8 février 2024

Dominique Le Nen, un chirurgien engagé pour la cause palestinienne

Depuis vingt ans, Dominique Le Nen participe à des missions humanitaires en Palestine en sa qualité de chirurgien. Il était présent ce mois-ci pour la projection du film "Un Erasmus à Gaza". Rencontre avec un homme empreint d’humanité.

Dominique Le Nen, un chirurgien engagé pour la cause palestinienne

08 Fév 2024

Depuis vingt ans, Dominique Le Nen participe à des missions humanitaires en Palestine en sa qualité de chirurgien. Il était présent ce mois-ci pour la projection du film "Un Erasmus à Gaza". Rencontre avec un homme empreint d’humanité.

Dominique le Nen nous attend tôt ce matin, assis dans un canapé du hall de son hôtel. Pour Fragil, il accepte de revenir sur son parcours, ses doutes et ses espoirs.

A onze ans, il assiste derrière le petit écran à la première greffe du cœur. Ce sera une révélation, il décide que plus tard, il fera médecine. Bien que mauvais élève durant sa scolarité, il s’arme de volonté et devient chirurgien orthopédiste et traumatologue, puis se spécialise dans la reconstruction des nerfs. Il fait partie d’ « une vieille école qui pense qu’il faut laisser sa chance à tout le monde, parce qu’on leur demande (les lycéens, ndlr) de faire des choix arbitraires, mais beaucoup de jeunes gens se révèlent tardivement, notamment ceux qui ne sont pas très assidus.». Quelles que soient les études supérieurs envisagées et le dossier déposé, il estime que tout le monde devrait avoir sa chance.

C’est par le hasard d’un confrère qui revenait de l’hôpital Al Shifa à Gaza, et qui cherchait quelqu’un dans sa spécialité, qu’il s’est engagé dans ses premières missions humanitaires en Palestine.

Un engagement depuis plus de vingt ans 

Il s’est épris de ce peuple souriant et résiliant, et l’image qu’il en garde est bien loin de ceux que le ministre de la défense d’Israël compare à « des animaux », « moi je rencontre des femmes, des hommes, des enfants qui veulent vivre libres. ».

Au retour de sa première mission, il ne lui faudra pas plus de quatre mois pour s’extirper de ses couloirs aseptisés et retourner auprès de cette « terre faite de vallons et de collines, très fertiles, avec des gens qui la cultive, il y a des universités, il y a des gens qui travaillent, il y a des marchés, il y a la vie. »

Les moments de crise, il apprend à les vivre comme le reste de la population, dans un ballet maintes fois répété. La bombe qui éclate, les voix qui s’élèvent, les sirènes qui hurlent, les blessés qui affluent, et puis « deux heures après vous avez l’impression que rien ne s’est passé, la vie reprend son cours ».

Le plus compliqué, c’est de trouver une éthique dans le choix des patient·es, pour lui et ses collègues ce sera « les enfants en priorité, ce sont eux l’avenir du pays ». Un dilemme qu’il continue à éprouver, « c’est choix qui n’est jamais juste, ou injuste, peut être que vous auriez fait différemment ». Sur place, il ne fait pas de l’urgence, les chirurgien·nes présent·es sont bien plus qualifié·es pour ces évènements, lui ramène l’expertise de son domaine et répare les membres qui peuvent être soignés.

Constat alarmant du manque d’aide médicale à Gaza

Récemment, des colons israéliens ont fait irruption dans l’hôpital où il exerçait, « une situation dramatique dans l’indifférence générale ». Il déplore le traitement de l’information, « ce que l’on nous montre par les médias ce sont les extrêmes, et les extrêmes d’un côté comme de l’autre qui sont contre la paix. ».

Pourtant, le docteur Le Nen ne perd pas l’espoir d’un cessez le feu, il garde « cette envie d’aller là-bas, demain je signe si je peux y retourner». Malheureusement les humanitaires ne sont toujours pas autorisés malgré la situation catastrophique, « on voit bien qu’ils ont besoin d’aide médicale et on ne peut pas leur apporter, c’est ça qui est fou. Il y a très peu de gens qui passent les frontières alors que la demande est criante » déplore-t-il.

Sa dernière mission s’est achevée par un triste hasard le 7 octobre, jour de l’attaque meurtrière du Hamas. C’est après avoir atterri à Paris qu’il réalise l’ampleur du désastre qu’il vient de quitter. Depuis, il suit la guerre de loin, « ça vous prend parce que ce sont des gens avec qui on travaille, on collabore, je reste en contact permanent avec eux pour prendre des nouvelles. ».

Un des principaux organismes qui finançait ses missions, le PCRF (Palestine Children’s Relief Fund), a dû arrêter son activité pour des raisons de sécurité. Une situation que connaissent beaucoup d’organismes. Il y a quelques jours, l’UNRWA (United Nation Relief and Work Agency), l’organisme de l’ONU le plus important de la région, et dont dépend la survie de deux millions de gazaouis, a vu une grande partie ses financements suspendus dont celui de la France. Pour cause, le gouvernement israélien qui a émis des soupçons quant à l’implication de certain.e.s de ses employé.e.s dans les attentats d’octobre. Face à cette décision, le praticien se montre critique « une fois de plus on coupe les vivres à des gens qui en ont besoin« . Cette accusation a lieu quelque jours après la déclaration de la Cour International de justice qui « considère que, […], Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza ».

La volonté de continuer à aider 

Depuis peu à la retraite, Dominique Le Nen conserve son poste d’universitaire et continue à enseigner. Il ne compte pas s’arrêter de but en blanc, « quelque part c’est un arrêt progressif. J’ai aussi gardé un jour à l’hôpital pour venir aider mes jeunes collaborateurs dans des interventions difficiles, j’aide également lors de consultations délicates. Je n’opère pas moi-même mais je donne des avis. C’est super, ça me permet de continuer à aider et je vois bien qu’ils en sont aussi demandeurs. Je veux aussi continuer mes missions humanitaires, je serai bien malheureux le jour où je devrai arrêter ».

« A quoi on sert ? » est une question qui continue à le tarauder, pourtant, il semble avoir trouvé un début de réponse « j’ai mis les pieds dans quelque chose, j’ai envie de continuer à aider, soit sous forme d’entretien comme celui-ci, soit en allant sur place. »

Pour en apprendre plus, nous vous invitons à découvrir son ouvrage « De Gaza à Jénine, tant que la guerre durera », disponible en librairie.

Plus vite, plus fort, et à plus grande échelle : c’est dans l’idée de se construire comme journaliste et faire porter la voix des autres qu’elle a rejoint Fragil.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017