D’un côté il y a une pièce de théâtre, écrite par Jean-Luc Lagarce en 1990 alors qu’il se savait atteint du virus du sida. De l’autre il y a Clément Pascaud, jeune metteur en scène de 28 ans qui réalise sa première création théâtrale.
Juste la fin du monde, c’est ce texte entré au répertoire de la Comédie-française en 2007, et encore peu connu auprès du grand public, jusqu’à ce que Xavier Dolan l’adapte au cinéma en septembre 2016. Clément Pascaud évoque une « rencontre avec un grand texte », comme une évidence, c’est celui qu’il choisira : « Je suis revenu à l’émotion première pour une première mise en scène » nous confie t-il.
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Déjà l’allure d’un grand
Nous l’avons rencontré au lendemain de la grande première, le 2 février, autour d’un café au petit matin, au Théâtre Universitaire de Nantes. Il évoque alors son parcours.
Après le lycée il savait déjà qu’il ne voulait pas être acteur par « peur de ne pas être assez désiré », ce qu’il aimait provoquer « c’était le désir et surtout le désir de ce qu'[il] produit ». Son premier assistanat, il le décroche auprès du TNB à Rennes alors qu’il n’a que 19 ans… « Finalement ça fait longtemps que je suis dans le milieu », après avoir longtemps été assistant de la mise en scène « on a envie de passer de l’autre côté » résume t-il.
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Clément Pascaud nous avoue que « c’est surtout le texte qui [lui] a donné envie de passer le pas » ; c’est un texte qu’il a connu à l’âge de 17 ans et « ça a été une émotion très forte, très littéraire ». Il nous confesse alors beaucoup se reconnaître dans le personnage de Louis. Comme un besoin d’identification complète, au texte, aux personnages, aux thématiques qu’ils traversent afin de transmettre une « vision personnelle et sincère » : « si vraiment je sais que c’est ça que j’ai envie de raconter… j’y vais pleinement ! ». Il estime qu’en offrant cette authenticité, « ça donnera forcément quelque chose (…) après on peut, ou pas, adhérer, je n’ai pas ce droit-là sur les gens. Mais moi dans ce que je fais j’estime être très sincère à ce moment-là. »
Nous nous apprêtons ensuite à poser la question inévitable :
– « Tu as vu le film de Dolan… ? », il nous coupe : – « Forcément ! Je l’ai vu en avant-première même ! »
Nous poursuivons alors…
– « Et tu avais choisi le texte avant de savoir qu’il allait être adapté au cinéma ? »
– « Oui, en fait il y a deux ans, j’ai fait une première étape à la Fabrique des Dervallières, c’était le tout début de la création. Deux jours avant de présenter les dates de travail, j’apprends que Dolan le monte, par une source qui n’était pas encore officielle. Et en même temps, c’est bizarre ce que je vais dire, mais pour moi Dolan c’est comme pour Jean-Luc Lagarce, son cinéma m’a énormément percuté, notamment son premier film, J’ai tué ma mère. (…) C’est étrange parce que je me suis dis « « si j’aime Dolan, et que Dolan monte Lagarce, c’est un signe. D’une certaine façon je suis assez en adéquation avec moi-même, j’ai les bonnes vibes » ».
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Un orfèvre au service du théâtre
Nous étions prévenus. Clément Pascaud, c’est un homme passionné, perfectionniste, qui vit le théâtre avec des étoiles plein les yeux, une énergie fougueuse doublée d’une sensibilité adroite, intelligente, à fleur de peau.
[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#FFFFFF » align= »left » size= »1″ quote= »C’est un travail d’orfèvre très minutieux » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
Concernant les choix scénographiques, c’est donc dans la même logique qu’il a engagé les étapes de création : « Quand je choisis un acteur je le choisis vraiment pleinement pour tout ce qu’il est, pour ce qu’il incarne : c’est à la fois son physique, sa voix, son énergie d’acteur, presque même son parcours d’acteur. Il y a des disparités mais je les choisis volontairement. (…) Quand je travaille, je construis un espace (…), c’est un travail d’orfèvre très minutieux. »
Que ça plaise ou non, nous ne pouvons que reconnaître cette démarche méticuleuse, rigoureuse. Cette rigueur il la doit aussi aux personnes qui l’entourent et « qui vont comprendre des univers où il faut que tout soit nickel » comme Laure Mahéo, la costumière, « qui a beaucoup travaillé avec François Verret » et Louise Sari, la scénographe. Cette rigueur il la doit aussi aux gens qui l’inspirent, le nourrissent : Claude Régy, Christine Letailleur, metteurs en scène ou encore Bertrand Bonello et Eric Rohmer, tous deux réalisateurs.
