13 décembre 2022

Delphine Coutant, la musicienne qui fait chanter les pierres avec l’aide de la Bouche d’Air

Elle a été paludière pendant 8 ans. Elle a conduit des bulldozers dans des carrières de pierre. Elle joue du piano en flottant sur l’eau. Delphine Coutant est une artiste hors norme. Amoureuse de la nature, à la folie. Elle vient de se lancer un nouveau défi : créer un deuxième système solaire, à son image avec un octuor de cordes et de cuivres.

Delphine Coutant, la musicienne qui fait chanter les pierres avec l’aide de la Bouche d’Air

13 Déc 2022

Elle a été paludière pendant 8 ans. Elle a conduit des bulldozers dans des carrières de pierre. Elle joue du piano en flottant sur l’eau. Delphine Coutant est une artiste hors norme. Amoureuse de la nature, à la folie. Elle vient de se lancer un nouveau défi : créer un deuxième système solaire, à son image avec un octuor de cordes et de cuivres.

Deux systèmes solaires, c’est le 6ème album de celle qui se définit comme une trobairitz, une de ces femmes troubadours qui composaient et interprétaient des vers dans les cours des nobles d’Occitanie au 12 ème siècle. Autrement dit Delphine Coutant serait, selon elle, une poétesse des temps modernes. À n’en pas douter, elle a une imagination fertile pour arriver à faire parler des matières inertes comme la roche ou la glace et pour les métamorphoser en chansons oniriques et joyeuses.

Ne faut-il pas un grain de folie pour vouloir remplacer notre bon vieux système solaire par un autre plus lumineux, plus harmonieux, plus élaboré, plus poétique? De la folie mais aussi de l’audace, voire de l’inconscience, à moins que ce ne soit un rêve d’enfant qu’elle poursuit au gré de ses ballades et de ses rencontres.

Le privilège d’inventer

«C’est le privilège d’une artiste d’inventer ce qu’elle veut, alors pourquoi pas un autre système solaire ?» s’interroge-t-elle avant d’ajouter avec malice : «Une artiste a cette chance d’être très égoïste et de porter sur le monde le regard qui l’intéresse».

Pour créer son œuvre, la conteuse musicienne s’est donc inspirée de la réalité pour façonner son univers à son image, un peu loufoque. Pour établir un dialogue entre ces 2 mondes, Delphine Coutant a choisi 2 sonorités différentes, des cordes et des cuivres.

«Les cordes évoquent la glace» précise-t-elle. «Elles jouent des notes tenues, non vibrées. Les cuivres sont plus chauds mais çà peut s’intervertir». De quoi brouiller les pistes à moins que ce ne soit un moyen de créer des ponts entre la science et les arts.

Delphine Coutant avec son octuor de cordes et de cuivres Photo Virginie Douay

La tectonique des couches musicale

Avec sa soif d’apprendre et de comprendre comment la planète s’est formée, Delphine Coutant a fini par créer un entre deux. Elle a beaucoup écouté les géologues, les astronomes, les paléontologues pour les traduire dans ses textes et sa musique.

«Quand j’ai étudié avec eux la tectonique des plaques, j’imaginais des couches musicales, des cordes qui pousseraient les cuivres» raconte-t-elle très sérieusement. «De même, les pincements de cordes, les spiccatos, m’évoquaient les facettes de la roche, comme la lumière qui fait briller les minéraux».

Elle a même été confortée dans ces analogies par un géologue qui attribuait au minéral un effet prédictible pouvant s’apparenter à de la musique modale, répétitive, comme un bourdon qui viendrait mettre en transe ceux qui l’écoutent. À l’opposé, le vivant s’apparenterait à un instrument d’improvisation. Mais là, on se rapproche de considérations ésotériques, voire de para-sciences ou de phénomènes surnaturels.

Des mises en scène théâtrales

Chez Delphine Coutant, il y aurait plutôt une attirance pour la mythologie grecque ou le théâtre antique. Sur scène, elle se drape dans des tuniques blanches, porte des coiffes sophistiquées et se grime le visage de chaînes dorées. Elle affuble ses musicien·nes de noms divins comme Jupiter, Pégase, Vénus ou encore A 442, en référence au La qui s’accorde à 440 khz, ou Galaktiketak, un extra-terrestre inventé de toute pièce pour jouer avec l’onomatopée tic et tac. Quand elles et ils ne jouent pas d’un instrument, les musicien·nes bondissent, virevoltent, courent d’un endroit à l’autre comme des comédien·nes. Impossible de mettre cette artiste éclectique dans une case. Déjà toute petite, elle éprouvait le besoin de sortir des cadres tout tracés.

Une artiste hors cadre

«Quand je voulais faire du piano, on m’a mise au violon» s’exclame-t-elle. «Après j’ai voulu faire de la batterie, on m’en a empêchée. Finalement, au bout de 10 ans, je me suis mise au piano et à la guitare. J’ai composé des chansons».

Ses concerts, elle les donne dans des lieux inhabituels : des planétariums, des muséums d’histoire naturelle, des archives quand ce n’est pas au beau milieu d’un marais salant, en bord de mer ou en haut d’un arbre.

«Je n’attend pas qu’on me programme dans un endroit» fait-elle remarquer. «C’est moi qui vais chercher ces coins insolites, qui demandent les autorisations et qui organisent les concerts».

En concert à Pornic sur l’eau, au milieu des pêcheries Photo Maurice Michel

Les concerts satellites

Même sur ses formats, Delphine Coutant sort des sentiers battus. Elle organise par exemple des concerts satellites dans des musées, sortes de conférences musicales, en duo avec un chercheur. Elle au piano, lui au micro.

Ses chansons sont trop originales pour être entendues à la radio ou produites par des maisons de disques classiques. C’est donc avec ses premiers revenus de cueilleuse de fleur de sel qu’elle a produit son premier disque sous le label La Cueilleuse.

«Des gens comme André Hisse (le directeur de la Bouche d’Air) m’ont beaucoup encouragé dans ma démarche en m’offrant des résidences d’artistes» reconnaît-elle. «Des moments privilégiés pour me concentrer et écrire mes albums».

La Bouche d’Air est un allié fidèle de ces artistes indépendant-es, délaissé-es par les grands circuits commerciaux. Delphine Coutant y est régulièrement programmée. Jeudi 15 décembre, elle s’y produira avec son nouveau spectacle, deux systèmes solaires.

 

 

Quand on a été journaliste pendant plus de 30 ans à France 3, que l'on s'est enrichi de belles rencontres et de découvertes, on a envie de continuer à partager sa curiosité et son ouverture d'esprit avec d'autres. En travaillant bénévolement à Fragil, on peut continuer à se cultiver en toute liberté. Ca donne du sens à un retraité devenu journaliste honoraire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017