26 octobre 2022

Pourquoi la Saint-Barthélémy n’a pas eu lieu à Nantes ? 450 ans plus tard, des historiens revisitent l’histoire.

On croyait tout savoir sur les massacres de la Saint-Barthélémy et en fait, on ne comprenait pas les ressorts de cette tuerie de masse. En fouillant dans les archives des notaires et des prisons, des historiens ont éclairé les guerres de religion sous un œil neuf. Mercredi 5 octobre au Temple protestant de Nantes, ils ont donné une conférence très instructive.

Pourquoi la Saint-Barthélémy n’a pas eu lieu à Nantes ? 450 ans plus tard, des historiens revisitent l’histoire.

26 Oct 2022

On croyait tout savoir sur les massacres de la Saint-Barthélémy et en fait, on ne comprenait pas les ressorts de cette tuerie de masse. En fouillant dans les archives des notaires et des prisons, des historiens ont éclairé les guerres de religion sous un œil neuf. Mercredi 5 octobre au Temple protestant de Nantes, ils ont donné une conférence très instructive.

Emmanuel Oger, professeur d’histoire aux Vallons de l’Erdre, a consacré une thèse à la Saint-Barthélémy nantaise et il a mis en lumière le rôle du maire de l’époque, Guillaume Harouys qui aurait empêché le massacre. Il avait reçu l’ordre du gouverneur de Bretagne, le duc de Montpensier, de reproduire ce qui s’était passé à Paris la nuit du 24 août 1572.

Mais bizarrement, la lettre de mission n’est pas parvenue en temps et en heure. Elle se serait perdue dans une poche de vêtement et n’aurait été retrouvée que deux jours plus tard. Entretemps, Guillaume Harouys aurait reçu un contrordre venu de plus haut, du roi lui-même, exigeant que l’on respecte les édits de pacification en vigueur.

Cette deuxième lettre a été communiquée officiellement lors du conseil municipal du 8 septembre, et là encore constate M. Oger, curieusement, il n’est pas fait mention de la lettre du duc de Montpensier. «Pourquoi a-t-il désobéi au gouverneur et obéi au roi» s’interroge M. Oger.

Grosse affluence pour cette conférence exceptionnelle au Temple protestant

Tolérance et intérêts commerciaux

 

La réponse a été suggérée par un autre spécialiste de l’histoire du protestantisme, Charles Nicol, initiateur de cette conférence au Temple protestant de Nantes. Guillaume Harrouys était un riche négociant qui commerçait avec les ardoisiers espagnols et il avait conscience que sa ville était devenue prospère grâce à ses échanges commerciaux notamment le commerce du sel avec les hollandais. Ce serait donc par pur intérêt économique qu’il aurait sauvé les protestant·es d’une mort assurée car à Nantes, contrairement à Paris, on connaissait les protestant·es. On avait établi des listes.

Par ailleurs, il existait à Nantes une tolérance civile qui permettait aux protestant·es d’exister tant qu’ils ne dérangeaient pas. Il n’y avait pas une haine des huguenots comme à Lyon. Est-ce à dire que la vie de ces protestant·es tenait à la décision d’un homme puissant, un maire, un gouverneur ou un roi ? Une autre thèse vient contrecarrer cette explication, celle de Jérémie Foa, maître de conférence en histoire moderne à l’université d’Aix-Marseille et auteur d’un livre très documenté «Tous ceux qui tombent : visages du massacre de la Saint-Barthélémy».

L’histoire vue par les minuscules

 

Si ce brillant historien a réussi à éclairer la Saint-Barthélémy sous un autre jour, c’est parce qu’il a utilisé une autre méthode historique. Il s’est intéressé aux gens d’en bas plutôt qu’aux grands personnages pour comprendre l’histoire. Il s’est penché sur la vie des victimes et de leurs bourreaux. Il a été fouillé dans de précieuses archives : le registre de l’état-civil de Paris ou ce qu’il en reste car il a été en grande partie détruit par les flammes, les actes des notaires notamment les inventaires après décès, les registres d’écrous de la Conserverie de Paris, mot savant pour désigner une prison.

Jérémie Foa, auteur du livre « Tous ceux qui tombent : les visages du massacre de la Saint-Barthélémy »

L’œuvre d’une minorité fanatisé et entraînée

 

En recoupant toutes ces archives, il a découvert de nouveaux mort·es et surtout il a révélé que ces massacres avaient été commis par une poignée d’hommes, des fanatiques, membres de la Confraternité de la Chasse Saint-Germain. C’étaient pour la plupart des miliciens qui connaissaient parfaitement leurs victimes car ils les avaient persécutés, emprisonnés, dépouillés pendant des années. «Ils étaient entraînés et avaient les bons gestes pour les arrêter, les torturer et les jeter ensuite dans la Seine» explique froidement M. Foa.

