Des usines qui déménagent comme les conserveries Saupiquet, Armor ou la Manufacture des tabacs, des chantiers navals qui ferment comme Dubigeon ou les ACB, des usines qui disparaissent comme la raffinerie de Chantenay, Amieux ou les locomotives Batignolles, des usines qui sont démolies comme les grands moulins de la Loire ou les brasseries de la Meuse. Entre 1970 et 2000, c’est tout un pan de l’industrie nantaise qui s’est écroulé.
Des photographes ont capté·es ces moments de vie. Ils et elles ont suivi·es de près les piquets de grèves, les occupations d’usine, les manifestations parfois musclées. Ils et elles travaillaient pour des journaux comme Ouest France ou Presse Océan. Certain·es ne sont plus de ce monde comme Hélène Cayeux ou Jacky Péault. D’autres sont à la retraite comme Jean-Noël Thoinnet. Mais tous et toutes laissent derrière elles et eux une œuvre qui les dépasse.
Travailler pour l’Histoire
«Quand je partais sur une manif …» raconte Jean Noël Thoinnet, qui a débuté sa carrière à Presse Océan comme dessinateur de presse avant de devenir photographe, «je ne me doutais pas que je travaillerais pour l’Histoire et que mes photos seraient exposées dans un centre culturel. Je me débrouillais pour être là au bon moment au bon endroit pour faire la photo la plus pertinente».
Avec le recul, il se rend compte qu’il a vécu bien des changements : des usines démolies, des quartiers rasés, un monde qui s’est transformé pour laisser place à des bureaux.
Des archives qui subliment le réel
Ces photos prises sur le vif, en pleine action, en noir et blanc, ont une valeur patrimoniale inestimable. Mais elles ont aussi une valeur esthétique car elles racontent des souffrances, des colères, des combats.
Celle qui a sans doute le mieux perçu cette désespérance humaine mais aussi cette énergie collective, c’est Hélène Cayeux, photoreporter à Ouest France et à l’AFP. A la fin de sa vie, elle a rassemblé ses 40 000 clichés pour les confier au Centre d’Histoire du Travail et pour écrire un livre «A l’imparfait de l’objectif».
Xavier Nerrière, aujourd’hui iconographe indépendant et l’un des fondateur de Nantes en Noir et Blanc, l’a bien connue. En expert, il reconnaît son talent. «J’ai une véritable intimité avec elle car j’ai classé le fond qu’elle a déposé au Centre d’Histoire du Travail. Elle aimait ce monde du travail et a dressé de beaux portraits d’ouvrières et d’ouvriers».
Des visages qui donnent de la chair
En fait chaque photoreporter a sa sensibilité d’artiste pour sublimer le réel. Pour Hélène Cayeux, ce sont les visages qui donnent de la chair aux conflits sociaux. Pour Jacky Péault, c’est la force du quotidien. Daniel Garnier, ancien rédacteur chef de Presse Océan, l’a côtoyé. Pour lui, «il n’y avait jamais de petits évènements ou de sujets mineurs dans son objectif».
Certain·es regretteront peut-être que ces photos ne soient pas en couleurs mais comme l’explique Jean Noël Thoinnet, «on n’avait pas le choix. A l’époque la couleur n’existait pas».
Une conservation qui laisse à désirer
Les journaux n’avaient pas non plus le souci de la conservation de ces photos.
«Il fallait faire vite» explique Jean-Noël Thoinnet. «On transmettait les photos par belin et on les retouchait au crayon noir. Quant aux négatifs, beaucoup ont disparus ont sont en mauvais état».
Aujourd’hui, avec le numérique, ce serait certainement plus facile de les classer et de les archiver. Les exposer comme des œuvres d’art est un acte fort. Le mérite en revient au Passage Saint-Croix. L’exposition dure jusqu’au 19 novembre. Elle est enrichie par des projections au Cinématographe les 19 et 20 octobre, des ateliers du Photo club nantais les 26 et 27 octobre et une table ronde sur le métier de photojournaliste le 17 novembre.