16 janvier 2025

Dancefloor(s) : une série documentaire vibrante et engagée, au cœur de la scène électronique nantaise

Série documentaire produite par Sourdoreille et réalisée par Thomas Grandremy, Dancefloor(s) présente un portrait de la scène foisonnante des musiques électroniques à Nantes. À la croisée d'un parcours façonné par sa passion pour les musiques actuelles et son intérêt pour le documentaire, nous avons discuté avec Thomas Grandremy ​​de ses motivations à réaliser cette série.

Dancefloor(s) : une série documentaire vibrante et engagée, au cœur de la scène électronique nantaise

16 Jan 2025

Série documentaire produite par Sourdoreille et réalisée par Thomas Grandremy, Dancefloor(s) présente un portrait de la scène foisonnante des musiques électroniques à Nantes. À la croisée d'un parcours façonné par sa passion pour les musiques actuelles et son intérêt pour le documentaire, nous avons discuté avec Thomas Grandremy ​​de ses motivations à réaliser cette série.

J’ai senti qu’il y avait un vrai besoin de raconter cette histoire-là”. En 2023, après plusieurs années à arpenter les lieux emblématiques de la culture électronique locale, Thomas Grandremy voit germer l’idée d’un documentaire sériel engagé consacré à la scène nantaise. À travers 12 épisodes, il nous invite à dépasser les stéréotypes en dévoilant une scène riche et solidaire, portée par des acteurs déterminés à faire de la fête un véritable espace de liberté. Ce qui m’a agréablement surpris, c’est de mesurer l’attente qu’il avait au niveau du public et des gens qui organisent des fêtes autour d’un projet de documentaire sur la scène locale”.

Témoin de l’essor de la scène électronique nantaise

Originaire de la région nantaise, Thomas vit à Paris lorsque la scène électronique émerge à Nantes, aux alentours de 2011-2012. Il entame sa collaboration avec Sourdoreille — collectif de journalistes et vidéastes dédié aux musiques actuelles — en rapportant des images de festivals. Progressivement, il se laisse entraîner par une nouvelle façon de faire la fête : hors des clubs, loin du centre-ville et affranchie des têtes d’affiche. “Plein de collectifs sont nés à ce moment-là pour apporter une nouvelle vague, une nouvelle fraîcheur sur la musique électronique sur la capitale.” De retour à Nantes il y a 6 ans, il fréquente le Macadam et participe notamment aux Gloria, fêtes accueillantes, décomplexées et déguisées, dont il vit les débuts. Au cours des années suivantes, il découvre des collectifs à la direction artistique forte, qui ont à cœur de faire de la fête un espace inclusif. 

Soirée Abstrack

Soirée Abstrack. Capture extraite du DANCEFLOOR(S) #4

Au delà des stéréotypes 

Lorsqu’on regarde la série Dancefloor(s), on ne retrouve pas seulement un hommage à la scène électronique nantaise, mais aussi une invitation à explorer les problématiques actuelles et la complexité de cette culture. Ce que Thomas veut mettre en lumière à travers les archives et en laissant la parole aux collectifs c’est qu’au-delà du concept festif, la musique électronique c’est une forme d’art, des projets concrets et de l’organisation. Qu’elle se vive en club ou au sein de free party, ce n’est pas pas “juste” de la pollution sonore, “juste” de la fête à l’excès, “juste” des gens qui se réunissent à un endroit interdit pour faire de la musique : « Il y a beaucoup plus de profondeur et de réflexion qui nourrissent cette culture là et moi j’avais à cœur de briser ces stéréotypes ».

Une escalade de la violence

À travers la série, il soulève plusieurs problématiques notamment en dénonçant la présence d’une répression grandissante à l’heure actuelle. On pense bien entendu à la mort de Steve Caniço en 2019 mais aussi à la Rave party de Redon en 2022 où un jeune homme de 22 ans a perdu la main à la suite d’une intervention par les forces de l’ordre.

Ce que Thomas défend, ce n’est pas de pouvoir faire des fêtes illégales “n’importe où, n’importe quand”, mais pour lui une escalade de la violence s’est développée depuis plusieurs années : “Il y a 20 ans tu faisais une free party, les flics arrivaient, on te demandait d’éteindre la musique dans le calme, tu rangeais le matériel et tout se passait plutôt bien [..] aujourd’hui tu fais de la musique on casse ton matériel et 10 personnes finissent dans la Loire”.

Saisie de matériel par la gendarmerie lors du Teknival de Redon en juin 2019. Photo : Ministère de l’Intérieur)

Un message progressiste et inclusif

Afin de porter la parole des minorités au sein de la scène électronique locale, qu’iels soient LGBTQ+, personnes racisées ou bien tout simplement des femmes cisgenre, Thomas à consacré plusieurs épisodes à des collectifs engagés pour l’inclusivité (Zone rouge, Gazol Inc…). À juste titre, il nous rappelle dans la série qu’une appropriation culturelle” de la musique électronique s’est produite depuis les années 1990 par la communauté “hétéro cis blanche européenne” et que c’est précisément cette communauté qui devrait être la plus attentive aux minorités. 

Collectif Zone Rouge. Capture extraite du DANCEFLOOR(S) #7

Une production qui va à l’essentiel 

Cette série, il la porte avec Sourdoreille mais la réalise tout seul, de manière militante et bénévole. Ce projet représente un engagement personnel majeur, puisqu’il assure lui-même l’écriture, le tournage et le montage et va jusqu’à se plonger dans 15 ans d’archives que lui fournit Combe, producteur des Goûtez Électroniques. La forme documentaire lui permet d’avancer vite, de manière spontanée, sans être bloqué par des contraintes de production ou budgétaires. C’est un travail au long cours mais si il y a une fête ce weekend et que je veux la filmer j’y vais tout seul et c’est parti.” 

À travers Dancefloors, Thomas Grandremy livre bien plus qu’un simple panorama de la scène électronique nantaise. Son documentaire se révèle être une œuvre engagée et résolument humaine. Valorisant l’intelligence collective qui anime cette culture, il nous invite à reconsidérer notre regard sur la fête comme un espace de résistance, de liberté et de création. 

Article réalisé par Zohrane Bourgeois et Marion Prat.

Zohrane, 26 ans, est interne à Nantes, en 10ème année de médecine. Elle a quitté Toulouse il y a 3 ans pour rejoindre la métropole afin de terminer ses études. Elle s’investit aussi généreusement dans la vie culturelle et connaît tous les lieux tendances de la ville ! Aimant l’écriture et les rencontres, c’est avec plaisir qu’elle vous partagera ses coups de cœur culturels.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017