15 février 2024

Exhibition sexuelle en fac de médecine : Nantes Université « enquête », la corpo étudiante souhaite « étouffer » l’affaire

En septembre 2023, l’exhibition sexuelle de quelques étudiants de 2ème année de médecine, devant un amphithéâtre de plusieurs centaines de personnes a provoqué une saisine du procureur de la République par la présidence de Nantes Université. Cependant, Fragil révèle aujourd'hui un message du président de la Corporation Nantaise Étudiante de Médecine (CNEM) qui souhaite étouffer l'affaire.

Exhibition sexuelle en fac de médecine : Nantes Université « enquête », la corpo étudiante souhaite « étouffer » l’affaire

15 Fév 2024

En septembre 2023, l’exhibition sexuelle de quelques étudiants de 2ème année de médecine, devant un amphithéâtre de plusieurs centaines de personnes a provoqué une saisine du procureur de la République par la présidence de Nantes Université. Cependant, Fragil révèle aujourd'hui un message du président de la Corporation Nantaise Étudiante de Médecine (CNEM) qui souhaite étouffer l'affaire.

« Plusieurs discussions vont se poursuivre dans les semaines à venir pour étouffer progressivement cette histoire, et faire redescendre la pression au sein de la faculté. ». C’est par ces mots que le président de la CNEM (Corporation Nantaise des Étudiants en Médecine de Nantes), Mathis Neuhaard, s’est exprimé, le 11 octobre 2023, via le salon Discord des étudiant·es de deuxième année en médecine. Ce message fait suite au mail officiel de la présidente de Nantes Université Carine Bernaut, du même jour, adressé aux étudiant·es de médecine et dénonçant des faits d’exhibition sexuelle. Celle-ci rappelle la loi : « délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15,000 € d’amende selon l’article 222-32 du code pénal » et annonce avoir « saisi le Procureur de la République […] et demandé à ce qu’une enquête interne soit diligentée ». Pour préciser les faits, ces événements se déroulent le 28 septembre 2023. Ils commencent de manière traditionnelle avec « la danse des P2 » [P2 pour étudiant·es de deuxième année] devant un amphithéâtre d’étudiant·es en première année de médecine. C’est un rite annuel qui consiste à « accueillir » les P1. Cependant, l’évènement prend une autre tournure lorsque quelques individus masqués ou non identifiables se positionnent devant l’assemblée et abaissent leurs sous-vêtements pour exhiber leurs parties génitales. Les réactions des étudiant·es en première année sont mitigées. En témoignent les quelques vidéos et commentaires de la scène publiées sur les réseaux sociaux X ou Tiktok. On peut y entendre des rires et des applaudissement, mais également y voir des personnes statiques, ne participant pas aux encouragements. (AVERTISSEMENT / TW vidéo montrant des exhibitions sexuelles postée sur X le 29/09/2023 de plus de 300.000 vues : https://twitter.com/AxelBrrg/status/1707829309006557395 ).

« C’est pas la première fois que ça arrive en fac de médecine », un·e étudiant·e* en 3ème année de médecine.

Bâtiment de la fac de médecine, dans lequel se trouve l’amphithéâtre Kerneis. (Photo : Lisa Le Floch)

Un événement minimisé par la CNEM

Cette affaire prend un autre tournant avec la prise de position du président de la CNEM « conscient de l’impact stressant que celui-ci peut avoir auprès de votre promo [ndlr : la promo des deuxièmes années] ». Principale association étudiante de la faculté de médecine, en place depuis 30 ans, et comptant plus de 2000 adhérents, « la corpo » intervient en tant que représentante des étudiant·es de médecine dans différents domaines, dont l’animation (intégration, tonus et événements de la vie étudiante).

