14 décembre 2023

Nantes, capitale féministe européenne

Pendant deux jours, une quarantaine d'intervenantes et près de deux cents participant·es se sont réuni·es à la Maison de l'avocat et au Stéréolux. De ces moments partagés naît "La Déclaration de Nantes". Traduite dans toutes les langues de l'Union Européenne, les participant·es sont invité·es à la répandre auprès des politiques de leurs pays respectifs car "de l'avenir des femmes peut naître l'avenir de l'Europe"

Nantes, capitale féministe européenne

14 Déc 2023

Pendant deux jours, une quarantaine d'intervenantes et près de deux cents participant·es se sont réuni·es à la Maison de l'avocat et au Stéréolux. De ces moments partagés naît "La Déclaration de Nantes". Traduite dans toutes les langues de l'Union Européenne, les participant·es sont invité·es à la répandre auprès des politiques de leurs pays respectifs car "de l'avenir des femmes peut naître l'avenir de l'Europe"

Estelle Meyer, comédienne, chanteuse et autrice, ouvre la soirée du lundi avec son spectacle « Niquer la fatalité ». Elle y parle de la femme, des femmes, dont Gisèle Hallimi. Estelle, c’est un mélange entre douceur et puissance, une interprète à suivre de très près.

Les luttes étant intersectionnelles, il était important de débattre des problématiques écologiques. Pour cela, Carmen Demestre et Cindy Haddad étaient présentes. Il y a 12 ans, elles ont créé ensemble un collectif féminin pour dénoncer la pollution omniprésente dans les aires d’accueil. La leur jouxte un champs pourri aux pesticides, une cimenterie et une usine de concassage. « Les asthmes sévères et les bronchites pulmonaires touchent les enfants, parents et personnes âgées, personne n’est épargné. ».

Lena Lazare, étudiante en agro-écologie et porte-parole pour les Soulèvements de la Terre, était invitée. Elle nous rappelle que « dans les années 1970/1980 les femmes ont tenu un rôle majeur dans la lutte contre le nucléaire« , plusieurs groupes se sont formés dans le monde entier derrière le slogan “sorcière, vénère, anti-nucléaire”. Pour la plupart pacifiques, certains mouvements, dont a fait partie l’écrivaine Françoise d’Eaubonne, posent des bombes pour tenter de stopper la construction de centrale.

Anna Kiejna, polonaise et membre de « Elles sans frontières », est présente pour parler de la montée de l’extrême droite. Dan son pays « tout ce que ce mouvement raciste préconisait dans les années 1980, le gouvernement actuel, financé par l’Eglise, l’applique » , elle ajoute pour exemple qu’aujourd’hui « l’avortement n’est plus autorisé sauf en cas de danger vital pour la mère« . En ce moment, ce qui inquiète Anna, c’est l’entraînement de jeunes hommes dans des camps quasi militaires renforçant un patriarcat déjà bien implanté.

Pour ramener un peu de gaieté et ne pas oublier les combats gagnés, la chanteuse Tzigane Marcela et ses guitaristes clôturaient la soirée. On dit d’ailleurs d’elle qu’« elle chante l’exil, raconte son déracinement et fait danser les malheurs de sa voix puissante. »

Fin de soirée avec le groupe de Marcel. @ju_dcntz

De ces deux jours de débats, que faut-il retenir ?

Que pour que les choses changent, il faut des activistes féministes au sein des institutions pour faire bouger les lignes de l’intérieur. Une réflexion est à mener au sein des réseaux militants autour d’une formation politique.

Qu’il est important que les membres du conseil européen s’accorde sur une définition commune du viol. Admettre la nécessité d’un consentement positif mettrait fin à la déresponsabilisation de l’agresseur face à l’absence de résistance. Instaurer une obligation de « oui » plutôt qu’une incompréhension de « non ».

