Il était une fois un dessin, les couleurs sont douces et le trait délicat, apparaît une jolie petite fille. Son visage est pâle, son œil est traversé par une branche en fleurs, une de ses phalanges est amputée, ses cheveux se confondent avec des feuilles rongées par d’étranges insectes, et des cornes semblent pousser dans son dos… Tout le travail de Delphine Vaute est comme ça : beau, cruel, dérangeant, et étrangement doux.
« Je travaille chez moi, j’ai besoin d’un lieu intime pour travailler »
Un escalier étroit et nous voici à la porte de son atelier, orienté Nord, parce qu’« il y a toujours une belle lumière, un peu constante et naturelle, j’aime bien ça et puis c’est important, surtout pour les couleurs ». Petit et dense, l’impression qu’il y a de tout partout : des livres, de botanique bien sûr, « des plantes aussi forcément », un poussin empaillé ; au mur juste en face de sa table, des papiers, une photo de Joël Peter Witkin, des croquis inachevés, un masque, un vieux Polaroid, une carte du spectacle Bestias, une autre de Georges de La Tour, des gommes, des cadres, des fleurs séchées, un ordinateur, et sur la table le cahier de croquis.
L’atelier dit forcément de l’artiste : chez Delphine Vaute, c’est une immersion dans l’un de ses dessins.
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« Je fais très peu de fonds et je me concentre uniquement sur le motif, qu’il soit très précis, que ça ne déborde pas »
Si l’atelier se perd dans une sorte de désordre, d’accumulation, le cahier de croquis d’un blanc immaculé est posé délicatement là, bien à plat sur la table, pas une page écornée ni de pelures de gomme.
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Delphine Vaute parle de son travail comme on décrit un métier empreint de gestes répétés, presque ritualisés : « toujours le matin, parfois je prends ce que j’ai commencé la veille, ou alors je regarde ma documentation, mes croquis, mes notes (…) je m’inspire de ce que j’ai pu lire, une rencontre, une image ». Dans l’ordre, « c’est d’abord l’enfant, je sais où je veux aller, je construis petit à petit avec la plante qui vient, et le motif perturbateur rehaussera l’illustration ». Ensuite, « je fais des croquis séparés, par exemple celui du visage, du végétal, après je les assemble et je retrace à la table lumineuse le dessin dans son entier, j’aime quand le trait est propre ; et puis viendra la colorisation ».
Voilà pour la méthode, presque simple, mais Delphine Vaute prend le contre-pied de cette image qui s’annonce si douce en lui tordant le cou.
[aesop_image img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2017/02/IMG_2461-retouché.jpg » imgwidth= »1024px » alt= »cahier croquis delphine vaute » align= »center » caption= »Delphine Vaute, croquis » credit= »Bénédicte Cartron » captionposition= »left » lightbox= »off » force_fullwidth= »off »]
« La question, c’est toujours : qu’est ce qui va perturber l’image ? »
Perturber, déranger, venir heurter ce qui se veut, semble lisse. Delphine Vaute dit aimer travailler sur ce thème de « la cruauté qui va à l’encontre de cette société qui voudrait donner une image parfaite de l’enfant et crée toute une industrie autour de ça ».
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Dans beaucoup de ses illustrations il y a donc cette figure mi-enfant mi-adolescent, et souvent des petites filles, « peut-être parce que je suis une fille et qu’il doit y avoir une part de moi dans chaque personnage, ou bien ça me parle plus inconsciemment ». Puis, tapis dans un coin, l’étrange, le laid, le douloureux s’avancent doucement « comme dans Alice ». Delphine nous fait alors « tomber dans un monde fantastique, inquiétant, avec un mélange d’animaux anthropomorphisés, de végétal aussi très présent, et de dimensions qui changent… ».
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« La double lecture, elle est partout »
Chez Delphine Vaute les visages sont doux et abîmés, la douleur visible et silencieuse et les couleurs sont ambiguës. Elle donne un exemple : « Pour certaines personnes, la couleur rose fait bonbon ou enfant, mais dans mes illustrations elles y voient tout de suite du sang (…) ; et pour moi, utiliser des couleurs plutôt flashy du domaine de l’innocence plutôt que des couleurs inquiétantes » dit autre chose à celui qui regarde.
Enfin si on parle technique, Delphine Vaute répond en douceur et en souriant : « Des crayons de couleur, et du crayon papier, juste ça ». Puis, juste après, comme un couperet : « Et le fluo, le feutre ou l’acrylique, tout ce qui me permet d’avoir des taches et des coulures ». Histoire d’appuyer, un peu, là où ça fait mal ?
Inutile de chercher du côté de l’analyse quand on évoque les interprétations possibles de ses œuvres, pas le genre. Delphine Vaute admet volontiers « qu’il y a sans doute une part d’elle dans chacun de ses personnages » et on n’est pas loin de penser que devenue adulte, elle dessine aujourd’hui des enfants qui ont bien compris que le Pays des Merveilles n’en n’avait que le nom.
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Les œuvres de Delphine Vaute sont notamment à retrouver lors d’une exposition personnelle à la Médiathèque de Pont Saint Martin du 3 au 28 mars.