Sombre comme le vrombissement d’un volcan qui attend son heure ou brûlant comme un magma en fusion… Gaël Faye a offert mercredi 8 mars une prestation d’une rare éloquence et d’une rare pertinence sur la scène de Stereolux à Nantes. Entre rimes et larmes, le chanteur franco-rwandais, romancier primé pour son premier ouvrage Petit pays, excelle entre charisme et simplicité, poésie et frontalité, humour et sévérité. Une plume, un sourire, une lucidité. On en ressort bouleversés.
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Une plume
Grosse claque à la gueule du rap francophone. Gaël Faye manie la langue de Molière comme peu peuvent prétendre le faire. Un sens du rythme hors pair qui permet au chanteur d’articuler ses phrasés à travers une riche palette de nuances, d’émotions, de tempos. Sans excès, toujours juste. Sans artifice, sans effet de manche… Gaël Faye reste d’une simplicité complexe. Il ne cite pas les poètes qui ont marqué son enfance, il les utilise comme arme civilisée. Jamais prétentieux.
On se laisse couler dans la douceur de titres poignants d’émotion comme le magnifique Pili Pili sur un croissant au beurre, rencontre fantasmée entre sa mère rwandaise et son père français. L’ennui des après-midi sans fin évoque l’écoulement du temps, celui de l’enfance, dans une région du globe à la veille d’un cataclysme. C’est le cœur de son roman Petit pays, dernier prix Goncourt des lycéens. Une poésie magnifiée par l’excellent pianiste et trompettiste Guillaume Poncelet.
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Gaël Faye est aussi capable d’un registre beaucoup plus frontal. On exulte lorsque le chanteur use de « mots cratères », de « mots obèses » pour reprendre l’image de Rocé, autre plume d’un rap français dense et exigeant. Gaël Faye foudroie avec des titres comme Ma femme ou le tout nouveau Irruption. Sur la scène de Stereolux, le beatmaker Blanka (La fine équipe, Jukebox champions…) s’en donne à cœur joie, comme toujours.
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Un sourire
Au-delà de ses qualités textuelles indiscutables, Gaël Faye sur scène, c’est avant tout une attitude, un charisme que certains comparent (trop) facilement à Abd Al Malik (sans le côté « je vous montre mon érudition ») ou Stromae. Un regard qui pénètre le public. Un sourire salvateur, réconfortant, encourageant, plein d’espérance même quand les textes graves vous collent le cœur au sol. Gaël Faye, c’est aussi une silhouette longiligne qui contraste avec la lourdeur des propos.
On pourrait comme ça définir l’artiste à travers une série de contraires. Mais l’ensemble est bien d’une cohérence et d’une pertinence savoureuses. Aucun temps mort de toute la soirée. On se laisse guider dans cette salle micro pleine à craquer où la température exceptionnellement chaude, l’atmosphère moite, se sont invitées semble-t-il très naturellement. On en redemande en multipliant les rappels.
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Une lucidité
On a le charisme, le showman brillamment accompagné de ses deux musiciens. Mais ce qui reste, c’est la lucidité de l’artiste. Gaël Faye nous parle de « bordel chromosomique » avec humour, nous invite à le suivre sur Je pars, à partager cet instant présent parce que « certains, dehors, s’y opposent ». Cette lucidité prend corps à travers son dernier titre Irruption qui préfigure un nouvel EP prévu pour avril. Des mots qui marquent et se choquent à l’actualité suffocante. Un texte tout simplement brillant que vient plaquer un lourd son hip-hop. Gaël Faye signe là un titre qui pourrait légitimement marquer les années à venir. A moins que l’on soit devenus sourd. Pour de bon…
« L’affiche est couleur sang, et Manouchian vient pas d’Auvergne
Le tirailleur t’emmerde, il a fécondé ta grand-mère
On investit Brongniart, le dos au mur comme Jean-Pierre Thorn
On s’en fout du grand soir parce que la nuit, c’est bien trop morne
On veut même pas de soleil et des éclipses pour faire l’amour,
pour que l’instant soit bref, intense comme un fruit qu’on savoure
Aux armes miraculeuses on a lu Césaire et Prévert
On viendra vous faire la guerre avec la parole poudrière
On n’désigne plus l’ennemi, parce qu’il est partout même en nous
On va mourir debout parce qu’on a vécu à genoux
On est sourds aux slogans élimés par trop de manifs
On devient arrogants on veut rimer comme des canifs »
Extrait d’Irruption