18 juillet 2023

Monstres et compagnie : un bestiaire fantastique à observer au muséum d’histoire naturelle

Depuis le 15 avril et jusqu’au 25 septembre 2023, l’exposition « anatomie comparée des espèces imaginaires » se tient au musée d’histoire naturelle de Nantes. Adaptée du livre éponyme, plusieurs créatures extraordinaires sont présentées et abordées avec une approche scientifique. Les auteurs du livre et l’équipe communication du musée lèvent le voile sur l’origine de ce projet.

Monstres et compagnie : un bestiaire fantastique à observer au muséum d’histoire naturelle

18 Juil 2023

Depuis le 15 avril et jusqu’au 25 septembre 2023, l’exposition « anatomie comparée des espèces imaginaires » se tient au musée d’histoire naturelle de Nantes. Adaptée du livre éponyme, plusieurs créatures extraordinaires sont présentées et abordées avec une approche scientifique. Les auteurs du livre et l’équipe communication du musée lèvent le voile sur l’origine de ce projet.

Depuis le mois d’avril au musée d’histoire naturelle de Nantes, nous avons la possibilité de découvrir à quoi ressemble le mystérieux Yéti, approcher sans crainte une Sirène ainsi que d’autres monstres comme le Marsupilami ou le terrifiant Alien. 

Plusieurs créatures peuvent ainsi être observées de près, qu’elles soient issues des mythologies ou d’œuvres de fictions populaires plus récentes. Leurs origines ont beau être variées, toutes sont abordées, dévoilées et parfois même disséquées avec une approche scientifique rigoureuse.

Totoro est un être populaire auprès des enfants. D’où lui vient cette capacité à flotter dans les airs ? L’exposition y apporte des éléments de réponse, quitte à l’examiner sous toutes les coutures…

C’est Jean-Sébastien Steyer, paléontologue chercheur au CNRS, qui a eu l’idée d’aborder des monstres imaginaires et leurs univers. Son objectif est de nous donner des pistes explicatives sur leur façon de vivre et de se reproduire, ainsi que nous raconter ce qui les distingue ou les rapproche de certains animaux bien réels. Cette science s’appelle l’anatomie des espèces comparées, dont l’un des fondateurs est Georges Cuvier, paléontologue né en 1769 à Montbéliard. La sous-préfecture du Doubs fut d’ailleurs la première ville à avoir tenu l’exposition au sein de son muséum d’histoire naturelle. Après Nantes, les muséums d’Auxerre et de Montbard accueilleront tour à tour les sculptures fantastiques créées par les artistes Emmanuel Janssens et Olivier Bracq. 

Un ouvrage né d’une passion

Jean-Sébastien Steyer se rappelle : « Ce livre est né de ma passion pour vulgariser les sciences de l’évolution. J’avais carte blanche pour traiter d’une créature dans chaque numéro de la revue Espèces, mais le bestiaire est tellement immense qu’il méritait bien un livre à part entière, voire plusieurs ! »

Près d’une quinzaine d’espèces sont ainsi décrites dans le livre et l’exposition. Les monstres qui y figurent proviennent d’univers divers et variés, qu’il s’agisse de science-fiction (exemple : les Porgs de Star Wars), les super-héros, le fantastique, la bande-dessinée…

Sculpture et schéma de la croissance d’un bébé Marsupilami dans son œuf.

C’est en rédigeant des articles sur les créatures imaginaires pour la revue Espèces que Jean-Sébastien Steyer a connu Arnaud Rafaelian. Que ce soit pour la revue Espèces ou pour les livres qu’ils co-écrivent, l’illustrateur livre des planches très détaillées sur les créatures que le paléontologue examine minutieusement. Arnaud Rafaelian nous partage son point de vue d’artiste sur les dessins qu’il a réalisé : « pour certaines créatures, je ne pouvais pas me permettre de m’éloigner des designs déjà existants, c’est le cas de l’Alien ou de Totoro. En revanche, pour celles qui tiennent de l’imaginaire collectif, comme la Vouivre ou la Sirène, j’avais une plus grande marge de manœuvre pour exprimer ma créativité. »

L’exposition permet de découvrir les sculptures des différentes créatures, dont plusieurs légendes illustrées par Arnaud Rafaelian. Ici, le Loup-Garou, avec un moulage du squelette de son crâne au pied d’une statue à taille humaine, en plus d’une légende détaillée au mur.