Que l’Europe puisse s’inspirer de l’Espagne sur l’éducation des médias et la formation de tous les professionnels concernés dans le domaine de la police, de la justice, de la santé et du social, aux problématiques féministes. Tout comme il est primordial que se mette en place une éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle dès le plus jeune âge, comme c’est le cas en Estonie. « Cela pourrait éviter que BFM traite le cas du sénateur qui drogue sa collègue à son insu comme un fait divers et non comme un fait systémique et systématique » rappelle Alice Coffin, journaliste et militante féministe, invitée sur le plateau de BFMTV.

Que l’Europe pourrait aussi s’inspirer de la Slovénie qui a inscrit dans sa constitution, et dans sa charte des droits fondamentaux, le choix de donner ou non la vie. Cette inscription garantit, entre autres, une contraception et un accès à l’avortement libres et gratuit·es ainsi que la PMA pour les couples de femmes, les femmes seules et les personnes transgenres.

Qu’un congé parental d’égale durée minimale obligatoire pour les deux parents mettrait fin à une mise à disposition prématurée des corps par les employeurs, toujours plus précautionneux pour leur productivité que pour les personnes qu’iels emploient. Il aiderait aussi à trouver un équilibre des charges mentales lors d’une naissance. La Suède est alors un exemple à suivre, mais aussi le Danemark offre les meilleures prestations pour les structures de gardes, et permettent aux parents de reprendre le travail plus paisiblement.

Que la non prise en charge systématique des enfants comme en Belgique ou en France, après des cas avérés de violences domestiques, entraîne des situations ubuesques. Comme ce fut le cas d’une petite fille qui, pendant dix-huit mois, fut obligée de rendre visite à son géniteur qu’elle identifiait pourtant comme son violeur. Pire, le procès de sa mère, qui refusa de livrer son enfant à ce parent incestueux. En Espagne le recours au SAP (syndrome de l’aliénation parental, ndlr) est interdit depuis 2021, la justice considère l’enfant témoin comme une victime de la violence conjugale et le protège en conséquence.

Que l’autonomie financière est le socle de l’indépendance, un salaire minimum vitale devrait être garantie à toute personne résidant au sein de l’Union Européenne. L’imposition strictement individuelle comme on l’observe en Suède serait à démocratiser afin de ne pas pénaliser le salaire des femmes, souvent plus bas que ceux des maris. De plus, on pourra saluer la France dans sa mise en place systématique d’un intermédiaire pour les pensions alimentaires.

Que les femmes ne sont malheureusement pas toujours nos alliées. Les italiennes en font la douloureuse expérience avec l’arrivée au pouvoir de Georgia Melloni qui menace le droit à l’IVG et « retire le statut parental, pourtant établi, des mères lesbiennes » rappelle Silvia Casalino, ingénieure spatiale, réalisatrice et militante féministe lesbienne d’origine italienne. En Hongrie, c’est aussi une femme qui a fait passer une loi obligeant les personnes ayant recours à une IVG à écouter le bruit du cœur en construction du fœtus.

Pour répondre à toutes celles qui dénigrent le féminisme, une intervenante estonienne vous conseille de leur rappeler « toute l’ingratitude dont elles font preuve quant aux luttes passées qui leur permettent aujourd’hui de mener la vie dont elles jouissent, et de leur demander de ne pas affaiblir celles qui continuent de lutter pour des droits essentiels/existentielles. »

Que malheureusement aucun pays ne possède de lois assez complètes et solides pour soutenir les femmes issue de la migration et celles qui travaillent dans la prostitution.

Qu’une harmonisation des données à l’échelle européenne est importante afin de pouvoir établir une base de données, indispensable pour parer un négationnisme décomplexé de l’extrême droite.

Que deux jours entourée de personnes bienveillant·es et engagé·es permettent de redonner foi et joie pour la suite des combats.

Violaine Lucas et Sakshi Arya pour « La Déclaration de Nantes ». ju_dcntz

 

*https://france.representation.ec.europa.eu/informations/80-des-lois-francaises-sont-imposees-par-leurope-vraiment-2019-03-20_fr

Plus vite, plus fort, et à plus grande échelle : c’est dans l’idée de se construire comme journaliste et faire porter la voix des autres qu’elle a rejoint Fragil.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017