27 février 2024

Un pas en arrière pour l’aide sociale à l’enfance

Une mobilisation de l'ensemble des professionnel·les de la protection de l'enfance a eu lieu, le jeudi 22 février, suite à la circulaire de la directrice Enfance-Famille de la Loire-Atlantique indiquant la fin brutale du contrat jeune majeur (CJM) entre 21 et 25 ans.

Un pas en arrière pour l’aide sociale à l’enfance

27 Fév 2024

Une mobilisation de l'ensemble des professionnel·les de la protection de l'enfance a eu lieu, le jeudi 22 février, suite à la circulaire de la directrice Enfance-Famille de la Loire-Atlantique indiquant la fin brutale du contrat jeune majeur (CJM) entre 21 et 25 ans.

Jeudi 22 février, dès 8h45, une foule commence à se rassembler sous une pluie battante devant le conseil départemental de Nantes. Iels sont assistant·es sociaux, psychologues, éducateur·rice·s spécialisé·es, jeunes ou anciennement jeunes majeur·es de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance, ndlr). Toutes et tous ont répondu présent à l’appel lancé lundi 19 février par Repairs 44 !, « une association par et pour les jeunes en fin de parcours ASE », soutenue par de nombreuses associations sociales et médico-sociales travaillant aux côtés des jeunes confié·es à la protection de l’enfance.

Malgré la pluie, des personnes de tout le département ont fait le déplacement à Nantes. @ju_dcntz

La fin brutale du rallongement des CJM

La colère est née d’un courrier envoyé par la direction Enfance-Famille aux chef·fes d’établissements. Cette circulaire annonce que le dispositif prolongé des CJM (contrats jeune majeur, ndlr), permettant l’accompagnement des jeunes de l’ASE jusqu’à 25 ans, prendra fin le 1er avril 2024. Les CJM reviendront donc à la limite légale de 20 ans, marquant une rupture brutale malgré des résultats jugés concluants. Pour Maelys, éducatrice spécialisée à Saint-Nazaire travaillant dans un service d’appartements pour jeunes de 16 à 21 ans, c’est « un énorme pas en arrière ».

Marie, éducatrice spécialisée au quartier des Dervallières et déléguée CGT, ressort du conseil départemental dépitée : « Beaucoup de paroles, mais peu d’actes. » Si elle est d’accord sur le principe que les jeunes doivent travailler et trouver un logement pour devenir indépendants, elle trouve illusoire d’espérer que tous puissent y parvenir, compte tenu de la diversité des parcours. « Une jeune fille de 21 ans avec des parents défaillants et les difficultés actuelles d’accès à l’hébergement va trouver quoi comme logement ? On sait très bien ce qu’il se passe : ce sont des risques de prostitution, de danger accrus, de se faire héberger par n’importe qui, des risques de parentalité non voulue ou non préparée. » déplore-t-elle.

D’après les dernières études d’Eurostat en avril 2023, les jeunes Français·es quittent le foyer familial après leurs 23 ans. Il serait donc demandé à ces enfants de s’émanciper plus tôt que leurs camarades, qui possèdent souvent plus de moyens pour s’en sortir.

Un·e membre de l’association LINKIAA, association de protection de l’enfance en Loire Atlantique brandit une affiche « 18ans…Et si c’était vos enfants ???? ». @ju_dcntz

Un budget gelé en 2024

Le choix du lieu de rassemblement n’est pas anodin. Dans l’une des salles du conseil départemental, le budget alloué à la protection de l’enfance est en cours de discussion, avant d’être définitivement décidé en mars.

« Pas de coupes budgétaires, vous foutez les jeunes en l’air ! », scandent une partie des manifestant·es.

Selon Solidaire Sud Santé Sociaux, la CGT et Travail Social en Lutte, les pouvoirs publics envisageraient de « réduire les effectifs des travailleur·euse·s sociaux des équipes éducatives, réduire les effectifs des veilleur·euse·s de nuit dans les établissements médico-sociaux et de ne pas remplacer certains départs à la retraite ».

Ludwig, éducateur à Guérande, témoigne : « Ils [les pouvoirs publics, ndlr] veulent faire des économies d’argent, mais nous, on tourne en rond. Si on n’a pas de moyens, on ne peut pas accueillir décemment les enfants. Parfois, on n’a pas d’autre choix que de les mettre en hôtel, avec plus ou moins d’encadrement d’adultes, plus ou moins formé, souvent moins que plus de toute façon. » Ces propos font écho au suicide récent de Lily, une adolescente de quinze ans placée en hôtel malgré la loi Taquet votée en 2022, interdisant cette pratique — une loi restée inopérante faute de décret d’application.

Dans un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2021, parmi les milliers de mineur·es placé·es en hôtel, 95% étaient des mineur·es non accompagné·es.

Une banderole « silence, ici le département sacrifie des enfants ! » est étendue devant le conseil départemental. @ju_dcntz

Des revendications qui datent de plusieurs années

Depuis 2021, les professionnel·les du secteur de la protection de l’enfance appellent sans relâche à une meilleure prise en charge des enfants placés. « C’est bien gentil le blabla, mais derrière, il y a des vies en jeu. On en est arrivé à comparer qui souffre le plus et faire le choix de qui on place directement et pour qui on attend, des choix impossibles mais qui sont obligés d’être faits. Tant qu’il n’y aura pas de moyens, on restera dans cette situation de merde. », s’indigne un cadre éducatif.

La pénurie de personnel soignant et le manque de place dans les établissements spécialisés ne les épargnent pas. Ce sont parfois des années qui s’écoulent avant de trouver une place pour un·e jeune souffrant de problèmes psychologiques ou psychiatriques, souvent dû à son parcours de vie écorché. Et en attendant, c’est à ces professionnel·les en manque de moyens de gérer le quotidien. En 2023, le sénateur Bruno Rojouan attirait l’attention du ministère de la santé , « la détresse psychique des jeunes patients a explosé depuis le premier confinement et les moyens alloués à la pédopsychiatrie ne sont pas suffisants pour répondre à la demande croissante. Cela a pour conséquence un tri des enfants et une prise en charge insuffisante pour ceux qui ont besoin d’un suivi.« , un constat partagé par la Défenseure des Droits dans un rapport sur la santé mentale des enfants.

L’attachement sincère et l’inquiétude viscérale pour l’avenir de ceux qu’iels nomment « leurs gamins » est palpable. Iels entendent bien rester mobilisé·es jusqu’à ce que l’État et le département les écoutent.

Le vent emporte une banderole affichant « perte de sens, bas salaires, manque de moyens ». @ju_dcntz

Plus vite, plus fort, et à plus grande échelle : c’est dans l’idée de se construire comme journaliste et faire porter la voix des autres qu’elle a rejoint Fragil.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017