2 décembre 2016

Photos de concert : le gavage

Photos de concert : le gavage

02 Déc 2016

Exercer le métier de photojournalisme n’est déjà pas un mince affaire. A l’ère du numérique, c’est l’une des professions les plus mises à mal au cœur de la sphère de l’information. Entre ceux qui s’improvisent photographe et la profusion d’images « citoyennes », le métier rencontre des difficultés énormes. Et en matière de diffusion culturelle, certains en profitent largement.

Pour ceux qui ne connaissent pas le fonctionnement, le voici. Classiquement, le photographe fait une demande d’autorisation à la salle de concert ou à la production pour pouvoir shooter un artiste. Le partenaire répond et donne ses conditions. Ce qui s’est généralisé ces dernières années,  c’est le combo : photo sans flash, en bord de scène, les trois premières chansons. Soit. On peut comprendre qu’un artiste n’a pas envie de voir une horde de photographes lui envoyer deux heures de crépitements en pleine face.

Sauf que, certains se permettent d’aller beaucoup plus loin. C’est le cas – parmi d’autres – d’une boîte de production d’une brillante artiste que Fragil a mis à la Une cette semaine. Pour pouvoir la shooter, notre rédaction était conviée à signer un contrat où il était clairement stipulé : validation des photos avant utilisation. Autrement dit, c’est la prod qui choisit les photos, donc les informations, que notre rédaction aurait dû mettre dans son article. Sans même parler du fait qu’on dépouille au passage le photographe de sa matière première.

Imaginons deux minutes qu’il ne s’agisse pas de photos, mais de texte. Aurait-on osé demander à un journaliste (professionnel ou non), d’avoir un droit de regard sur la publication de telle ou telle info ? De plus, cela a-t-il encore un sens alors que tout le public shoote et filme allègrement l’artiste dont l’image est instantanément sur les réseaux sociaux ? Résultat : nous avons décidé de ne pas faire de photos. A trop vouloir contrôler l’image d’un artiste, on finit par perdre en qualité. Et on contribue aussi à fragiliser encore un peu plus une profession.


Pierre-Adrien Roux –  Décembre 2016

Un temps journaliste, roule aujourd'hui pour l'Information Jeunesse... Enseigne à droite, à gauche. Membre du CA de Fragil. #Medias #EMI #hiphop #jazz et plein d'autres #

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017