13 janvier 2025

De Mediapart au cinéma : Antton Rouget dévoile les coulisses de l’affaire Sarkozy

Journaliste au pôle enquête de Mediapart, Antton Rouget était présent au cinéma Le Concorde pour accompagner la projection de "Personne n’y comprend rien", un documentaire consacré à l’affaire Sarkozy-Kadhafi

De Mediapart au cinéma : Antton Rouget dévoile les coulisses de l’affaire Sarkozy

13 Jan 2025

Journaliste au pôle enquête de Mediapart, Antton Rouget était présent au cinéma Le Concorde pour accompagner la projection de "Personne n’y comprend rien", un documentaire consacré à l’affaire Sarkozy-Kadhafi

Antton Rouget est journaliste au sein du pôle enquête de Mediapart, et plus particulièrement sur les affaires politico-financières. Quelques jours après la reprise du procès contre l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy sur les financements illégaux de sa campagne de 2007, le journaliste est venu répondre aux questions du public.

Fragil le rencontre quelques heures avant la projection du documentaire, qui affiche complet depuis plusieurs jours.

Antton Rouget, journaliste de Médiapart, lors de son intervention au Concorde. 08/01/25

De l’enquête au grand écran

13 ans d’enquête, 150 articles publiés, résumés en 1h45. Un défi de taille mais une envie commune : vulgariser une enquête longtemps laissée pour compte. « On se demandait quel était le meilleur moyen de la rendre accessible, car pour nous elle était injustement en dehors des radars et du débat public », explique le journaliste. Pour réaliser ce projet, Fabrice Arfi et Karl Laske qui « ont portés l’enquête depuis 2011 » , se sont associés à Yannick Kergoat, co réalisateur du documentaire Les nouveaux chiens de garde.

L’une des grandes difficultés a été de faire des choix dans l’immensité des données amassées. Mais ce long travail fait la force du film : « On se dit que cette histoire ne se déroule pas dans un pays lointain il y a cinq décennies, c’est notre histoire, notre histoire collective et une histoire très actuelle en réalité », estime-t-il, rappelant que « des protagonistes de cette affaire qui sont encore au cœur du paysage politique « .

De la guerre médiatique à l’engagement citoyen

« L’affaire a été pendant plus de dix ans le terrain de bataille d’une immense guerre médiatique avec, en tête, l’idée qu’on était seuls contre beaucoup, et beaucoup plus puissants que nous », confie Antton Rouget. La stratégie de Nicolas Sarkozy – affirmer que personne n’y comprend finalement rien – donnera l’idée du titre au réalisateur. Un titre « en dehors des codes de Médiapart […] on est un journal un peu austère souvent nos titres se sont sujet/verbe/ complément », plaisante le rédacteur.

Mediapart, fondé lors de l’élection de l’ancien président en jugement, a toujours cherché à maintenir une proximité avec ses lecteurices. Son espace blog et ses conférences régulières permettent une participation active du public : « il peut y avoir des critiques, des questions de fond, des encouragements à continuer, c’est toujours des rendez-vous hyper riches qu’on essaye de multiplier », explique le trentenaire.

Une spectatrice pose une question au journaliste. 08/01/25

 

C’est d’ailleurs grâce à ses soutiens que Mediapart a pu financer son film. En quelques semaines, plusieurs milliers de personnes ont participé à la cagnotte dépassant les espérances de l’équipe : « C’est une bouffée d’air frais de se dire que les gens se sentent concernés, qu’ils voient qu’il y a des avancées possibles »

La « plus grosse affaire de corruption politique sous la Vème république »

Nicolas Sarkozy, condamné il y a un mois à trois ans de prison, dont un ferme, dans l’affaire Bismuth, comparait à nouveau depuis lundi dernier devant le tribunal correctionnel de Paris. Il risque jusqu’à dix ans de prison pour corruption, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs.

Personne n’y comprend rien, qui se veut être « un film d’espoir » et raconte, d’après son réalisateur, la « plus grosse affaire de corruption politique sous la Vème république », est disponible dans les salles du Concorde jusqu’au 21 janvier.

Plus vite, plus fort, et à plus grande échelle : c’est dans l’idée de se construire comme journaliste et faire porter la voix des autres qu’elle a rejoint Fragil.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017