[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#ffffff » align= »left » size= »1″ quote= »Jean-Luc Lagarce c’est aussi une grande tragédie grecque » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
Sur scène, peu de fioritures. Un espace blanc représentant « une maison vide où il n’y a plus rien finalement que des êtres », représentant la mort « un espace clinique, presque une salle d’attente ». Comme le souligne le jeune metteur en scène, il y a une troisième raison : « C’est parce que je pense que Jean-Luc Lagarce c’est aussi une grande tragédie grecque. C’est à la fois La Guerre des frères, c’est à la fois Antigone, les mères possessives et destructrices, c’est à la fois le malheur, la tristesse… et en même temps c’est aussi la vie quotidienne (…) il est très véhément sur ça. »
Concernant le choix des costumes, c’est également un long processus de réflexion pour atteindre la perfection : « Je parle longtemps du personnage avec la costumière puis elle me fait une première proposition et on l’affine ensemble, et on l’affine, on l’affine… »
Juste la fin du monde c’est l’histoire de Louis, qui revient après dix ans d’absence dans la maison familiale, le temps d’une journée, le temps d’une ultime journée. Louis se sait condamné, la mort plane au-dessus de cette famille dont les tensions et souvenirs passés ressurgissent. Pour Clément Pascaud, il n’était pas question de reprendre le schéma stéréotypé de l’ouvrier face à l’intellectuel : « Cette question est déjà un peu passéiste, elle est pas très moderne, et elle est très cliché (…) ce n’est pas cette vision que je voulais défendre ».
Sur scène, la mère de Louis, d’une élégance implacable, se présente avec une jupe crayon, un chemisier et « ses beaux talons rouge, pour le retour de son fils qu’elle n’a pas vu depuis dix ans, elle s’est bien coiffée ». Le personnage de la belle-sœur « est très stylisé aussi (…) c’est comme ça que je sublime ces personnages-là. »
[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#FFFFFF » align= »left » size= »1″ quote= »Il est capable (…) d’écrire sur ce que l’autre pourrait penser de lui » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
Cette pièce « c’est Jean-Luc Lagarce pleinement avec tous ses ressentis, ses contradictions. Là où il est magnifique c’est que Jean-Luc Lagarce c’est Louis. Il est capable, ce qui est assez incroyable, alors que c’est sa vie personnelle, intime, d’écrire sur ce que l’autre pourrait penser de lui. Je ne pense pas que le public le ressente complètement, mais moi ce que j’ai toujours voulu faire c’est que Louis s’éloigne parfois des monologues, il n’est pas pleinement avec eux, presque comme s’il était déjà mort, comme une présence fantomatique. »
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Tous ces choix se révèlent sur scène comme quelque chose de visuellement très impactant, une aura particulière s’en dégage, quelque chose de l’ordre de l’irréel, du surréaliste, du sacré.
Clément Pascaud se livre, au travers de cette pièce et dans la manière dont il l’a mise en scène, à corps perdu. Il nous avoue avoir été surpris par les réactions du public, il ne pensait pas être aussi extrême, catégorique dans cet exercice. Certains se sont même interrogés : « Comment on peut être aussi jusqu’au-boutiste dans ce qu’on fait ? ». Son travail laisse peu de place à l’entre-deux, soit on aime, soit on n’aime pas, mais la majorité des spectateurs reconnaît le travail et la constance dont il fait part.
La famille s’agrandit
Pour la suite, des projets sont déjà en route. Clément Pascaud se voit ravi de faire partie « là en ce moment à Nantes, de cette génération de metteurs en scène. (…) Il y a quelque chose qui se passe, il y a une bonne dynamique, on a des travaux tous agréables et différents. On peut reconnaître au TU, à Nolwenn Bihan et Laurence Morin (toutes deux co-dirigeantes du TU, ndlr), d’accepter ce pari de faire confiance et de choisir des metteurs en scène très jeunes, qui travaillent de manière presque opposée, mais il y a quelque chose de presque familial qui se construit. » Il mentionne notamment Tanguy Malik Bordage : « Finalement, quand tu es très affirmé dans tes choix et dans la radicalité des uns et des autres, il n’y a pas de concurrence malsaine. On n’est pas concurrents, on est associés. Chacun respecte le travail de l’autre et chacun vient le regarder.»
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« Quand je vois le travail de Tanguy je me dis « Putain il est balaise le coco quand même. Il t’en envoie, il t’en envoie, il sait créer de l’image, de la puissance, il sait faire rire, faire tout exploser… » après moi je sais pas quelles sont mes qualités mais je suis heureux de me dire « c’est lui qui est à coté de moi », c’est un moteur, il faut apprendre ça de lui… Il ne faut pas oublier que l’humour c’est chouette aussi, c’est cool de rire au théâtre, j’avais oublié cette sensation de rire ou d’en tout cas être complètement pris. Après moi c’est sûr que c’est méga bad mais c’est bien aussi… chacun son trip quoi ! »
Pour conclure, il nous confie qu’il y a notamment un projet de partenariat et de création entre Tanguy Malik Bordage et lui-même pour l’année prochaine… à suivre donc.