“J’ai senti qu’il y avait un vrai besoin de raconter cette histoire-là”. En 2023, après plusieurs années à arpenter les lieux emblématiques de la culture électronique locale, Thomas Grandremy voit germer l’idée d’un documentaire sériel engagé consacré à la scène nantaise. À travers 12 épisodes, il nous invite à dépasser les stéréotypes en dévoilant une scène riche et solidaire, portée par des acteurs déterminés à faire de la fête un véritable espace de liberté. “Ce qui m’a agréablement surpris, c’est de mesurer l’attente qu’il avait au niveau du public et des gens qui organisent des fêtes autour d’un projet de documentaire sur la scène locale”.
Témoin de l’essor de la scène électronique nantaise
Originaire de la région nantaise, Thomas vit à Paris lorsque la scène électronique émerge à Nantes, aux alentours de 2011-2012. Il entame sa collaboration avec Sourdoreille — collectif de journalistes et vidéastes dédié aux musiques actuelles — en rapportant des images de festivals. Progressivement, il se laisse entraîner par une nouvelle façon de faire la fête : hors des clubs, loin du centre-ville et affranchie des têtes d’affiche. “Plein de collectifs sont nés à ce moment-là pour apporter une nouvelle vague, une nouvelle fraîcheur sur la musique électronique sur la capitale.” De retour à Nantes il y a 6 ans, il fréquente le Macadam et participe notamment aux Gloria, fêtes accueillantes, décomplexées et déguisées, dont il vit les débuts. Au cours des années suivantes, il découvre des collectifs à la direction artistique forte, qui ont à cœur de faire de la fête un espace inclusif.
Au delà des stéréotypes
Lorsqu’on regarde la série Dancefloor(s), on ne retrouve pas seulement un hommage à la scène électronique nantaise, mais aussi une invitation à explorer les problématiques actuelles et la complexité de cette culture. Ce que Thomas veut mettre en lumière à travers les archives et en laissant la parole aux collectifs c’est qu’au-delà du concept festif, la musique électronique c’est une forme d’art, des projets concrets et de l’organisation. Qu’elle se vive en club ou au sein de free party, ce n’est pas pas “juste” de la pollution sonore, “juste” de la fête à l’excès, “juste” des gens qui se réunissent à un endroit interdit pour faire de la musique : « Il y a beaucoup plus de profondeur et de réflexion qui nourrissent cette culture là et moi j’avais à cœur de briser ces stéréotypes ».
Une escalade de la violence
À travers la série, il soulève plusieurs problématiques notamment en dénonçant la présence d’une répression grandissante à l’heure actuelle. On pense bien entendu à la mort de Steve Caniço en 2019 mais aussi à la Rave party de Redon en 2022 où un jeune homme de 22 ans a perdu la main à la suite d’une intervention par les forces de l’ordre.
Ce que Thomas défend, ce n’est pas de pouvoir faire des fêtes illégales “n’importe où, n’importe quand”, mais pour lui une escalade de la violence s’est développée depuis plusieurs années : “Il y a 20 ans tu faisais une free party, les flics arrivaient, on te demandait d’éteindre la musique dans le calme, tu rangeais le matériel et tout se passait plutôt bien [..] aujourd’hui tu fais de la musique on casse ton matériel et 10 personnes finissent dans la Loire”.
Un message progressiste et inclusif
Afin de porter la parole des minorités au sein de la scène électronique locale, qu’iels soient LGBTQ+, personnes racisées ou bien tout simplement des femmes cisgenre, Thomas à consacré plusieurs épisodes à des collectifs engagés pour l’inclusivité (Zone rouge, Gazol Inc…). À juste titre, il nous rappelle dans la série qu’une “appropriation culturelle” de la musique électronique s’est produite depuis les années 1990 par la communauté “hétéro cis blanche européenne” et que c’est précisément cette communauté qui devrait être la plus attentive aux minorités.
Une production qui va à l’essentiel
Cette série, il la porte avec Sourdoreille mais la réalise tout seul, de manière militante et bénévole. Ce projet représente un engagement personnel majeur, puisqu’il assure lui-même l’écriture, le tournage et le montage et va jusqu’à se plonger dans 15 ans d’archives que lui fournit Combe, producteur des Goûtez Électroniques. La forme documentaire lui permet d’avancer vite, de manière spontanée, sans être bloqué par des contraintes de production ou budgétaires. “C’est un travail au long cours mais si il y a une fête ce weekend et que je veux la filmer j’y vais tout seul et c’est parti.”
À travers Dancefloors, Thomas Grandremy livre bien plus qu’un simple panorama de la scène électronique nantaise. Son documentaire se révèle être une œuvre engagée et résolument humaine. Valorisant l’intelligence collective qui anime cette culture, il nous invite à reconsidérer notre regard sur la fête comme un espace de résistance, de liberté et de création.
Article réalisé par Zohrane Bourgeois et Marion Prat.