Des massacres entre gens bien élevés

A Paris, plus de la moitié des victimes étaient l’œuvre de 3 personnes, les dénommés Croizier, Chenet et Pezou. A Toulouse, ce sont deux frères qui ont principalement commis les massacres.
Plus glaçant encore, Jérémie Foa constate que les tueurs n’étaient pas des mercenaires qui défonçaient les portes pour aller chercher les victimes. Non pas du tout. Ils tiraient la sonnette et les emmenaient sans effusion de sang. «C’étaient des massacres entre gens bien élevés» indique-t-il.

Une spoliation à grande échelle

 

Ils n’hésitaient pas non plus à les déposséder de leurs biens, quitte à signer de reçus en bonne et due forme devant notaire. Tout cela au nom de la religion. Pour M. Foa, «la Saint-Barthélémy a été une spoliation à grande échelle».
Mais pourquoi les victimes n’ont-elles pas protesté s’interroge-t-il ? Parce qu’elles étaient sidérées mais aussi parce qu’elles avaient l’habitude d’être persécutées. Elles savaient qu’elles seraient emprisonnés, rançonnés, que ce serait long mais elles pensaient qu’elles en sortiraient vivantes.

Une littérature abondante pour les 450 ans de la Saint-Barthélémy

Pas de protestation de la majorité silencieuse

Cette plongée dans la vie d’en bas, celles des gens ordinaires, celles des minuscules, révèle aussi que l’immense majorité de la population était indifférente à ces massacres. Il y a bien eu quelques sauveurs, de bon·nes chrétien·nes horrifié·es qui ont caché leurs voisins. Il y a eu des profiteur·euses qui parfois pris de remords ont permis à des enfants de s’échapper. Mais la majorité des Français·es de l’époque sont resté·es silencieux·euses, certain·es en se réjouissant du sort qui était fait à ces hérétiques, d’autres en étant dégoutés mais sans agir.
Pour M. Foa, ces massacres ne sont pas une fatalité. «Chacun a la liberté de protester, de sauver ou de tuer».

Un phénomène inédit et exceptionnel

A l’échelle européenne, «la Saint-Barthélémy est un phénomène inédit et exceptionnel». Celui qui l’affirme est un spécialiste des guerres de religion, Fabrice Micallef, maître de conférence à l’Université de Nantes.

En s’appuyant sur de nombreux exemples, il explique que la plupart du temps, ces massacres au nom de la religion se produisent après des reconquêtes ou lors de révoltes de minorités religieuses et qu’ils sont suivis de représailles et de pillages, une tradition de violence militaire qui remonte à l’Antiquité.

Selon M. Micallef, la Saint-Barthélémy se démarque car ce ne sont pas des exactions militaires ni des tueries contrôlées par les autorités politiques ou religieuses. Elle intervient dans un contexte où les tensions religieuses s’atténuent. Après 10 ans de guerre entre les protestant·es et les catholiques, des édits de pacification fleurissent un peu partout.

L’histoire revisitée grâce aux archives des notaires et des prisons

 

Le contexte de fin du monde

 

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène inattendu : la cupidité des tueurs, leur fanatisme religieux, leur haine des protestant·es. S’y ajoute une angoisse existentielle. A cette époque, il règne un air de fin du monde. Les plus fervents catholiques prient pour leur salut. D’autres espèrent échapper à la disparition en combattant le mal absolu : les hérétiques, autrement dit les protestant·es qui blasphèment Dieu.

Autre explication fournie par M. Foa, l’attentat raté puis l’assassinat de Coligny, le chef des protestant·es et le complot secret et non établi de Catherine de Médicis, qui pour ramener la paix, aurait décidé d’éliminer les chefs de guerre des protestant·es, une vingtaine de hauts dignitaires.

Une leçon à retenir

 

Et comme l’a justement rappeler un des auditeurs, ces évènements nous font penser aux rafles de juif·ves pendant la seconde guerre mondiale, à leur élimination dans les camps et à la spoliation de leurs biens. C’est tout l’intérêt de cette conférence organisée conjointement par l’association Culture, évènements, patrimoine protestants en Loire Atlantique et l’UFR d’histoire de l’Université de Nantes. Nous montrer que nous ne sommes pas à l’abri de revivre de telles atrocités.

Quand on a été journaliste pendant plus de 30 ans à France 3, que l'on s'est enrichi de belles rencontres et de découvertes, on a envie de continuer à partager sa curiosité et son ouverture d'esprit avec d'autres. En travaillant bénévolement à Fragil, on peut continuer à se cultiver en toute liberté. Ca donne du sens à un retraité devenu journaliste honoraire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017