Manoj Schmit, ingénieur de l’environnement de formation, a travaillé pendant plusieurs années dans des bureaux d’études environnementaux. « Je faisais le lien entre l’État, les industriels et les promoteurs immobiliers. Je rédigeais des rapports qui autorisaient ces clients à détruire des zones naturelles pour y implanter des entrepôts, des usines », se rappelle-t-il.
Les dossiers s’enchaînent, loin de ce qu’il avait imaginé. « J’ai toujours voulu travailler dans la protection de l’environnement, et là, je me retrouvais dans un système qui ne me convenait pas, où on ne protégeait pas du tout l’environnement mais où on permettait à des promoteurs et des entrepreneurs de faire légalement n’importe quoi avec la nature », déplore-t-il. Manoj apprend à orienter ses rapports et, bien que cela soit resté relativement rare, à omettre des détails qui pourraient compromettre les projets de ses clients.
Avec le gel des recrutements dans le secteur public de l’écologie, ses supérieurs misent sur la surcharge des dossiers auxquels doit faire face l’administration pour qu’ils soient validés, malgré les « oublis ».
De l’ingénierie à la désobéissance civile pour l’environnement
Parallèlement à cette prise de conscience professionnelle, Manoj s’informe de plus en plus sur la réalité des enjeux climatiques actuels. Ses recherches l’amènent à s’intéresser aux différents mouvements écologistes qui tentent d’alerter sur l’urgence d’agir.
En juin 2022, lors du tournoi de Roland Garros, l’action non violente d’Alizée, une militante écologiste, capte son attention et l’amène à découvrir le collectif Dernière Rénovation. Installé à Nantes depuis un an, il participe en septembre 2022 à une journée de formation aux actions non violentes. « Je sentais que c’était le moment de m’impliquer davantage. Comme beaucoup de personnes, j’étais lassé de signer des pétitions et de faire des marches, je me sentais légitime pour me lancer dans des actions », explique-t-il.
« Les militants climat sont des défenseurs de l’environnement au titre des Nations Unies et ne doivent pas être traités comme des écoterroristes », rappelle Michel Forst, rapporteur spécial des Nations Unies sur les défenseurs de l’environnement.
La première action à laquelle Manoj participe a lieu le 28 octobre 2022. Avec huit autres personnes, il bloque l’autoroute A6 un soir de départ en vacances. Pendant près d’une demi-heure, l’autoroute du soleil est à l’arrêt. De tous les blocages de routes menés par Dernière Rénovation, c’est l’un des plus violents. Sur une vidéo de l’agence de presse indépendante CLPRESS, on observe un individu, aidé d’un policier, dégager deux militants au mépris de leur sécurité, compte tenu de la proximité des voitures qui tentent de passer. Ce même individu se montre violent quelques minutes plus tard sans qu’un policier n’intervienne. « On est formé à faire face à des situations compliquées mais on n’avait jamais eu à faire face à autant de violence », confie Manoj.
Les militants sont placés en garde à vue (GAV) et ressortent 24 heures plus tard avec une convocation pour un procès. « C’était inattendu parce que nous avions toustes des casiers judiciaires vierges. C’était aussi la première fois que des militants de Dernière Rénovation allaient être amenés à comparaître directement en procès pour une action de désobéissance civile non violente », précise Manoj. La convocation indique deux chefs d’accusation : « entrave à la circulation » et « mise en danger de la vie d’autrui ».
Le procès a lieu le 18 mai 2023. Six avocat·es sont engagé·es, et plusieurs grandes figures viennent témoigner. À la barre, Agnès Ducharne, climatologue et hydrologue, directrice de recherche au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), ainsi que Michel Forst, rapporteur spécial des Nations Unies sur les défenseur·euse·s de l’environnement, qui déclare que « les militants climat sont des défenseurs de l’environnement au titre des Nations Unies et ne doivent pas être traités comme des écoterroristes ».
Le journal Médiapart rapporte : « Après délibération, le tribunal condamne les prévenu·es pour entrave à la circulation à 35 heures de travaux d’intérêt général et à trois mois d’emprisonnement en cas de non-exécution. Cinq militant·es de Dernière Rénovation acceptent, trois refusent et écopent d’amendes entre 500 et 1 080 euros ».
Un deuxième procès devant la Cour d’appel de Paris
Manoj et ses camarades décident de faire appel. Iels espèrent ainsi obtenir une relaxe plutôt qu’une dispense de peine devant la Cour d’appel de Paris. « On voudrait que la justice française prenne conscience d’elle-même de la légitimité de nos actions avant de partir en Cour européenne s’il le faut ». S’iels obtiennent une relaxe lors de ce deuxième procès, iels ouvriraient une porte dans la juridiction française pour d’autres procès concernant des mouvements de contestation non violents.
« Ce qu’il se passe en ce moment est assez encourageant. Avec les vagues de procès contre les militant·es écologistes qu’il y a eu, les juges sont de plus en plus sensibles et sensibilisé·es aux luttes environnementales », explique le jeune ingénieur. Aujourd’hui, Manoj a retrouvé un travail au sein d’une entreprise qui partage ses valeurs.