« À l’origine je n’avais pas l’ambition d’écrire un livre », c’est ce que nous dévoile Ana Pich qui a surtout la volonté de questionner notre société et l’utilisation de l’argent public « on met 4000 euros par détenu alors qu’on pourrait le mettre pour permettre aux gens d’avoir un accès au soin ».
Depuis la fin 2021, Ana Pich fréquente régulièrement les tribunaux, en particulier le tribunal judiciaire de Nantes où elle dessine les audiences ouvertes au public. À l’origine, elle s’y rend pour son mémoire qu’elle réalise durant ses études de droit, puis se met à collectionner ses dessins de procès, qui vont faire naître ce livre illustré de plus de 200 pages en octobre 2023. En publiant cette BD, Ana Pich a voulu se démarquer de ses homologues journalistes de presse plus « mainstream » et avare de faits-divers en montrant la banalité quotidienne de la violence judiciaire.
Publier pour partager au plus grand nombre
En publiant ce livre « sans grand espoir », Ana exprime tout de même avoir voulu « faire naître des questionnements, et créer de l’intérêt chez des gens qui n’auraient peut-être jamais entendu parler de l’institution judiciaire » mais également « chez les professionnel·les de justice », ce qu’elle juge avec humour comme « ambitieux ». Le droit étant une filière et un milieu « inaccessible » selon Ana Pich, il touche pourtant l’ensemble de la population. La dessinatrice décrit d’ailleurs la justice comme « une institution obscure mais qui intéresse ».
Ce livre qu’elle a voulu à un prix abordable, car « ça n’aurait aucun sens de le mettre à 40 euros », est donc l’occasion d’ouvrir les portes de la justice et du tribunal à un plus grand nombre de personnes.
Malgré des retours encourageants, une résonance encore légère dans le milieu de la justice
« C’est cool d’avoir des retours, de partager des points de vue, que ce soit avec des prévenu·es, des parents de prévenu·es ou des juges »
Depuis la sortie du livre, au cours de séances de dédicaces, Ana Pich a pu rencontrer des lecteurs et lectrices nantais·es. Un retour a été particulièrement surprenant selon l’autrice, d’une juge qu’on retrouve d’ailleurs dans son livre, « au début, j’avais de l’appréhension en la voyant, puis au final elle m’a dit qu’elle avait aimé le livre et souhaitait une dédicace, et qu’elle appréciait mon honnêteté intellectuelle », nous explique-t-elle. Une peur qu’elle confie et lie à parfois à un mauvais accueil au tribunal comme lorsqu’elle s’était faite insulter par un procureur. Cependant, « j’ai l’impression que le dessin est un outil protecteur […] tout le monde sait que si l’on m’insulte, je dessine » affirme-t-elle. Elle se dit tout de même « assez déçue de ne pas avoir plus de retours du milieu judiciaire », mais qu’elle espère que les avocat·es, magistrat·es, juges, évoquées dans son livre, puissent prendre conscience et prendre du recul « sur les discours inacceptables, racistes, sexistes et méprisants qu’on entend dans des salles d’audiences publiques prononcés par des fonctionnaires de l’État ».
Ana Pich fut tout de même agréablement surprise à la librairie Coiffard, en dédicace, de retrouver des étudiant·es de la faculté de droit de Nantes. Son livre est d’ailleurs également disponible à la Bibliothèque Universitaire de droit, ce qui est selon Ana Pich « intéressant car il [le livre] donne un point de vue alternatif » en comparaison avec le milieu social aisé et privilégié dominant à l’université de droit « avec des idées non progressistes, et non critique de la justice et du système carcéral, punitif ». Cette BD est aussi considérée comme un outil d’éducation au droit, comme pour un enseignant de droit de l’environnement, qui utilise ces dessins de procès, notamment des bassines, à la Rochelle, ou à Niort, pour illustrer ses cours.
Au niveau du milieu militant nantais, selon Ana Pich, il y a forcément une résonance : « on se croise souvent, au tribunal car il y a pas mal de procès du mouvement social, donc il peut y avoir des conversations là dessus ». »J’ai l’impression qu’il y a un bon retour mais aussi parce que j’ai toujours tenu à garder les informations personnelles de chacun·e et mon regard militant fait que je vais appuyer sur certains points et enlever certaines choses » nous confie-t-elle.
La lutte contre l’injustice ordinaire au delà du livre
« Dessiner c’est ma façon de militer »
Lorsqu’on demande à Ana Pich si un tome 2 verra le jour, elle nous répond avec amusement « je n’ai pas de vision à long terme, je ne sais pas ce que je ferai le mois prochain ». En fait, dessiner c’est son quotidien, « je dessine tout, et ce qui m’indigne »nous précise-t-elle, « donc ma copine qui se fait arrêter à la fin d’une manifestation féministe sous prétexte qu’elle ait une affiche mettant Darmanin à charge, j’appelle un maximum les gens à se mobiliser sur mon compte Instagram ».
« Le dessin permet de retranscrire des choses tout en préservant un certain anonymat, c’est plus doux que la photo »
« Je ne sais que dessiner » nous confie l’autrice à la fin de notre entretien. Que ce soit « au bar avec les amis, la vie quotidienne, le militantisme j’aime bien écouter les gens parler et c’est un moyen de garder des souvenirs ».
Elle repart tout de même de ce bar, pour aller assister à un procès de manifestation, avec son carnet dans le sac !
Pour en savoir plus sur Ana Pich, vous pouvez retrouver une partie de ses dessins de procès sur son compte Instagram @anapich.