25 avril 2024

« Sunglasses when cloudy », une exposition collective autour de l’expérience sonore, à voir jusqu’au 27 avril à la Galerie Sabrina Lucas

Retour sur une résidence de 6 semaines à Trempo d'Anaïs Lapel, Clara Baudry et Miruna Gheordu, dans le cadre du programme européen Magic Carpets.

« Sunglasses when cloudy », une exposition collective autour de l’expérience sonore, à voir jusqu’au 27 avril à la Galerie Sabrina Lucas

25 Avr 2024

Retour sur une résidence de 6 semaines à Trempo d'Anaïs Lapel, Clara Baudry et Miruna Gheordu, dans le cadre du programme européen Magic Carpets.

 

MagiC Carpets, c’est un programme européen qui offre l’opportunité à des artistes émergent·es de partir en résidence dans des pays partenaires, pour créer des œuvres avec d’autres artistes, en lien avec des communautés locales. C’est dans ce contexte que la réalisatrice et artiste visuelle Clara Baudry (Nantes), l’artiste sonore Miruna Gheordu (Roumanie) et l’artiste diplômée des Beaux-Arts de Nantes Anaïs Lapel ont été accueillies pour une résidence à Trempo, du 4 mars au 16 avril 2024, en collaboration avec l’Ecole des Beaux-Arts de Nantes Saint-Nazaire. En clôture de la résidence, l’exposition collective Sunglasses when cloudy visible jusqu’au 27 avril, à la Galerie Sabrina Lucas, explore les années oubliées de l’Île de Nantes, par le biais de dispositifs d’écoute d’histoires personnelles, de performances sonores et d’une édition. Rencontre avec les deux artistes nantaises, pour évoquer leurs pratiques artistiques et leurs engagements.

Qu’y a-t-il derrière le titre de votre exposition collective « Sunglasses when cloudy » ? 

Anaïs Lapel : C’est un titre tiroir pour résumer nos trois approches. C’est à la fois un geste d’espoir, de résilience et de déni. L’espoir que le soleil revienne, le déni, ou l’oubli d’enlever ses lunettes. C’est une posture que l’on retrouve dans notre travail, qui se situe entre le joyeux, le lumineux et la déliquescence. L’affiche est une photo de Mathilde Guiho. L’homme avec ce perroquet sur l’épaule renvoie quelque chose de décalé qui nous correspond bien. 

« Sunglasses when cloudy », une exposition collective de Anaïs Lapel, Clara Baudry et Miruna Gheordu. ©Mathilde Guiho

Comment est née cette collaboration avec Miruna Gheordu, artiste sonore roumaine ?

Anaïs Lapel : Clara et moi avons d’abord adressé toutes les deux une candidature spontanée à Trempo pour la résidence 2024 de MagiC Carpets. Clara connaissait bien le dispositif car elle avait été la vidéaste des deux précédentes éditions. 

Clara Baudry : Trempo est une structure d’émergence musicale qui ne travaille pas avec des plasticien.nes en général. MagiC Carpets c’est la seule résidence qu’ils proposent dans laquelle rentrent les arts visuels. La production sonore est la matière première de Miruna. Comme elle était déjà connectée à ce dispositif, nous sommes allé.e.s la chercher. 

Qu’apporte une résidence à Trempo  ? 

C.B : Le bus de Trempo est le QG de la résidence. Il y a de quoi travailler, brainstormer. Mais nous avons toutes les trois eu des productions dont la collecte de matière se faisait en dehors. Nous n’avons pas travaillé ensemble dans le bus, mais c’était un point de rendez-vous !

A.L : Trempo c’est aussi un espace qui fournit un certain nombre d’avantages, de qualifications, de matériel pour produire des enregistrements, moi j’ai pu faire mon mixage là-bas. C’était un vrai pivot technique. 

C.B : Le film que j’ai réalisé et qui est projeté dans le cube est la restitution d’un workshop qui s’est déroulé dans un des studios de Trempo, avec leur matériel de prise de son. Ce que Miruna a fait dépend aussi complètement des compétences et du matériel technique de Trempo. Cela a clairement influencé nos productions.

 

« Sunglasses when cloudy ». « The hut », structure OSB, casques audios, vidéo-projection. Clara Baudry. ©Mathilde Guiho. Domitille Baudouin

Quel fut le fil rouge de votre travail à toutes les trois?

C.B : Le rattachement à l’histoire de l’Île de Nantes vient d’Anaïs, qui avait une idée assez claire de ce qu’elle voulait faire. Anaïs, qui fait partie du collectif du Jardin C, y a organisé une lecture en plein air. Au cours de cette soirée, l’un des artistes a fait un récit de violence sur son enfance. Il y avait le bruit de l’éléphant, des personnes qui sont passées avec un système son, des voitures…les gens tendaient l’oreille ou s’avançaient sur leur chaise. Cela a créé un espace intime. J’ai pris cette image comme porte d’entrée. Anaïs a eu un regard plus historique, d’archives, et Miruna s’est ralliée à nous avec sa vision de DJ.