Du livre à l’exposition

Le colloque Georges Cuvier est un grand congrès international qui est organisé une fois tous les 10 ans à Montbéliard, en l’honneur du célèbre anatomiste. De nombreux·ses scientifiques s’y réunissent (64 en 2022). Ouverte au public, la cinquième édition qui s’était tenue du 19 au 22 octobre 2022 avait pour thème l’anatomie comparée et de la paléontologie. À cette occasion Jean-Sébastien Steyer et François Thirion, responsable d’exposition au musée de Montbéliard, s’étaient concertés pour mettre en place une exposition centrée sur les travaux de Jean-Sébastien Steyer, avec son livre sur l’anatomie comparée des espèces imaginaires qui avait été publié en 2019. Les planches anatomiques détaillées d’Arnaud Rafaelian offraient un support parfait aux sculpteurs et plasticiens pour créer les différents moulages de l’exposition.

Contrairement à d’autres statues créées pour l’exposition, la statue du Yéti existait depuis plusieurs années et avait déjà servi à d’autres exhibitions.

Grâce à son réseau, François Thirion s’est ensuite rapproché des muséums d’Auxerre, de Montbard et de Nantes, qui se sont eux aussi lancés dans l’aventure. Jean-Sébastien Steyer explique : « en plus de coproduire l’expo, les muséums se sont appropriés le thème en proposant, pour chaque région, une espèce imaginaire endémique. Ce fut un réel plaisir de travailler avec eux. » 

Arnaud Rafaelian confirme : « Le musée de Nantes a choisi la sirène, ce qui était cohérent quand on regarde la proximité de la ville avec la mer. Pour la ville de Montbéliard, c’est la Vouivre. » 

La sculpture de la Sirène nous montre une morphologie pour le moins captivante.

Arnaud Rafaelian dessinant une Sirène pendant la conférence au musée d’histoire naturelle de Nantes du 02 mai.

Le dessin final avait été remporté par un participant à la conférence, après une question posée au public sur l’univers du Seigneur des Anneaux. L’œuvre est visible au musée, le gagnant la reprendra une fois l’exposition finie.

Si le projet d’exposition est né lors d’une conversation entre plusieurs scientifiques passionné·es, ce thème en apparence fantaisiste apporte beaucoup aux musées qui accueillent cette exposition sur les espèces imaginaires. Christine Le Gouriellec, du Service Communication et Partenariats de la ville de Nantes, explique : « L’exposition représente un intérêt pour le musée car elle aborde la science avec une approche différente, une approche qui attire un public plus large. »  En effet, les animaux imaginaires séduisent plusieurs générations, y compris les plus jeunes. Cet attrait pour le fantastique et cette exposition permettent de sensibiliser une partie du public à une démarche scientifique. Ici, il est question de l’observation des caractères anatomiques entre les différentes espèces. Cela amène les visiteur·euses à réfléchir sur une classification des ancêtres communs. En outre, cette exposition permet au public de découvrir de façon ludique les sciences de l’anatomie comparée et de la phylogénie (l’étude des liens de parenté entre les êtres vivants et ceux qui ont disparu).

« Ne jamais lui donner à manger après minuit » : le Mogwai, ou Gremlin, présente des caractéristiques très intéressantes d’un point de vue scientifique.

