• Bertrand Cuiller au clavecin à la Folle Journée de Nantes
12 février 2024

Bertrand Cuiller, claveciniste et musicien classique, pas si classique que ça !

À l’occasion du festival de musique « La Folle Journée », Fragil a rencontré Bertrand Cuiller, claveciniste, musicien et directeur de l’ensemble Le Caravansérail. Il a choisi de jouer « les Variations Goldberg » de Jean-Sébastien Bach ce jeudi soir à la salle Arabesque.

Bertrand Cuiller, claveciniste et musicien classique, pas si classique que ça !

12 Fév 2024

À l’occasion du festival de musique « La Folle Journée », Fragil a rencontré Bertrand Cuiller, claveciniste, musicien et directeur de l’ensemble Le Caravansérail. Il a choisi de jouer « les Variations Goldberg » de Jean-Sébastien Bach ce jeudi soir à la salle Arabesque.

Bertrand Cuiller se présente : il est claveciniste et musicien. Il joue du clavecin et dirige un ensemble qui s’appelle Le Caravansérail. Cet ensemble est consacré à la musique classique, dite « baroque ». Père de deux enfants qui ont 5 ans et 9 ans. Son aîné fait du clavecin et il précise qu’il n’y est pour rien, c’est lui qui a voulu et d’ajouter « Et voilà et ça me prend beaucoup de temps, je n’ai pas spécialement de hobby à part ça : la musique, le clavecin. J’adore rester enfermé chez moi travailler et faire des concerts et gérer ma petite entreprise de l’ensemble. ».

Bertrand Cuiller, claveciniste (Photo Julien Mignot)

Bertrand Cuiller (photo Julien Mignot)

La grande famille musicale

Bertrand Cuiller est un habitué de la Folle Journée. Il vient jouer ici depuis 2001 et s’est produit une quinzaine de fois depuis lors. Pour lui, « c’est vraiment un festival rendez-vous ». Il confie être déçu quand il n’est pas invité, « j’espère toujours venir faire mon petit pèlerinage. C’est sympa d’avoir un rendez-vous annuel, c’est rare en fait. » Il se considère heureux de faire partie de la grande famille du festival composée autour de René Martin, son créateur.
C’est doublement une affaire de famille puisque Jocelyne Cuiller, sa mère donne un récital de clavicorde, son père Daniel et son frère Guillaume sont également présents au sein de l’ensemble nantais Stradivaria.
Autre famille musicale, le Caravansérail. Ensemble qu’il a créé en 2015 et que les Nantais ont pu découvrir à l’Opéra de Nantes lors de la représentation de « Rinaldo » de Georg Friedrich Haendel. Sous sa houlette, le projet devient un sujet d’expérimentation et de réflexion sur lui-même car il doit assumer de diriger des collègues qui sont aussi des amis.

Souvenirs mémorables d’une Folle Journée

Il se remémore un concert programmé tôt un matin en 2001. Plutôt que de se lever aux aurores, il a pris la décision de ne pas dormir et de jouer pour avoir les doigts chauds. Il s’imaginait « envoyer son concert et se coucher ensuite ». Il raconte « je me suis fait enfermer dans la salle du concert le soir. Tout le monde est parti. Je suis resté tout seul donc et j’ai travaillé. J’ai travaillé toute la nuit et puis au bout d’un moment, je n’en pouvais plus. Et vers 6h du matin, je me suis couché par terre à côté du clavecin, j’étais mort et j’ai commencé à m’endormir. Vers 7h, il y a les femmes de ménage qui sont arrivées avec les grosses machines pour laver le sol… Et j’ai fait un concert calamiteux parce que j’étais mort, j ‘étais crevé. J’ai ramé pendant tout le concert, donc c’était un des plus difficiles concerts… Mais je manquais un peu d’expérience, j’avais pensé innocemment que je pourrais faire ça et c’était complètement stupide. » Ce souvenir, il en parle avec le sourire aujourd’hui. Toutefois il l’a plutôt mal vécu à l’époque car des programmateurs étaient là pour l’écouter et cela a impacté sa confiance. « Un truc à faire une fois et à ne pas refaire ! »

De la musique baroque avant toute chose, mais aussi sortir du cadre classique

Bertrand Cuiller ne joue pratiquement que de la musique baroque car « c’est le répertoire qui marche vraiment bien au clavecin ». Il précise « J’adore le clavecin et donc j’ai envie de faire un répertoire qui soit intéressant à jouer au clavecin et ce qui est intéressant à jouer, ce sont les compositeurs qui sont vraiment des clavecinistes. C’est Bach, Rameau, enfin tous les compositeurs baroques depuis le 16e siècle jusqu’à fin 18e. » Pour ce musicien, il faut une démarche pour comprendre cet instrument, pour savoir comment il sonne et comment l’utiliser : « Le clavecin, c’est particulier, ce n’est pas juste qu’un son, il y a la longueur des notes, l’attaque, la fin… ».

