28 mars 2018

Quand le soufi nous vole dans les plumes

Après Peter Brook ou encore Jean-Claude Carrière, le TU nous propose une adaptation de La Conférence des oiseaux dans le cadre du dispositif "Piste d'envol" et accompagnée par Tanguy Malik Bordage.

Quand le soufi nous vole dans les plumes

28 Mar 2018

Après Peter Brook ou encore Jean-Claude Carrière, le TU nous propose une adaptation de La Conférence des oiseaux dans le cadre du dispositif "Piste d'envol" et accompagnée par Tanguy Malik Bordage.

La Conférence des oiseaux

Inspirée du recueil persan de poèmes lyriques datant du 12e siècle au titre éponyme, écrit par le poète soufi Farid Al-Din Attar, l’histoire met en scène une bande d’oiseaux (sur scène ils seront cinq) partie à la recherche de Simurgh, son roi. Dans cette quête initiatique, chaque espèce d’oiseau symbolise un marqueur, un défaut de l’âme humaine et peine à trouver la force de poursuivre le voyage jusqu’à son terme. Ancrée dans le monde contemporain, la pièce souligne malicieusement ses travers et fait résonner les préoccupations universelles de l’humanité.

La mise en scène choisit le bi-frontal et positionne le spectateur directement sur l’espace scénique, le disposant sur deux rangées longitudinales évoquant les défilés de mode. Il y a bien cette idée d’artifice qui s’exprime, de vanité, et ce désir de créer à la fois une complicité et un voyeurisme goguenard avec le spectateur. Vous serez partie prenante de cette histoire, qui parle aussi de vous.

Les oiseaux se toisent, choisissent leur camp sous l’autorité de l’un d’eux qui s’érige en guide. La quête commence, et avec elles les doutes, les errances, les perditions. Avec espièglerie le jeu convoque les stéréotypes de notre modernité décadente jusqu’à l’absurde. Les totems vides qui balisent notre absence de sens.  Le rappeur avec au cou ses chaînes en or comme autant d’entraves, perdu dans une désolation de mots. Le jeu télévisé nippon en quintessence de l’humiliation médiatique et son animatrice qui oscille avec hystérie entre caricature infantile et despotisme rageur, dans une gesticulation furieuse, envoûtante, grotesque et incroyablement familière. Un morceau de choix pour une comédienne survoltée et irrésistible. Le corps de la femme qui s’offre dans un malaise pathétique et signe la fin du désir.  La déliquescence de l’âge, son insupportable lenteur pour un monde frénétique, où la jeunesse du corps se perd, s’annule dans la chorégraphie de la vieillesse. Étonnant comédien qui efface la frontière du temps dans une gestuelle et une appropriation déroutantes.

Les tableaux s’enchaînent et l’esthétique moderne répond étonnamment à la profondeur parfois sibylline du texte qui signe son intemporalité. Les codes d’une modernité extrême, factice, outrancière, immature et fascinée d’elle-même accentuent cette étrangeté d’un voyage qui se fait également à l’intérieur.

Enfin pour achever cette quête qui exige le passage par 7 états distincts (Recherche, Amour, Connaissance, Détachement, Unicité, Stupéfaction et Anéantissement) la pièce s’appuie sur l’outil numérique et ce sont des tableaux filmés, entre drôlerie et poésie, qui nous sont présentés. Nous avons pris cette habitude de l’intrusion dans le théâtre d’autres supports artistiques et cette pause est d’autant  bienvenue qu’elle nous réintroduit dans notre la confortable obscurité du spectateur. Elle permet de décanter en douceur la crudité précédente.

Marquée surtout par la performance de deux acteurs qui se distinguent par leur énergie et leur générosité La conférence des oiseaux offre un spectacle parfois inspiré, poétique, détonant mais surtout résolument espiègle. Une bouffée roborative comme remède à toute mélancolie.

 

5 jeunes comédien.ne.s diplômé.e.s depuis l’an dernier du Conservatoire de Nantes ont travaillé avec le metteur en scène Tanguy Mailk Bordage – artiste compagnon du TU-Nantes, scène jeune création et émergence – depuis le mois d’octobre autour d’une recherche théâtrale.

Baptiste Allaert, Valentin Bahuaud, Damien Debonnaire, Elisa Mabit, Lucie Monzies sont tous les cinq diplomé.e.s du Conservatoire de Nantes. Dans le cadre de leur année d’envol, ils ont participé au programme « Piste d’Envol » : un travail de recherche de 5 semaines avec un metteur en scène professionnel.

Les jeunes comédien.ne.s en « année d’envol » rencontrent un jeune metteur en scène à peine envolé, Tanguy Malik Bordage. Il leurs propose de le suivre dans une grande aventure. Un voyage dont on ne revient pas indemne, un voyage fait d’épreuves, de lâcher prise, de folie et de courage. Une quête fabuleuse et initiatique vers un but mystérieux…

« Ils auront fait un long voyage pour arriver au voyageur. »

 

 

Communicante passionnée de contact et d'expériences humaines, d'art et de culture : théâtre, cinéma, et expositions

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017