Cette sensibilisation à la science s’inscrit d’ailleurs dans un mouvement d’affluence croissante. Selon Christine Le Gouriellec, le musée enregistrait en 2022 environ 150 000 visiteurs. Cette année, leur nombre est estimé à 180 000, voire 200 000. Et si le musée d’histoire naturelle de Nantes ne cherche pas à collecter des statistiques quantifiables sur son public, les retours reçus sur cette exposition sont néanmoins qualifiés de « très bons. » 

Un témoignage de Sophie, en visite au musée, contrebalance cette évaluation : « Pour être honnête, je suis un peu déçue. Je trouve l’exposition plutôt petite et un peu trop mise à l’écart du reste du musée. »

La Vouivre suscite la curiosité du public.

La conférence du 02 mai a pu permettre de constater que le thème de l’exposition attirait un public passionné de pop culture, et pourtant, l’exposition attire aussi les familles et les passionné·es de science. Comme le stipule l’introduction du livre sur les espèces imaginaires : « Il s’agit (…) de faire aimer les sciences, d’éveiller notre curiosité et de développer notre sens critique. »

Christine Le Gouriellec précise d’ailleurs que ce type d’exposition n’est pas une nouveauté pour le musée. Par exemple, une exposition de 2021 intitulée « le règne du silence » dévoilait un grand nombre de sculptures qui avaient été crées par le sculpteur Fabrice Azzolin, sur ce qu’il imaginait être les premières formes de vie sur Terre. L’exposition laissait libre cours à l’imagination du public et invitait les spectateur·ices à s’interroger sur l’apparence des premiers êtres vivants. À noter également, l’exposition « l’île inventée » qui s’est tenue de novembre 2022 à mars 2023. Elle avait été organisée par Flavie Ruse et Louis-Émile Grenier, qui se décrivent comme deux explorateur·ices féru·es de para-archéologie. Qualifiée d’utopiste et uchronique, l’exposition mettait en scène la découverte archéologique d’un territoire fictif par une expédition composée de scientifiques et d’artistes. 

Jean-Sébastien Steyer nous en dit plus sur sa démarche, à la fois en tant qu’auteur et commissaire d’exposition : « Ces travaux plaisent à de nombreux publics, tout âge, tout groupe, toute orientation, toute culture – scientifique, geek ou non- confondue, et c’est un grand succès. Pour moi, le visiteur est roi mais il doit aussi être bousculé dans ses certitudes et ne pas se rendre compte qu’il apprend des choses. Le livre et l’expo « Anatomie comparée des espèces imaginaires » ont été imaginés comme ça… dans le but d’éveiller l’enfant qui est en chacun de nous, tout en l’instruisant. »

Jean-Sébastien Steyer lors de la conférence du 02 mai au musée d’histoire naturelle de Nantes. Arnaud Rafaelian et Jean-Sébastien Steyer ont déjà travaillé sur l’univers du Seigneur des Anneaux pour un ouvrage intitulé « Tolkien et les sciences. »

Un second tome en préparation et une nouvelle exposition à suivre ?

Les deux auteurs reconnaissent qu’un second tome est prévu en 2024 ou 2025, en réflexion à trois avec leur éditrice.

Arnaud Rafaelian précise : « On a des idées d’espèces mais pour l’instant, ça reste confidentiel. On garde l’idée de créatures très populaires comme celles qui sont dans le premier tome, comme par exemple Alien, Totoro, etc. »

En ce qui concerne le musée d’histoire naturelle de Nantes, la programmation des expositions est déjà complète sur plusieurs années, et les travaux d’agrandissement qui s’étaleront de 2025 à 2028 ne permettront pas d’accueillir le public au sein des murs. Pourtant, Christelle le Gouriellec affirme qu’une future exposition sur les espèces imaginaires est possible, « dès lors qu’il y a un propos scientifique éclairé et illustré qui amène le visiteur à se questionner sur la science. »

Le musée d’histoire naturelle de Nantes au printemps 2023.

Amateur de musique, de littérature et d'art en général, auteur de fantasy. J'aime découvrir et partager ce qui me passionne.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017