Il complète : « pas besoin d’être claveciniste, mais il faut s’intéresser à l’instrument. Par exemple, Olivier Mellano, c’est un fan de clavecin. Quand il a composé ses pièces pour clavecin que j’ai jouées dans ‘La Chair des Anges‘, il avait écouté de nombreuses œuvres de clavecins, donc il a des idées de comment faire sonner un clavecin. » Il mentionne aussi Loïc Guénin, musicien compositeur avec lequel il collabore dans le duo « Bird-cage played with toasting forks ». C’est un spectacle inspiré d’une phrase d’un chef d’orchestre qui avait dit du clavecin « ça ressemble à une cage à oiseaux sur laquelle on peut jouer avec des pinces à rôtir ». Le côté moqueur les a interpelés et de là est née l’œuvre : « Il y a une partie composée par Loïc Guénin, on joue du John Cage, François Couperin… et on joue plein d’instruments et de la cage à oiseaux aussi ! C’est devenu un instrument dans ce spectacle instrument qui est amplifié avec des piezzo et ça sonne très bien ! »

Pas réfractaire à la musique contemporaine, il a passé commande d’un morceau pour trois clavecins à Benjamin Attahir, jeune compositeur français. Il envisage également un projet plus pop avec un chanteur et un DJ. D’ailleurs, il dispose de nombreuses machines et s’enregistre : « Je fais des trucs un peu plus électro et je sors du cadre classique ».

 

Bertrand Cuiller sur Instagram

Si vous allez sur ses réseaux sociaux, vous remarquerez que sa communication est non conventionnelle et qu’il ne donne pas l’image d’un musicien posé. A ce sujet, il explique au sujet de ses facéties, « c’est né sans trop réfléchir pendant le Covid, ça a fait rigoler les copains. Ça m’a encouragé à continuer et maintenant j’ai remarqué que ça faisait venir des gens sur mes comptes, qui ne sont pas forcément les gens que j’ai l’habitude de voir aux concerts. ». C’est important pour lui que la musique baroque puisse toucher le plus large public possible et aussi les jeunes générations. Il mentionne la réussite de Jean Rondeau, jeune claveciniste au look cool, sans costard, barbe et cheveux en pétard et qui par ses interprétations de toute beauté va capter une nouvelle audience. C’est visiblement le chemin que suit également Bertrand Cuiller : « J’aime bien m’amuser à communiquer pendant les concerts avec le public et à faire des blagues et à faire rigoler le public pour créer un lien et que ça soit un moment sympa, agréable ».

« On est fragiles »

Bertrand Cuiller évoque aussi la difficulté de gagner sa vie dans le monde de la musique. Le cachet des musicien·nes pour une journée de répétition n’a pas augmenté depuis plus de 20 ans malgré l’inflation. Les intermittent·es dans le monde de la musique sont en situation précaire et vivent des moments difficiles. Il résume par ces mots : « On est fragiles ».

A mon interrogation sur son rapport à la fragilité, il affirme que « dans l’acte artistique, c’est extrêmement important ; mais il faut trouver l’équilibre ». Il cherche donc à l’intégrer et à travailler avec, sans que cela devienne synonyme de danger. « La vrai magie arrive lorsqu’il y a de la fragilité. Sur le fil, c’est là que ça peut devenir magique ».

Au vu des applaudissements nourris et au nombre de rappels après son concert à la Folle Journée, le musicien a visiblement partagé cette magie avec le public ce soir-là.

Prochaines dates de Bertrand Cuiller

Nantaise de cœur, Caroline sillonne la ville entre concerts et spectacles. Ses autres domaines de prédilection : l'art contemporain, les arts graphiques et le cinéma ! Elle partage avec plaisir ses coups de cœur culturels.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017