« Sunglasses when cloudy », Anaïs Lapel. ©Mathilde Guiho. Domitille Baudouin

« Ce sont les récits personnels qui nous unissent.
On parle aussi toutes les trois d’espace et de violence,
personnelle ou sociale, avec nos propres langages plastiques ».
Clara Baudry, réalisatrice et artiste visuelle.

Comment avez-vous ancré votre production sur le territoire ?

C.B : Ma pièce sonore est faite avec des habitants de Nantes. J’ai récolté 14 récits de violence (auprès d’identités plurielles), sous la forme d’interview, de textes à la première personne ou de discussions. C’est un appel à contribution qui s’est transformé pour certaines personnes en véritable atelier d’écriture. Il y a vraiment eu un
« hors champ » de la performance. Ce cube que j’ai créé, « The Hut », c’est un espace de réception. 

A. L : Pour l’écriture de ma pièce sonore, j’ai réalisé 13 entretiens, qui portaient sur l’histoire de la friche de l’Île de Nantes, c’est à dire un territoire vierge, à priori un peu hostile, sombre, plutôt rendu à lui-même…et donc c’est plutôt une histoire d’hommes, malheureusement, a fortiori dans les années 90. Le début de ma pièce sonore, ce sont les ouvriers qui quittent le chantier, dans la fin de années 80. J’ai interrogé d’anciens ouvriers des chantiers Dubigeon, qui ont fondé la Maison des Hommes et des Techniques, deux habitants de l’Île de Nantes et des personnes issues de l’Ecole d’archi, engagées dans la contre-culture des années 90, les personnes qui ont ouvert le blockhaus, d’autres qui ont fondé le collectif Oxymore et le patron du Floride. L’édition que j’ai réalisée a été faite dans le cadre d’un workshop à l’école des Beaux-Arts de Nantes-Saint-Nazaire. 

C.B : Miruna fait un doctorat en recherche sur les cultures du Club et le champ vibratoire des spectacles de danse électronique, en particulier des rave. Son projet c’est de diffuser de la musique et de refléter comment le son va se diffuser et travailler dans l’environnement dans lequel il est projeté. C’est une sorte de revendication de l’espace. Sur l’Île de Nantes, elle a choisi 5 sites. A chaque fois, elle montait et démontait son installation. C’est beaucoup de matériel, il y a l’idée de l’épuisement physique. Elle a donc monté 5 vidéos, filmées avec plusieurs caméras, plusieurs sources vidéo, de manière très dynamique, entre le vlog et le clip. 

« Sunglasses when cloudy », Miruna Gheordu. ©Mathilde Guiho. Domitille Baudouin

« Le but c’est vraiment de créer une rencontre avec le territoire ».
Anaïs Lapel, artiste visuelle, éditions et créations sonores.

Quels sont vos projets à venir ?

A.L : J’ai une exposition solo au Grand huit à Nantes, en octobre 2024. Mon travail c’est de produire des espaces immersifs, des installations. Cela portera sur un autre pan de mon travail, qui est relatif à la militance anti-nucléaire. On y retrouve les problématiques de terrains ravagés, îlots de désolation, friches en cours et à venir…J’ai un certain amour pour le vestige !

C.B : Miruna va finir son doctorat. Elle continue sa thèse et a déjà cinq DJ sets programmés.
Quant à moi, je suis plus dans l’économie audiovisuelle et cinématographique. C’est la première fois que je participais à une résidence d’art contemporain, car je fais plutôt du montage. Cela va m’aider dans l’écriture de mes films, notamment sur le dispositif que je vais mettre en place. Pourquoi pas reprendre « The Hut » mais dans un autre environnement ? J’aimerais par exemple travailler avec le CHU de Nantes et intégrer l’environnement d’agonie de l’hôpital public. J’aimerais garder ce parallèle entre les arts plastiques et le cinéma, qui me définit en tant que cinéaste. 

 

Exposition visible jusqu’au samedi 27 avril 2024
Galerie Sabrina Lucas, 20 rue Pierre Landais Nantes
Du mardi au samedi · 13h30 à 18h30 (sauf mercredi : 13h30 à 17h30)

Pour aller plus loin :
Anaïs Lapel > Image, édition, installation et création sonore. @anais.lapel.
Clara Baudry > @cla.baudry

Contacts résidence :
– Josselin Couteau, Responsable de la programmation chez Trempo
– Alice Albert, Responsable du Pôle artistique et culturel de l’Ecole des beaux arts de Nantes

 

Originaire de la Drôme, Domitille a jeté l’ancre à Nantes, il y a près de quinze ans après avoir fait un tour de France pour ses études et ses activités professionnelles. Guide conférencière, médiatrice et chargée de projets culturels, elle a appris à connaître la ville de fond en comble ainsi que son patrimoine grâce à son métier

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017