13 octobre 2022

Pascal Couffin, le retour à la source

Cofondateur de l’association Fragil, Pascal Couffin a vu l’association naître, puis grandir, souffrir parfois, se relever toujours et poursuivre au fil des années sa croissance dans l’univers du journalisme et de l’éducation aux médias. Celui qui est impliqué et engagé dans le milieu associatif depuis très longtemps revient avec nous sur les 20 ans de sa création.

Pascal Couffin, le retour à la source

13 Oct 2022

Cofondateur de l’association Fragil, Pascal Couffin a vu l’association naître, puis grandir, souffrir parfois, se relever toujours et poursuivre au fil des années sa croissance dans l’univers du journalisme et de l’éducation aux médias. Celui qui est impliqué et engagé dans le milieu associatif depuis très longtemps revient avec nous sur les 20 ans de sa création.

C’est avec une ponctualité remarquable que Pascal Couffin retrouve les bureaux de Fragil en cette fin d’été 2022. Sept ans après avoir quitté le conseil d’administration de l’association qu’il a créée et qu’il soutenait depuis près de quinze ans, il revoit le lieu qui, selon lui, représente un des tournants des vingt premières années de Fragil : l’arrivée à la Fabrique Dervallières en 2010. Mais avant d’en arriver à cette période, replongeons-nous dans la genèse de cette association.

Une histoire d’amitié

Tout a commencé à l’école maternelle avec la rencontre de Mathieu Sonnet. Toujours complices à 18 ans, les deux amis décident de créer une association. « On avait envie de faire quelque chose autour des médias. A l’origine, c’était un projet de création de revue culturelle. J’étais plutôt intéressé par ce qui était média, éducation, do it yourself, développement du libre, tout ce qui était contribution nouvelle et, de son côté, Mathieu avait envie de faire de la programmation et de créer en numérique. »

De ces deux envies naît, sur le web, un fanzine ouvert à contribution. « C’était assez nouveau à l’époque sur Nantes. Une personne est venue, une deuxième et, au final, on a agrégé un peu de monde. Ça s’est fait au fur et à mesure et ça s’est fait aussi autour d’un engouement sur le territoire de personnes qui souhaitaient contribuer, collaborer, faire du journalisme culturel et qui ont trouvé un espace pour pouvoir le faire. Comme il y avait un besoin et une envie, ça a pris. »

Cependant, pour trouver un ancrage territorial à une époque où les gens n’allaient pas encore spontanément sur la toile, les deux cofondateurs décident de passer en « bimédia » avec une traduction papier qui offrirait aux magazines une plus grande visibilité dans la ville. Puis, avec les financements pour publier la version papier est venue la structuration grâce notamment à l’aide de la région Pays de la Loire à travers les emplois tremplins et grâce aussi à l’université de Nantes qui a très vite cru à ce projet d’association.

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Les valeurs de l’éducation populaire

En 2002, les statuts de l’association sont déposés à la préfecture. Elle s’appellera Fragil en référence à la crise des intermittents qui sévissait à l’époque et à la fragilité de la culture et de la création (la suppression du e ? « Par pure logique graphique ») . « Cette association a été créée sur les valeurs de l’éducation populaire : la citoyenneté, la communauté, apprendre ensemble. C’était important pour le média d’avoir une ligne éditoriale, un axe fort qui nous forçait à faire des choix. Quand on produisait des articles, on débattait de ce qu’on voulait faire, de ce qu’on ne voulait pas faire. Ligne éditoriale qui était axée sur la culture au sens civilisation et pas uniquement sur l’aspect des arts.».

Assez rapidement le magazine est publié à 7000 exemplaires et est distribué dans des lieux culturels et dans des bars nantais à une époque où il y avait beaucoup de flyers mais peu de médias gratuits. En parallèle, des événements sont organisés de manière régulière, les réunions de rédaction ont lieu dans des cafés et Fragil s’associe à d’autres médias locaux tels que TéléNantes ou Radio Prun’. Tout ceci augmente ainsi fortement sa visibilité dans l’espace public et sa notoriété dans le milieu associatif nantais.

Dans les années 2010, la ville de Nantes et Trempolino proposent à Fragil de s’installer à la Fabrique Dervallières. Installé au cœur de ce quartier populaire, le média poursuit sa mission collaborative et participative, mais l’association amorce peu à peu un virage vers plus d’éducation aux médias. « C’était un axe majeur du projet dont les bases avaient été jetées très tôt. Avant les terribles attentats de Charlie Hebdo, les différentes institutions accueillaient notre projet avec politesse mais sans appui financier. Après les attentats de Charlie Hebdo, il y a eu un grand coup de massue et quand ils ont regardé sur le territoire, ils ont vu quelques acteurs et notre projet bien axé sur l’éducation aux médias est rapidement devenu une évidence pour toutes les institutions. ».

Après une quinzaine d’années à vivre avec et pour Fragil, son fondateur, fatigué, a décidé de transmettre et de passer la main, une tranche de vie se clôturait. « Je suis fier de ce que Fragil est devenue, content de voir que l’association est toujours à la Fabrique aux Dervallières et qu’elle a renforcé son côté éducation à travers l’éducation aux médias quand il y a selon moi une urgence démocratique à éduquer aux médias. »

Urgence démocratique à laquelle Fragil tente, à son humble niveau, de répondre au jour le jour en réalisant la vision de son fondateur.

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L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017