer la tragédie que vivent tous ces migrants qui risquent leur vie pour franchir la frontière» indique Alondra. «Je suis maman d’une petite fille de deux ans et je ne voudrais pas avoir à vivre cette situation» poursuit-elle.
En colonne, au péril de leur vie
Et puis, il y a ces convois de la mort où des hommes essayent de monter sur les toits de «la bestia», c’est ainsi que les mexicains surnomment les trains qui permettent à tous ce clandestins d’échapper au contrôle des policiers. Figurent aussi ces colonnes de femmes marchant en file indienne dans le désert.
«Vous savez, dit Alondra en décrivant cette œuvre, beaucoup meurent de faim et de soif dans cette épreuve. Ils mettent des semaines, voire des mois, pour se rendre au pied du mur. Alors ils se donnent du courage en marchant en rythme».
Alondra Alonso Alvarez n’a jamais vécu cet enfer. «Je suis allé plusieurs fois au Texas mais comme les riches avec un visa de touriste» avoue-t-elle. Mais elle ressent dans sa chair toute cette souffrance et cette misère car dans sa famille, tous ont tenté leur chance pour aller «al otro lado», en français de l’autre côté, là où l’argent coule à flot, au pays du capitalisme florissant.
Alondra vient de Ojuelos de Jalisco , un petit village où la plupart des hommes ont laissé femmes et enfants pour aller travailler aux Etats-Unis. Son frère vit actuellement au Texas. Ses cousins, ses neveux et ses oncles aussi.
«Mon père a fait toute sa carrière dans le bâtiment à Dallas mais comme il n’a jamais réussi à se faire régulariser, il n’a pas touché de retraite. Il est donc rentré au village. Il s’est sacrifié pour nous payer des études et nous offrir une maison confortable».
Le rêve américain mais à quel prix
Car oui, de l’autre côté, le rêve américain fonctionne. Ceux qui réussissent à passer la frontière et à travailler dur et avec des bas salaires s’en sortent toujours mieux qu’en restant chez eux. Là bas, ils récoltent les fruits et légumes, travaillent à la chaîne dans les usines textile ou sur les chantiers de construction comme manœuvre. Comme le dollar vaut vingt fois plus que le peso, ils deviennent un peu plus riches mais à quel prix !
Avec cette exposition, Alondra Alonso Alvarez espère toucher le public sur le sort de ces migrants malmenés par les services d’immigration mais aussi par les «coyotes», les passeurs qui souvent les abandonnent en plein milieu du désert après leur avoir pris leur argent.
«Je ne suis pas une militante politique» reconnait-elle. «Je ne vais pas enrayer ce phénomène qui est mondial. Mais j’espère être le petit grain de sable qui fait prendre conscience de ce qui se cache derrière ces traversées du désert».
Il arrive que les journaux s’émeuvent de la situation lorsqu’il y a des massacres dans les centres de rétention ou qu’ils suivent la vie de caravanes de 15 000 personnes. Mais ces histoires dramatiques sont vite oubliées. En s’inspirant des reportages photos et en les transformant avec son talent, Alondra entend jeter un nouveau regard. Il faut admettre que ces œuvres sont puissantes et font réfléchir.
Cette exposition, c’est aussi une reconnaissance de son travail à l’étranger et de son savoir-faire de graveuse qu’elle a appris à l’école d’Art Visuel d’Aguascalientes.
«Ce serait plus facile de les fabriquer ces avec les nouvelles technologies» reconnait-elle. «Mais le rendu serait moins bon. Il n’y aurait pas autant de détails. En fait, la gravure m’oblige à structurer ma pensée»
Alondra tient à faire vivre ces techniques ancestrales qu’elle enseigne aujourd’hui à ses élèves. Elle utilise de nombreux matériaux pour réaliser ses lithographies : du cuivre, du bois, du sucre et de l’eau bouillante, du grillage ….
Ambiance de mort et de désert
Sa démarche est mise en valeur par les ambiances sonores de Pavel, un mexicain débarqué à Nantes il y a 3 ans après des études de cinéma à l’Université de Mexico, l’UNAM. Pavel a notamment capturé des sons dans le désert de Potosi, des appels au secours dans les prisons et mixés le tout avec un synthétiseur pour restituer tantôt la peur ressentie par les migrants, tantôt la douceur de l’espoir d’une meilleure vie.
Sans oublier les décors fabriqués par Comal, l’association créée en 2006 à Nantes et qui regroupe 280 mexicains. Au pied des gravures montrant l’hostilité du désert, les organisateurs ont dressé un ruban de sable sur lequel sont jonchés des objets personnels abandonnés : des valises, des bijoux, des chaussures, des vêtements …. Et à l’étage, ils ont reconstitué, avec du grillage et des silhouettes de policiers, l’univers d’Ursula, un des centres de détention les plus redoutés des migrants. Ils y sont parqués dans des cages. Les parents sont séparés de leurs enfants.
«Ils sont ingénieux» fait remarquer Alondra en parlant des organisateurs. «J’avais peur d’ennuyer le public avec mes gravures. Mais là avec ces décors qui sont à 100% dans mon état d’esprit, ils donnent encore plus de force à mes œuvres».
Comal et la culture mexicaine
Pendant un mois, Cosmopolis va vivre à l’heure mexicaine avec des soirées karaoké, des concerts, des projections de films et des tables rondes. Faire connaître la culture mexicaine, c’est l’objectif de Comal depuis 2013.
«Avant que je ne prenne la présidence de l’association» explique Fernando Gonzales Villareal, un mexicain installé à Nantes depuis 10 ans, «la communauté était tournée vers elle-même. Les gens avaient besoin de se retrouver pour célébrer les fêtes du pays. Et maintenant, on essaye de partager nos traditions avec les nantais».
C’est ainsi qu’en 2018, Comal a organisé une exposition sur la fête des morts. L’association, qui porte le nom d’une poêle qui sert à cuisiner les tortillas, va également dans les écoles pour diffuser la culture mexicaine. Elle continue à accueillir les nouveaux arrivants et les aide dans leurs démarches administratives.
«Nous voulons rayonner mais en restant indépendants financièrement» tient à souligner Fernando qui travaille comme agent logistique à L’Odyssée, la salle culturelle d’Orvault.