Jean-Pierre Ponnelle, disparu en 1988, fait partie de ces metteurs en scène qui, dès les années 70, ont bouleversé l’opéra, en approfondissant le jeu pour construire avec les chanteurs de vrais moments de théâtre et de vie sur le plateau. Patrice Chéreau appartient à ces artistes, et sa «Tétralogie » de Wagner, montée à Bayreuth en 1976, ou ses visions de « Lulu » de Berg au Palais Garnier (1979) et de « Lucio Silla » de Mozart à la Scala de Milan (1984), restent des spectacles de référence. Jean-Pierre Ponnelle a également fouillé toutes ses directions d’acteurs et sa « Cenerentola » a été représentée pour la première fois en 1973 à la Scala de Milan, puis jouée ensuite dans le monde entier, notamment à l’Opéra National de Paris entre 2011 et 2013. Un très beau DVD avec Frédérica Von Stade a immortalisé cette fascinante symbiose entre le chant et le jeu. Grischa Asagaroff, qui a été l’assistant de Jean-Pierre Ponnelle, a orchestré la miraculeuse reprise présentée à l’Opéra de Monte-Carlo, pour restituer ce tourbillon dans son humour, sa grâce et sa poésie.
Mirages et faux-semblants
La Cenerentola est le nom donné à Cendrillon en italien. L’histoire racontée dans cet opéra diffère cependant du conte de Charles Perrault. On retrouve la pauvre jeune fille, prénommée Angelina et méprisée par ses sœurs, le bal et le mariage avec le prince, mais certains éléments ont été modifiés. La terrible marâtre a été remplacée par Don Magnifico, père cupide et envieux, la fée par le philosophe Alidoro et la pantoufle égarée par un bracelet. Le Prince Don Ramiro et son valet Dandini ont échangé leurs identités, dans un jeu de masques qui rappelle le théâtre de Marivaux. Le prince espère ainsi atteindre la vérité des sentiments de celle qu’il choisira pour femme, tandis que le père et ses deux filles, Clorinda et Tisbe, vont être entrainés dans la plus réjouissante des mystifications. Jean-Pierre Ponnelle a également signé les décors, du château délabré de Don Magnifico au palais du Prince, et les costumes, aux subtils accords de couleurs. Un rideau de scène rouge et doré dévoile d’émouvants tableaux, dont les arrière-plans rappellent des gravures de Gustave Doré, qui s’animent d’une vie incroyable.
Le prince espère ainsi atteindre la vérité des sentiments de celle qu’il choisira pour femme…
Grischa Asagaroff signe aussi ses propres mises en scène. On lui doit notamment une vision intense d’ « Andrea Chénier » de Giordano en septembre 2007 à l’Opéra de Zurich.. Il réalise la reprise de cette « Cenerentola » en ciselant chaque détail avec une précision fascinante, qui reflète la virtuosité de l’ouvrage, comme autant de gros plans, sur un visage, un geste ou un déplacement. Le réveil du truculent Don Magnifico, à l’étage de sa demeure chancelante, force le trait d’un personnage tyrannique et dérisoire, tandis que son arrivée chez le faux prince, avec ses filles, est une joyeuse parodie de protocole. D’un côté Dandini fait des gestes emphatiques qui exagèrent l’accueil, et de l’autre Clorinda et Tisbe glissent vers lui sur un tapis rouge, telles deux funambules qui se prosternent avec outrance sur le rythme de la musique. Le somptueux buffet accentue encore le décalage de ces drôles de convives, fascinés par l’étiquette, avec tout ce décorum. Dans le même ordre d’idées, Don Magnifico, qui croit recevoir un titre de noblesse, est élevé au titre de grand sommelier, dans une scène particulièrement drôle.
Le somptueux buffet accentue encore le décalage de ces drôles de convives, fascinés par l’étiquette, avec tout ce décorum.
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Tous les solistes sont totalement investis dans ce jeu de l’amour et des apparences. Rebeca Olvera et Rosa Bove sont étourdissantes en Clorinda et Tisbe. Elles sont à la fois touchantes de naïveté et désopilantes dans les situations grotesques, et leurs chants sont somptueux. Carlos Chausson, grand habitué des rôles de Rossini, est charismatique en Don Magnifico, dont il sculpte les affres avec beaucoup de virtuosité. Les magnifiques ensembles transportent et rendent heureux. « La Cenerentola » est, comme « Don Giovanni » un Dramma giocoso, qui mêle à ces pages enfiévrées quelques arias mélancoliques ou élégiaques. Par-delà l’ivresse de ceux qui aspirent à s’élever dans la société, Angelina-Cendrillon chemine vers l’acceptation du bonheur.
Rebeca Olvera et Rosa Bove sont à la fois touchantes de naïveté et désopilantes dans les situations grotesques, et leurs chants sont somptueux.
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La bonté transfigurée par le chant
Les masques tombent de manière brutale, Don Magnifico et ses filles réalisent avec amertume toute la supercherie. Au retour du bal, un orage éclate. Le Prince véritable, auquel Edgardo Rocha offre de captivants aigus, reconnaît celle qui l’a séduit au bracelet qu’elle porte au bras, et dont elle lui avait offert une réplique. La Cenerentola tant méprisée se révèle être la belle apparition de la fête, ce qui déclenche la fureur de Clorinda et de Tisbe, et un moment de stupeur où le temps se fige en un stupéfiant sextuor où tous paraissent pétrifiés : « Questo è un nodo avviluppato » (que va-t-il se passer ?). Chaque syllabe est accentuée dans d’amusantes allitérations, qui se poursuivent plus loin dans cette traduction « quel écheveau enchevêtré ! ». C’est le reflet d’un théâtre total, où l’on joue avec tout.
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C’est le reflet d’un théâtre total, où l’on joue avec tout.
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La figure centrale de l’Opéra est Angelina, dont on distingue la détresse et les espoirs secrets dès la première scène. C’est grâce au philosophe Alidoro qu’elle ose se préparer pour le bal. Vincenzo Nizzardo apporte à ce personnage positif et rédempteur une voix radieuse aux graves pénétrants. Cecilia Bartoli sculpte les mouvements du cœur de Cenerentola en des nuances infinies et un chant miraculeux. Après le choc de sa « Norma » en 2016 à Monte-Carlo, elle construit une figure mémorable, dont le pardon final est un sommet. Les haillons se sont métamorphosés en une robe étincelante, et chaque aigu, en de mystérieuses correspondances, rehausse encore son éclat, dans un tourbillon de vocalises.
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Les haillons se sont métamorphosés en une robe étincelante, et chaque aigu, en de mystérieuses correspondances, rehausse encore son éclat, dans un tourbillon de vocalises.
L’orchestre « Les musiciens du Prince » est dirigé par Gianluca Capuano, que l’on retrouve avec plaisir juste après son brillant travail sur « Le Couronnement de Poppée » de Monteverdi, programmé par Angers Nantes Opéra. Il transmet une belle énergie au plateau et trouve, dès l’impressionnante ouverture, de brillantes sonorités. L’orchestre a été fondé en principauté de Monaco au printemps 2016 sur une idée de Cecilia Bartoli, qui a réuni des musiciens internationaux jouant sur instruments anciens, en collaboration avec l’Opéra de Monte-Carlo. Il reçoit le soutien de S.A.S le Prince Albert II et de S.A.R la Princesse de Hanovre. Cet ensemble s’est déjà produit à travers l’Europe, d’Amsterdam à Vienne et de Paris à Zurich, et fait désormais partie des formations qui comptent !
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