Capture d’écran du message Discord du président de la CNEM, sur un groupe d’étudiants en 2ème année de médecine 1/3 (11/10/2023 à 22h32)

Capture d’écran du message Discord du président de la CNEM, sur un groupe d’étudiants en 2ème année de médecine 2/3 (11/10/2023 à 22h32)

Capture d’écran du message Discord du président de la CNEM, sur un groupe d’étudiants en 2ème année de médecine 3/3 (11/10/2023 à 22h32)

Ce message Discord nous a été transmis par une étudiante* de médecine « choquée » par les propos du président de la corporation et qui « ressent cette déclaration comme un encouragement ». En effet, les mots du président de la CNEM viennent largement délégitimer le propos tenus par la présidente de Nantes Université, et les ressentis des étudiant·es choqué·es par l’exhibition sexuelle.
Mathis Neuhaard a accepté de nous donner une interview. Nous lui avons demandé si les discussions visant à « étouffer progressivement cette histoire» étaient liées à celles avec la présidence de Nantes Université. Ce dernier affirme que « jusqu’à présent » il n’a « toujours pas rencontré la présidence de l’université’ », mais « qu’il y a eu plusieurs discussions en parallèle, notamment avec le directeur général de Nantes Université (ndlr : DGA chargé de l’environnement social et institutionnel), Roman-Dubreucq, et avec la doyenne », Pascale Jolliet qui n’est plus en poste depuis décembre 2023. Information que la présidence de Nantes Université nous a confirmé par mail en nous indiquant que  « Nantes Université n’a (…) en aucun cas, essayé, ou la volonté « d’étouffer » cette affaire ».

« C’est comme si trois jours après ce qu’il s’était passé, ce n’était plus un sujet » – étudiante* en deuxième année de médecine.

Le double discours de la CNEM sur les violences sexistes et sexuelles

« Au moment où je vous parle, ma première priorité est de protéger toutes les personnes concernées de près ou de loin par tout ça, et de faire en sorte de calmer le jeu pour assurer la pérennité de nos événements (et en particulier celui-ci) ». Lors de notre entretien téléphonique, le président de la CNEM clarifie ce passage extrait de son message Discord. Mathis Neuhaard exprime d’un air embarrassé, que sa volonté était de « protéger les étudiants » et non pas « les personnes concernées qui ont fait des VSS ». Mais cette affirmation sera contredite par sa volonté de « rassurer un peu tout le monde, car tout le monde est choqué, à la fois ceux qui n’étaient pas en accord avec ces pratiques et à la fois ceux qui l’ont fait ». Pour Mathis Neuhaard, il y a alors un besoin de rassurer les étudiants ayant enfreint la loi, « c’est compréhensible [ndlr : leur peur], c’est une tradition où des dizaines de personnes le font chaque année, ça tombe sur eux, et il y a ce sentiment d’injustice : pourquoi nous on seraient condamnés, alors que des milliers de gens l’ont fait avant nous ? ».

« Je pense qu’on est l’une des villes les plus Bisounours sur ce point là. » – président de la CNEM

Cependant, le président de la CNEM se rassure du rôle de la corporation étudiante dans la lutte contre les VSS, « le problème c’est que comme beaucoup de tradition en médecine les choses changent d’années en années, j’ai rencontré pas mal de présidents de corpos en France, pour savoir comment ça se passe dans d’autres villes. C’est vrai qu’à Nantes on a fait pas mal de boulot pour endiguer tout ça, je pense qu’on est l’une des villes les plus Bisounours sur ce point là. ». Il rappelle que « nous la CNEM on a un pôle santé public qui est engagé fermement là dedans, on a fait beaucoup de prévention anti VSS depuis au moins 2 ans ». L’étudiante en deuxième année de médecine qui nous a transmis le message de la CNEM trouve que « la corporation ne semble pas prendre la mesure du potentiel caractère choquant de ce genre d’événement, en dissonance avec un discours de vigilance autour des VSS tenu depuis le début de l’année par l’association ».

Quatre mois après les faits et la réaction officielle de la présidence de Nantes Université, il apparaît que l’affaire s’est essoufflée selon une étudiante* en deuxième année : « aucune initiative n’a été menée, tout est revenu à la normal ». La présidente de Nantes Université, suite à une prise de contact, affirme à travers son attachée de presse que « l’enquête est en cours et dans ce cadre Nantes Université n’accorde aucun commentaire ». Selon Mathis Neuhaard, « un rendez-vous est prévu en fin de semaine » entre la corporation et la présidence de Nantes Université.

Enquête signée Aminata Diaban et Lisa Le Floch 

*[les étudiant·es ayant apporté leurs témoignages ont souhaité rester anonymes]

Autodidacte et impliquée, Lisa est en deuxième année de licence information/communication. Dans le quotidien, elle est très active et trouve épanouissement dans l’artistique. Son lien aux autres et son rapport à l’art lui créent de grandes ambitions pour l’avenir.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017