Luisa Miller (1849) s’inspire d’une pièce de Friedrich von Schiller, Intrigue et Amour (Kabale und Liebe, 1784), qui a notamment été jouée en 1995 à la Comédie-Française dans un spectacle très intense de Marcel Bluwal. L’ouvrage explore la tyrannie des pères jusqu’au tragique, annonçant d’autres opéras du compositeur dont Rigoletto (1851), Traviata (1853) ou Don Carlo, également d’après Schiller,(1867). Directeur de l’Opéra d’Erfurt en Allemagne depuis 2002, Guy Montavon a monté en 2016 une Médée de Luigi Cherubini particulièrement marquante à l’Opéra de Nice et, la saison dernière, une passionnante Manon Lescaut de Puccini à l’Opéra de Monte-Carlo. Sa vision de Luisa Miller que l’on va découvrir à Nantes a été créée le 22 mai 2022 au Théâtre d’Erfurt avant d’être représentée à Angers le 10 mars dernier et à l’Opéra de Rennes entre le 19 et le 25 mars 2023.
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« C’est une œuvre où le poids des conventions détruit la jeunesse, comme dans Roméo et Juliette. »
Fragil : Que représente pour vous Luisa Miller et qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans cet opéra ?
Guy Montavon : Je suis avant tout sensible au conflit des générations. Cet opéra trouve sa source dans une pièce de Schiller, un écrivain révolutionnaire dans une société en pleine décomposition. Les deux pères, qu’il s’agisse de Miller ou du Comte Walter, sont stupides et complètement dépassés par la situation d’un jeune couple qui ne demande qu’à créer un avenir commun sans y parvenir. C’est une œuvre où le poids des conventions détruit la jeunesse, comme dans Roméo et Juliette, avec un message politique très fort dénonçant la classe dirigeante. Les costumes d’Eric Chevalier, également signataire de la scénographie, illustrent cette symbolique sociale, bleu glacial pour Walter et dans des teintes plus chaudes pour Miller. D’un point de vue musical, les duos entre ces deux basses sont cependant d’une force incroyable, avec d’extraordinaires instants de mise en garde. L’opéra s’achève sur une explosion géniale de transcendance vers l’infini.
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« La maturation musicale de Verdi commence avec Luisa Miller. »
Fragil : En quoi cet opéra résonne-t-il avec d’autres ouvrages de Verdi ?
Guy Montavon : Il s’agit d’une œuvre de jeunesse, précédant de très près sa célèbre trilogie constituée de Rigoletto, Le trouvère et La Traviata, où le compositeur met en place une structure musicale qui s’imposera ensuite. Il s’éloigne ainsi du bel canto* pour entrer dans un discours plus personnel avec notamment l’utilisation d’instruments solo. La maturation musicale de Verdi commence avec Luisa Miller, qui montre déjà tout son génie et le paysage musical qu’il est en train d’inventer.
* le beau chant
Fragil : Comment présenteriez-vous votre mise en scène et la scénographie du spectacle ?
Guy Montavon : Nous avons construit avec Eric Chevalier un plateau théâtral en bois, avec des panneaux mobiles de cour à jardin montrant les changements d’espaces et les variations d’atmosphères. À l’avant-scène, nous plaçons deux fauteuils où les pères seront assis, regardant le spectacle…
Fragil : De quelle manière envisagez-vous le travail avec Pietro Mianiti, le chef d’orchestre ?
Guy Montavon : Je suis moi-même musicien et je n’ai aucun souci pour échanger avec les chefs d’orchestre. Nous nous retirerons certainement avec Pietro Mianiti pour créer ensemble au piano des tempi en accord avec les actions scéniques*. J’aime beaucoup découvrir de nouvelles personnalités à chaque spectacle.
*L’entretien a été effectué le 24 février 2023, avant le début des répétitions.
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« J’ai choisi de vieillir et d’enlaidir la Comtesse Frederica. »
Fragil : Quelles sont vos priorités de direction d’acteurs?
Guy Montavon : Il s’agit d’un drame empirique où les gestes sont très précis, notamment lors du duo entre Walter et son fils. En dehors de la dimension symbolique des costumes, je m’attacherai à la gestique, au jeu avec les mains, aux attitudes signifiantes et aux regards pour caractériser les personnages. J’ai choisi de vieillir et d’enlaidir la Comtesse Frederica, afin de faire comprendre pourquoi Rodolphe choisit Luisa, alors que l’autre lui était destinée.
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« …cette fête d’anniversaire des enfants où Médée s’apprêtait à couper un gâteau au chocolat, tenant à la main un couteau de cuisine. »
Fragil : Vous avez monté à Nice Médée de Cherubini avec Nicola Beller-Carbone, mémorable Tosca à Nantes en 2008. Quelles traces ce spectacle vous a-t-il laissées ?
Guy Montavon : Cet ouvrage n’est pas assez représenté alors qu’il met des états d’âme en musique de façon bouleversante et parfois futuriste pour l’époque de sa création. La partition me sidère et le drame s’avère passionnant à transposer, car il est universel comme toute tragédie grecque. L’un des moments qui reste pour moi le plus fort est cette fête d’anniversaire des enfants où Médée s’apprêtait à couper un gâteau au chocolat, tenant à la main un couteau de cuisine, la nourrice restant à l’arrière-plan…
Fragil : Quel souvenir gardez-vous de votre vision de Manon Lescaut de Puccini à l’Opéra de Monte-Carlo, avec l’immense Anna Netrebko dans le rôle-titre ?
Guy Montavon : J’avais créé ce spectacle à Erfurt, et l’idée de considérer Géronte comme le personnage principal, en suggérant une sublimation de l’amour par l’œuvre d’art, m’a passionné. J’ai choisi de séparer les deux amants par une vitre de verre au dernier acte. Anna Netrebko s’est tout d’abord montrée sceptique, mais elle a ensuite adoré jouer dans cet espace que nous avions inventé. À l’Opéra de Monte-Carlo, l’émerveillement musical a été total grâce à une distribution exceptionnelle et à la direction inspirée de Pinchas Steinberg.
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« J’ai réussi à faire entrer la musique moderne dans les salons bourgeois d’Erfurt. »
Fragil : De quoi êtes vous le plus fier à la tête de l’Opéra d’Erfurt ?
Guy Montavon : J’ai réussi à faire entrer la musique moderne dans les salons bourgeois d’Erfurt. Les spectateurs sont maintenant habitués à voir autre chose, se montrant intéressés par des créations mondiales, comme Eleni de Nestor Taylor en décembre 2022, ou par des ouvrages inhabituels, tel Le siège de Corinthe de Rossini, que nous avons présenté dans sa version française. Le public me suit et cette maison est désormais un lieu de référence en Allemagne.
Fragil : Quel idéal cherchez-vous à atteindre à chaque mise en scène ?
Guy Montavon : J’aime avant tout raconter une histoire en tenant le public en éveil, du début à la fin, tout en le touchant en plein cœur et en lui apportant une respiration nécessaire à son quotidien.
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