• Mediacités Nantes en danger novembre 2024
26 novembre 2024

Mediacités Nantes, un média local d’investigation en situation de fragilité

Antony Torzec, rédacteur en chef de l'édition nantaise de Mediacités et Thibault Dumas, journaliste, ont tous deux accordé un entretien à Fragil pour nous éclairer sur la situation précaire de ce journal d’investigation locale.

Mediacités Nantes, un média local d’investigation en situation de fragilité

26 Nov 2024

Antony Torzec, rédacteur en chef de l'édition nantaise de Mediacités et Thibault Dumas, journaliste, ont tous deux accordé un entretien à Fragil pour nous éclairer sur la situation précaire de ce journal d’investigation locale.

Mediacités se veut un média indépendant d’investigation locale. Fondé en 2016 par sept journalistes, il s’est implanté dans quatre métropoles : Lille, Lyon, Toulouse et Nantes. Le média compte aujourd’hui près de 6 000 abonnés sur le web. Après huit ans d’existence et 5 000 enquêtes d’intérêt public, il n’est pas encore arrivé à trouver un équilibre financier et a lancé une grande campagne de financement participatif.

Ici, il s’appelle Mediacités Nantes, mais son envergure est bien régionale. Il couvre ainsi parfois le territoire vendéen ou s’autorise à travailler en collaboration avec d’autres médias tels La Topette en Anjou. À Nantes, 15 journalistes pigistes contribuent à la parution hebdomadaire d’une enquête à la une, de compléments d’enquêtes sur des sujets au long cours et d’infos plus courtes. Thibault Dumas précise : « l’idée c’est d’enquêter sur tous les sujets qui sont d’intérêt public, dans une ville et sa région ». Les articles concernent aussi bien la politique que le monde économique et s’étend à celui des associations, aux conflits sociaux, aux questions environnementales, etc. Ainsi, lorsque Mediacités parle du FC Nantes, ce n’est pas pour vous donner les résultats du match (vous les avez déjà !). Mais c’est plutôt pour pointer des situations spécifiques, comme par exemple les possibles fraudes de Waldemar Kita, président propriétaire du FC Nantes qui est désormais mis en examen pour fraude fiscale, fraude fiscale aggravée, blanchiment pour fraude fiscale et blanchiment pour fraude fiscale aggravée.

Un média fragile « qui ne dépend que de l’adhésion des abonnés »

Antony Torzec, rédacteur en chef, est totalement transparent quant aux divers financements. Ce sont principalement les abonnements qui financent ce média indépendant. L’équilibre financier, établi à la création du média, nécessite 8 000 abonnés. Antony Torzec précise à ce sujet : « Nous sommes un média fragile qui ne dépend que de l’adhésion des abonnés ».
De plus, Thibault Dumas explique que le modèle économique de Mediacités est similaire à celui de Mediapart. Il repose principalement sur l’abonnement mensuel, sans pub, sans soutien des collectivités locales et sans actionnaires forts.

« Ça coûte cher l’enquête » – Thibault Dumas

Pour évoquer les pertes du média, Thibault Dumas évoque le contexte du temps long de l’enquête et rappelle avec un sourire que « C’est le journaliste qui coûte cher ! C’est plutôt une bonne nouvelle plutôt que de se dire que c’est la diffusion (qui est coûteuse)… Voilà, au moins là, c’est le cœur du métier ». Effectivement en consultant les frais de fonctionnement, les rémunérations des salariés s’élèvent à 88 % des dépenses. Il faut aussi noter qu’une partie des frais couvre les dépenses engagées dans les procédures juridiques. Thibault Dumas souligne à ce sujet « On a une bonne vingtaine de procédures devant les tribunaux pour diffamation. » Et il conclut que même si Mediacités gagne le procès, les frais de justice engagés ne sont pas remboursés.

Mediacités Crowdfunding

Mediacités lance une campagne de financement participatif. Sur le site : fenêtre surgissante et bouton d’action vous invitent à les soutenir.

Mediacités lance une campagne de financement participatif

En attendant de développer son nombre d’abonnés, le média a lancé une campagne de financement participatif pour lui permettre de continuer à mener des investigations en 2025. Les 50 000 euros, ceux du premier palier du financement, serviront à sauver Mediacités. Les paliers suivants seront utilisés pour créer une application mobile et améliorer l’outil Radar qui permet de suivre les promesses de campagne des élu·es. L’argent supplémentaire récolté pourra servir au lancement de nouvelles newsletters et à la préparation de la couverture éditoriale des municipales 2026.
Aujourd’hui la majorité des parts du journal sont détenues par les journalistes, fondateurs historiques du média. Et Mediacités propose à ses lecteurs de devenir copropriétaires et de rejoindre la Société des amis (SDA) de Mediacités qui est le « deuxième plus gros actionnaire », selon Antony Torzec. Devenir sociétaire est possible à partir de 200 € d’investissement et ce dernier donne droit à une défiscalisation de 50 % du montant investi.

Partenariats : une stratégie qui fonctionne déjà et qui reste à développer

Mediapart -qui est également actionnaire à hauteur de 3 %- peut acheter tous les mois des enquêtes, mais il faut que celles-ci aient une dimension nationale. Ainsi, comme nous l’apprend Antony Torzec, « une dizaine d’enquêtes de Mediacités Nantes ont été republiées par Mediapart au cours de l’année 2024 ». Par ailleurs, les journalistes du média peuvent intervenir sur France 2 lors d’émissions politiques à l’heure de grande écoute, notamment pour assurer un fact checking. Antony Torzec explicite  : « deux ou trois journalistes de Mediacités sont dans le back office de France Télé et contrôlent donc les dires des politiques qui sont à l’antenne ». Il cite un autre exemple de partenariat avec l’émission Complément d’Enquête consacré au parc d’attraction Le Puy du Fou.

Malgré ces partenariats, le média a du mal à se faire connaître et à élargir son lectorat. Antony Torzec ajoute que « les journalistes sont de très mauvais communicants ». Il fait aussi le constat que « Les médias indépendants, malheureusement, ne travaillent pas assez ensemble » et complète « il y a sûrement des synergies à mettre en place ».

Pour en savoir plus

Nantaise de cœur, Caroline sillonne la ville entre concerts et spectacles. Ses autres domaines de prédilection : l'art contemporain, les arts graphiques et le cinéma ! Elle partage avec plaisir ses coups de cœur culturels.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017