La scène conventionnée ScénOgraph, basée au Théâtre de l’Usine à Saint-Céré, se décline en une saison d’hiver et deux temps forts durant l’été. Le festival de théâtre de Figeac a ainsi affiché en juillet deux passionnants spectacles parmi d’autres propositions : Phèdre de Sénèque, dans une mise en scène de Georges Lavaudant et une chorégraphie de Jean-Claude Gallotta, ainsi qu’une représentation de la correspondance passionnée entre Albert Camus et l’actrice Maria Casarès, dans une vision d’Élisabeth Chailloux, Une géographie amoureuse. Le festival de Saint-Céré, créé en 1981 par Olivier Desbordes, explore toujours de son côté l’opéra et le spectacle musical sous toutes ses formes, dans de beaux lieux du Lot, où l’on a pu assister cette année à un bel évènement au Château de Castelnau : La tragédie de Carmen, d’après l’opéra de Bizet, dans la puissante adaptation de Peter Brook, Marius Constant et Jean-Claude Carrière. Le concert du 5 août de l’Ensemble Sarbacanes aurait dû avoir lieu dans le cadre champêtre du Château de Montal, mais il a finalement dû être replié au Théâtre de l’Usine, en raison d’une météo incertaine. Malgré tout, ce fut un tourbillon d’émotions d’écouter ce programme consacré à Mozart, dont cet ensemble d’instruments à vents avait déjà joué La Gran Partita durant La Folle Journée de Nantes en 2023, où il s’est également produit en 2022, autour de l’octuor pour vents de Schubert. Dans une volonté d’explorer des registres contrastés, le festival a programmé le 8 août un concert de chansons de Joseph Kosma et Jacques Prévert, essentiellement destinées au cinéma, auxquelles la soprano Stéphanie Varnerin apportait beaucoup d’intensité. Ce concert, Paris at Night, était dirigé par Nicolas Simon, à la tête de son ensemble La Symphonie de poche, créé en 2013. On retrouvait ainsi ce chef d’orchestre après deux opéras mémorables mis en scène par Louise Vignaud, La Dame Blanche de Boieldieu au Festival de Saint-Céré de 2022 et Zaïde de Mozart à Angers Nantes Opéra en février dernier : une exaltante rencontre entre les répertoires!
Un tourbillon de vie avec l’ensemble Sarbacanes
L’ensemble Sarbacanes, à géométrie variable, était constitué pour ce concert de douze instruments à vent et d’une contrebasse, les musicien·nes jouant sur des instruments d’époque. Reprenant une tradition de l’époque de Mozart, le programme débute sur des extraits de son opéra Les noces de Figaro (1786), dans des arrangements d’Alfredo Bernardini insufflant une atmosphère théâtrale et chaleureuse. La transposition de l’ouverture crée tout un jeu de nouvelles sonorités, l’ensemble restituant de façon inventive l’urgence de cette « folle journée ». L’adaptation des trois airs reflète ensuite les sentiments mouvants de deux personnages de l’opéra, sur des couleurs pénétrantes. L’entrée de Figaro au premier acte, « Se vuol ballare », préserve le ton de défi et de provocation face à un monde qui change tandis que son second passage « Non più andrai » garde avec une belle vitalité le côté martial, le jeu sur les notes aiguës rappelant les ornementations du chant. Ces deux morceaux encadrent la mélancolie de la Comtesse du début du deuxième acte, « Porgi Amor », dans un moment divin où les instruments frôlent avec grâce les mouvements d’un cœur blessé. La Gran Partita (1784), est une sérénade d’une durée d’environ cinquante minutes, organisée en sept mouvements d’une étonnante diversité.
L’ensemble Sarbacanes trouve de belles sonorités, qui s’étirent et s’enlacent, atteignant des accords souvent surprenants et d’une beauté saisissante.
Dans le film Amadeus de Milos Forman, c’est en découvrant son troisième mouvement que le compositeur Salieri prend conscience du génie de Mozart, jetant la partition à terre, complètement bouleversé. Cette œuvre fastueuse était à l’origine destinée à de grandes cérémonies. Parmi les hypothèses de sa première exécution, elle a pu être jouée en l’honneur de l’empereur Joseph II, à moins qu’elle ne fût destinée au mariage du compositeur avec Constanze Weber le 4 août 1782. L’ensemble Sarbacanes trouve de belles sonorités, qui s’étirent et s’enlacent, atteignant des accords souvent surprenants et d’une beauté saisissante. Chaque instrument est mis en valeur, les musicien·nes se répondant avec grâce et profondeur, dans une véritable dramaturgie basée sur des échanges pleins de connivence. La musique, à la fois légère et virtuose, explore des émotions diversifiées, le final se révélant un tourbillon de vie et de bonne humeur, où l’ensemble joue avec un plaisir qui fait du bien.
Éclats poétiques par la Symphonie de Poche
Le concert du 8 août au Théâtre de l’Usine, Paris at Night , offre un panorama de chansons sur des poèmes de Jacques Prévert (1900-1977) mis en musique par Joseph Kosma (1905-1969), reflétant toute l’époque des années 40. Dans un jeu d’ombres et d’images en noir et blanc, l’Ensemble La Symphonie de poche, dirigé par Nicolas Simon, joue avec une formidable énergie la suite Baptiste, adaptée en 1948 de la pantomime des Enfants du paradis de Marcel Carné (1945), dont Jacques Prévert a écrit le scénario. Une femme vêtue d’une robe à fleurs vient troubler le concert, incarnant un nouveau rôle à chaque chanson dont elle s’empare. La soprano Stéphanie Varnerin égraine les mots d’A la belle étoile «Boulevard de la chapelle où passe la métro aérien», du film Le crime de Monsieur Lange de Jean Renoir (1936), magnifiés par une voix pure aux beaux aigus, et le talent d’une diseuse.
Ces partitions éveillent des images et des mouvements de cinéma, la musique s’élevant au rang d’un personnage.
Elle atteint des sommets d’émotion sur Les feuilles mortes, célèbre chanson du film, Les portes de la nuit de Marcel Carné (1946), où Vincent Buffin apporte à la harpe de délicates touches de nostalgie, «Mais la vie sépare ceux qui s’aiment, tout doucement sans faire de bruit». Chaque chanson devient ainsi une scène de théâtre, genre auquel Nicolas Simon accorde également une place essentielle en dirigeant ses orchestres à l’opéra. Ces partitions éveillent des images et des mouvements de cinéma, la musique s’élevant au rang d’un personnage. La chanteuse trouve différents tons, restituant toute la violence de La chanson dans le sang en insufflant à chaque mot un puissant relief, « La terre n’arrête pas de tourner, le sang n’arrête pas de couler», et en exprimant une bouleversante sincérité dans Gentils enfants d’Aubervilliers, destiné à un film documentaire au lendemain de la seconde guerre mondiale , « Vous plongez la tête la première dans les eaux grasses de la misère », sur les sonorités nostalgiques de l’accordéon de Pierre Cussac. Dans un savoureux mélange des registres, elle interprète avec humour et tendresse La chanson des escargots qui vont à l’enterrement d’une feuille morte et La pêche à la baleine. A la fin des feuilles mortes, elle reprend les mots parlés du texte avant de quitter la scène. En rappel, elle retrouve cependant un côté ludique avec L’inventaire et une reprise de La pêche à la baleine, où elle adopte les voix de plusieurs personnages. Les musicien·nes s’embrassent alors comme s’iels se disaient au revoir, en conclusion joyeuse d’un concert authentique et convivial.