Emmanuel Oger, professeur d’histoire aux Vallons de l’Erdre, a consacré une thèse à la Saint-Barthélémy nantaise et il a mis en lumière le rôle du maire de l’époque, Guillaume Harouys qui aurait empêché le massacre. Il avait reçu l’ordre du gouverneur de Bretagne, le duc de Montpensier, de reproduire ce qui s’était passé à Paris la nuit du 24 août 1572.
Mais bizarrement, la lettre de mission n’est pas parvenue en temps et en heure. Elle se serait perdue dans une poche de vêtement et n’aurait été retrouvée que deux jours plus tard. Entretemps, Guillaume Harouys aurait reçu un contrordre venu de plus haut, du roi lui-même, exigeant que l’on respecte les édits de pacification en vigueur.
Cette deuxième lettre a été communiquée officiellement lors du conseil municipal du 8 septembre, et là encore constate M. Oger, curieusement, il n’est pas fait mention de la lettre du duc de Montpensier. «Pourquoi a-t-il désobéi au gouverneur et obéi au roi» s’interroge M. Oger.
Tolérance et intérêts commerciaux
La réponse a été suggérée par un autre spécialiste de l’histoire du protestantisme, Charles Nicol, initiateur de cette conférence au Temple protestant de Nantes. Guillaume Harrouys était un riche négociant qui commerçait avec les ardoisiers espagnols et il avait conscience que sa ville était devenue prospère grâce à ses échanges commerciaux notamment le commerce du sel avec les hollandais. Ce serait donc par pur intérêt économique qu’il aurait sauvé les protestant·es d’une mort assurée car à Nantes, contrairement à Paris, on connaissait les protestant·es. On avait établi des listes.
Par ailleurs, il existait à Nantes une tolérance civile qui permettait aux protestant·es d’exister tant qu’ils ne dérangeaient pas. Il n’y avait pas une haine des huguenots comme à Lyon. Est-ce à dire que la vie de ces protestant·es tenait à la décision d’un homme puissant, un maire, un gouverneur ou un roi ? Une autre thèse vient contrecarrer cette explication, celle de Jérémie Foa, maître de conférence en histoire moderne à l’université d’Aix-Marseille et auteur d’un livre très documenté «Tous ceux qui tombent : visages du massacre de la Saint-Barthélémy».
L’histoire vue par les minuscules
Si ce brillant historien a réussi à éclairer la Saint-Barthélémy sous un autre jour, c’est parce qu’il a utilisé une autre méthode historique. Il s’est intéressé aux gens d’en bas plutôt qu’aux grands personnages pour comprendre l’histoire. Il s’est penché sur la vie des victimes et de leurs bourreaux. Il a été fouillé dans de précieuses archives : le registre de l’état-civil de Paris ou ce qu’il en reste car il a été en grande partie détruit par les flammes, les actes des notaires notamment les inventaires après décès, les registres d’écrous de la Conserverie de Paris, mot savant pour désigner une prison.
L’œuvre d’une minorité fanatisé et entraînée
En recoupant toutes ces archives, il a découvert de nouveaux mort·es et surtout il a révélé que ces massacres avaient été commis par une poignée d’hommes, des fanatiques, membres de la Confraternité de la Chasse Saint-Germain. C’étaient pour la plupart des miliciens qui connaissaient parfaitement leurs victimes car ils les avaient persécutés, emprisonnés, dépouillés pendant des années. «Ils étaient entraînés et avaient les bons gestes pour les arrêter, les torturer et les jeter ensuite dans la Seine» explique froidement M. Foa.
Des massacres entre gens bien élevés
A Paris, plus de la moitié des victimes étaient l’œuvre de 3 personnes, les dénommés Croizier, Chenet et Pezou. A Toulouse, ce sont deux frères qui ont principalement commis les massacres.
Plus glaçant encore, Jérémie Foa constate que les tueurs n’étaient pas des mercenaires qui défonçaient les portes pour aller chercher les victimes. Non pas du tout. Ils tiraient la sonnette et les emmenaient sans effusion de sang. «C’étaient des massacres entre gens bien élevés» indique-t-il.
Une spoliation à grande échelle
Ils n’hésitaient pas non plus à les déposséder de leurs biens, quitte à signer de reçus en bonne et due forme devant notaire. Tout cela au nom de la religion. Pour M. Foa, «la Saint-Barthélémy a été une spoliation à grande échelle».
Mais pourquoi les victimes n’ont-elles pas protesté s’interroge-t-il ? Parce qu’elles étaient sidérées mais aussi parce qu’elles avaient l’habitude d’être persécutées. Elles savaient qu’elles seraient emprisonnés, rançonnés, que ce serait long mais elles pensaient qu’elles en sortiraient vivantes.
Pas de protestation de la majorité silencieuse
Cette plongée dans la vie d’en bas, celles des gens ordinaires, celles des minuscules, révèle aussi que l’immense majorité de la population était indifférente à ces massacres. Il y a bien eu quelques sauveurs, de bon·nes chrétien·nes horrifié·es qui ont caché leurs voisins. Il y a eu des profiteur·euses qui parfois pris de remords ont permis à des enfants de s’échapper. Mais la majorité des Français·es de l’époque sont resté·es silencieux·euses, certain·es en se réjouissant du sort qui était fait à ces hérétiques, d’autres en étant dégoutés mais sans agir.
Pour M. Foa, ces massacres ne sont pas une fatalité. «Chacun a la liberté de protester, de sauver ou de tuer».
Un phénomène inédit et exceptionnel
A l’échelle européenne, «la Saint-Barthélémy est un phénomène inédit et exceptionnel». Celui qui l’affirme est un spécialiste des guerres de religion, Fabrice Micallef, maître de conférence à l’Université de Nantes.
En s’appuyant sur de nombreux exemples, il explique que la plupart du temps, ces massacres au nom de la religion se produisent après des reconquêtes ou lors de révoltes de minorités religieuses et qu’ils sont suivis de représailles et de pillages, une tradition de violence militaire qui remonte à l’Antiquité.
Selon M. Micallef, la Saint-Barthélémy se démarque car ce ne sont pas des exactions militaires ni des tueries contrôlées par les autorités politiques ou religieuses. Elle intervient dans un contexte où les tensions religieuses s’atténuent. Après 10 ans de guerre entre les protestant·es et les catholiques, des édits de pacification fleurissent un peu partout.
Le contexte de fin du monde
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène inattendu : la cupidité des tueurs, leur fanatisme religieux, leur haine des protestant·es. S’y ajoute une angoisse existentielle. A cette époque, il règne un air de fin du monde. Les plus fervents catholiques prient pour leur salut. D’autres espèrent échapper à la disparition en combattant le mal absolu : les hérétiques, autrement dit les protestant·es qui blasphèment Dieu.
Autre explication fournie par M. Foa, l’attentat raté puis l’assassinat de Coligny, le chef des protestant·es et le complot secret et non établi de Catherine de Médicis, qui pour ramener la paix, aurait décidé d’éliminer les chefs de guerre des protestant·es, une vingtaine de hauts dignitaires.
Une leçon à retenir
Et comme l’a justement rappeler un des auditeurs, ces évènements nous font penser aux rafles de juif·ves pendant la seconde guerre mondiale, à leur élimination dans les camps et à la spoliation de leurs biens. C’est tout l’intérêt de cette conférence organisée conjointement par l’association Culture, évènements, patrimoine protestants en Loire Atlantique et l’UFR d’histoire de l’Université de Nantes. Nous montrer que nous ne sommes pas à l’abri de revivre de telles atrocités.