22 janvier 2024

Paul Watson, une figure à double tranchant

Sea Shepherd Global a récemment opéré une scission au sein de l'organisation. L'occasion de revenir sur la vision de son fondateur Paul Watson remercié en 2022

Paul Watson, une figure à double tranchant

22 Jan 2024

Sea Shepherd Global a récemment opéré une scission au sein de l'organisation. L'occasion de revenir sur la vision de son fondateur Paul Watson remercié en 2022

 

 

Lamya Essemlali et Paul Watson sur la scène du festival Ocean Fest / 2024 Photo : @ju_dcntz

« Si il y a bien quelqu’un qui peut prendre la relève du mouvement Sea Shepherd, c’est Lamya ». Paul Watson, sur la scène du festival Oceanfest, annonçait ainsi clairement l’héritière de son mouvement et des valeurs qu’il défend depuis plus de quarante ans. Lamya Essemlali, est la créatrice et directrice de la branche française de Sea Shepherd.

Pour la deuxième édition du festival à Nantes, Paul et Lamya étaient invités d’honneur d’Hugo Clément.

Un retournement au service de l’argent 

L’ONG que Paul Watson a créé en 1977 après Greenpeace, a décidé de les remercier, lui et sa directrice de la branche française, en 2022. Parmi les membres du conseil d’administration qui en ont décidé ainsi, un mousse (Alex Cornelissen, aujourd’hui directeur exécutif de Sea Shepherd Global) et un cuisinier (Peter Hammarstedt, aujourd’hui directeur des campagnes de Sea Shepherd Global) qui ont, au fil des années, évolués jusqu’aux plus hautes sphères du mouvement.

Il nous dit être « devenu gênant de par ses différents avec le Japon, son inscription à la notice rouge d’Interpol et ses prises de paroles sans filtres, les membres de l’organisation mettent en avant la mise en péril des donations, notamment celles des banques et des assurances« .

 

Paul Watson, en 2004 entouré de son équipage avec, à sa droite Peter Hammarstedt, alors mousse et Alex Cornelissen, cuisinier. Photo de Sea Shepherd France

De l’intérieur il serait le « problème Watson ». Ses anciennes équipes auraient décidé de faire fi d’une partie de leur histoire sur leur site internet. Ils ne souhaiteraient pas raviver des souvenirs comme les baleiniers coulés en 1986 en Islande, qui nuiraient à leur nouvelle image de marque et feraient fuir les partenariats.

Paul Watson entretient l’image d’un homme lisse toujours constitué de bonnes intentions. Quelques phrases nous font cependant tiquer, notamment pendant la conférence, lorsqu’il met en avant que « les jolies femmes » ont toujours fait avancer plus vite les mouvements, propos sexiste sous une assemblée rieuse et complaisante. Le capitaine ne s’est jamais caché de ses liens étroits avec Brigitte Bardot, icône de beauté dans les années 50/70, écrivaine aux propos racistes condamnée depuis les années 2000. Elle est aussi soutien du RN (rassemblement national), parti politique d’extrême droite. C’est elle qui leur financera un bateau à son nom en 2011.

Ainsi sur la proue de leur trimaran le « Brigitte Bardot », à la retraite depuis 2021, cette dernière est peinte en maillot de bain dans un style sexualisé.

Le bateau avait été baptisé sur le quai d’honneur du port de La Ciotat en mai 2011 en présence de Paul Watson. La coque et le dessin de la guerrière qui l’ornait seront revus quelques années plus tard. Photo Var-matin et DR

 

Une autre vision du problème écologique : entre biocentrisme et malthusianisme

Celui qui s’est fait connaître en s’interposant entre un chasseur et un bébé phoque, côtoie la violence, et notamment celle des politiques. « À chaque fois que l’on a pu m’appeler écoterroriste, tout ce que j’ai eu à dire c’est que je n’ai jamais travaillé pour Monsanto. Ce sont ces entreprises qui sont terroriste. » raconte Paul Watson. Pour lui, ce sont les États qui détiennent le monopole de la violence, ce serait pour s’en protéger qu’il aurait développé la non-violence agressive, « cela reste une intervention directe mais vous ne blessez personne. ». 

Ses prises de positions naissent de sa vision qu’il nous dit basée sur le biocentrisme. Un concept qui considère toutes les espèces sur un pied d’égalité, différente de l’anthropocentrisme qui place l’homme au centre de l’univers.

Pour Paul Watson, il est primordial que l’humanité évolue et s’éloigne de cette manière de pensée qui la guide depuis plusieurs siècles « l’être humain doit apprendre l’humilité et le fait que notre espèce n’est pas supérieure aux autres ». Notre manière même de mesurer l’intelligence serait biaisée. Le capitaine nous fait la démonstration d’un blob (organisme unicellulaire aux capacités régénératrices et d’adaptation hors normes, apparu il y a un milliard d’années). Sa capacité d’apprentissage et de partage de ses connaissances, cela sans cerveau, ne suffisent pas. Il lui faudrait partir « en mission spatiale pour que son intelligence soit reconnue« , ironise le capitaine.

Pendant l’interview, il utilise l’expression « conservative conservationnist » pour se définir. Un jeu de mot entre le conservatisme au sens de réactionnaire qui se dit conservatism et l’écologie qui se dit conservation. Il justifie cette expression par le fait qu’il n’y a rien de plus conservateur que de vouloir conserver la nature. L’expression lui vient de son mentor David Foreman, qui révèle une autre manière de penser du capitaine : le malthusianisme. C’est une doctrine politique qui prône la restriction démographique. Cette pensée s’appuie sur des mesures anti immigration, car elle menacerait la démographie de par son taux de natalité.

Dans une émission de débat canadienne sur la CBC (Canadian Broadcasting Commission), en 2006, Paul Watson tenait ces propos sur l’immigration mexicaine aux Etats-Unis : « chaque année près de 3 millions de personnes s’ajoutent à la population des États-Unis et la plupart viennent de l’immigration. En fait, ce que nous préconisons est que le nombre d’immigrant doit être réduit à des niveaux faibles pour obtenir une stabilisation de la population. Par le seul taux de natalité aux Etats-Unis, vous n’aurez pas une telle augmentation. L’immigration est la seule responsable. Et pas seulement l’immigration mais les naissances qui découlent de l’immigration, car le taux de natalité pour les immigrants est bien plus élevé que chez les non immigrants » (tdlr)*

Reprise et procès 

Pour Paul et Lamya, les prochains mois seront partagés entre la préparation de leur prochaine campagne en Islande pour défendre les rorquals, et les procès en France et en Hollande.

Ils entrepris un des procès pour contester leur éviction illégale en tant que directeurs de Sea Shepherd Global. Le deuxième leur est intenté par leur ancienne équipe pour récupérer le nom et le logo de l’ONG. La fondation Capitaine Paul Watson continuera elle, de s’étendre dans les pays où le capitaine est désormais persona non grata. 

 

 

Un bateau dans la tempête, photo de Adam Laune

 

*every year almost 3 million people are added to the US population and most of that is from immigration. In fact, all we’re advocating is that immigration numbers be reduced to levels to achieve stabilization of population. By birth rates alone in the United States, you don’t have that increase. Immigration is solely responsible. Not only immigration but births by immigrants, because the birth rate amongst immigrants is far higher than the birth rate amongst non-immigrants.

https://candobetter.net/node/605

Plus vite, plus fort, et à plus grande échelle : c’est dans l’idée de se construire comme journaliste et faire porter la voix des autres qu’elle a rejoint Fragil.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017