23 octobre 2024

« Repenser les imaginaires » : soirée sur les violences judiciaires

Sous le porche discret de Pol’n, l’exposition d’Ana Pich ouvre la réflexion sur les violences judiciaires. Entre les dessins saisissants des tribunaux et les témoignages d’intervenant·es, le public échange sur la souffrance des professionnel·les du droit et la place de la justice dans notre société. Le débat, qui fait salle comble, pose une question clé : comment repenser le système pour transformer la justice ?

« Repenser les imaginaires » : soirée sur les violences judiciaires

23 Oct 2024

Sous le porche discret de Pol’n, l’exposition d’Ana Pich ouvre la réflexion sur les violences judiciaires. Entre les dessins saisissants des tribunaux et les témoignages d’intervenant·es, le public échange sur la souffrance des professionnel·les du droit et la place de la justice dans notre société. Le débat, qui fait salle comble, pose une question clé : comment repenser le système pour transformer la justice ?

Située sous un porche de la rue des Olivettes se trouve la discrète entrée vers la cour de Pol’n. Le jeudi 17 octobre à 18h30, la soirée s’ouvre sur l’exposition d’Ana Pich’. L’entrée, à prix libre, a permis à chacun·e de contribuer selon ses moyens et de soutenir le lieu. Les visiteur·ses ont ainsi pu déambuler à travers les dessins issus d’un long travail d’observation dans les tribunaux.

Les premiers visiteur.euses discutent de l’exposition d’Ana Pich’ sur les violences judiciaires devant l’entre de Pol’n. 17/10/2024. @ju_dcntz

À 20h, l’espace était plein pour le débat, des chaises supplémentaires étaient même ajoutées, et plusieurs personnes s’installaient sur les grandes tables au fond de la salle. La dessinatrice, d’abord inquiète, pouvait être rassurée : la soirée sur les violences judiciaires a fait salle comble.

Un public varié mais une réflexion commune

Parmi les visiteur·ses, les motivations divergeaient, mais la curiosité et l’envie de mieux comprendre les rouages du système judiciaire les rassemblaient. À l’image de Louis, employé au CROUS, qui admettait : « Ce matin, j’ai regardé une vidéo sur le sujet, histoire de ne pas paraître trop bête », illustrant l’engagement progressif face à un sujet aussi complexe. Sylouan, travaillant dans la restauration, témoignait : « Je voulais surtout entendre les points de vue anticarcéraux, en particulier ceux des personnes qui travaillent de l’intérieur. » Pour Nejma et Camille, avocates en droit des étrangers et membres du Syndicat des Avocats de France (SAF), c’était l’occasion d’envisager leur quotidien sous un autre angle : « On exerce tous les jours, on est conscientes de la violence que c’est, mais de pouvoir prendre du recul, c’est pas mal. »

Un jeune homme d’une vingtaine d’années à l’exposition d’Ana Pich’ sur les violences judiciaires. 17/10/2024 @ju_dcntz

La violence du système judiciaire : entre rendement et incompréhension

Les intervenant·es ont abordé plusieurs thématiques, notamment l’idée que travailler dans le domaine de la justice peut être intrinsèquement violent.

Lara, magistrate, a évoqué les travaux de Christophe Dejours sur la souffrance éthique, relatant la détresse des professionnel·les contraint·es d’agir contre leurs valeurs en raison des objectifs de rendement, symbolisée par le taux de réponse pénale instauré dans les années 2000. Maxime Gouache, avocat, a décrit les dilemmes auxquels il fait face lorsqu’il doit expliquer à ses client·es des décisions judiciaires qu’il peine lui-même à comprendre. Il a exprimé la difficulté de faire comprendre le système judiciaire à celles et ceux qui en sont victimes. Un constat partagé par Basile de Bure, journaliste et écrivain, qui a souligné la dureté de convaincre les adultes qu’iels sont eux-mêmes victimes d’un système inégalitaire : « Ils [personnes condamnées à un TIG, ndlr] hallucinaient quand je leur racontais que je ne m’étais jamais fait contrôler, eux, c’est leur quotidien depuis qu’ils ont 10 ans.»

« Repenser les imaginaires »

Pour Marie, ancienne infirmière, le débat a permis de remettre un contexte : « Pourquoi y a-t-il toutes ces violences dans la justice ? Parce que le petit système est imbriqué dans le grand. C’est pour ça qu’il y a des violences systémiques, et c’est en transformant le système global qu’on pourra transformer le système judiciaire. »

« Repenser les imaginaires » a été la réflexion qui a conclu le débat. L’enjeu est de permettre à la population de concevoir une société différente. Basile de Bure a proposé de s’inspirer des zapatistes, où ni la prison ni la police n’existent, et où, contre toute attente, aucun féminicide n’est recensé.

Cette soirée aura permis aux intervenant·es comme aux spectateur·ices d’échanger et d’apprendre les uns des autres, ouvrant la voie à de nouvelles réflexions.

Plus vite, plus fort, et à plus grande échelle : c’est dans l’idée de se construire comme journaliste et faire porter la voix des autres qu’elle a rejoint Fragil.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017