« Nous sommes seize artistes d’une même génération, qui gardons en mémoire une enfance sans internet, où l’intimité ne s’exposait pas encore sur la toile, où la collecte des informations, à des fins marchandes ou sécuritaires, était loin d’être aussi massive et systématique. »
Les auteurs de Traverse et les comédiens d’OS’O sont de cette époque qui a vu naître internet et évoluer les nouvelles technologies à une vitesse fulgurante. Allant de pair avec la mondialisation, leur impact est aujourd’hui indéniable sur nos vies personnelles et professionnelles. #bestfriend, #nofilter, émoticône cœur+licorne arc-en-ciel, selfie, post, like, tuto sont entrés dans notre vocabulaire quotidien tout comme Instagram, Whatsapp, Snapchat, Tinder, Youporn, Uber et Deliveroo. On achète, on échange, on trouve du boulot, on drague, on baise, on mange, on se déplace grâce aux applis. Notre carte de crédit est enregistrée pour nos prochains achats et les publicités sont ciblées grâce aux algorithmes. On n’arrête pas le progrès ! Mais jusqu’où celui-ci s’immisce-t-il dans notre intimité ? Qui y a accès ? L’impact est-il positif ou négatif ? Autant de questions que pose « Pavillon Noir », un spectacle qui dénonce sans faire la morale, qui interpelle sans aller dans l’extrême sécuritaire/parano, mais qui nous encourage tout de même à mettre un scotch sur notre webcam une fois rentrés chez nous !
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“On observe deux points de vue très opposés : Tout est parfait, internet a créé toute cette liberté et tout va être fantastique. Ou bien : Tout est terrible, internet a créé tous ces outils pour réprimer, espionner, et contrôler ce que nous disons. Et le truc, c’est que les deux sont vrais (…) c’est à nous de décider lequel gagnera à la fin. C’est à nous de choisir la version dont nous souhaitons bénéficier, car elles vont et iront toujours de pair.” Ces mots sont ceux d’Aaron Swartz. Ce pirate contemporain qui va inspirer l’un des personnages de la pièce est un partisan d’un internet libre. Il s’est suicidé à 26 ans, un mois avant son procès. Considéré par les autorités américaines comme un criminel, il avait mis à disposition de tous plusieurs millions d’articles scientifiques d’une plate-forme payante à partir des locaux du MIT.
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« À l’heure de la surveillance de masse, du recul des libertés individuelles, de la fin de l’anonymat, peut-on vraiment continuer de considérer les sociétés occidentales comme des démocraties ? » Cette question est le fil rouge de « Pavillon Noir ». Les collectifs Traverse et OS’O explorent des pistes de réflexion denses durant plus de deux heures. Quinze séquences se succèdent sans temps morts, certaines réunissant les sept acteurs sur le plateau, d’autres plus réduites, plus intimes. Certaines sont à épisodes, comme cette séquence traversée par les attentats de Paris et la ZAD de Notre-Dame des Landes ou cette tentative d’extradition d’une hackeuse kazakh, une sorte d’Aaron Swartz au féminin. Ces thèmes ancrés dans l’actualité sont ponctués d’intermèdes plus légers comme « Les tutos de Raph et Zoé » qui nous expliquent le darkweb, le bitcoin et les métadonnées dans un style vidéo amateur des plus loufoques. Ces mêmes métadonnées se feront d’ailleurs exterminées plus tard au sabre laser, délirant!
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Sur le plateau pas d’écran, pas de projection, pas de vidéo. Seul un triptyque de panneaux jouant de transparence, un carré de LED au sol et au plafond, de la musique électro, un jeu de lumières allant d’un rose sexy à un bleu glacial. La troupe a fait le choix de ne pas s’appuyer sur le numérique sur scène. Rien qui vienne de ce monde virtuel dont ils ne font que parler n’est présent et c’est ce qui rend la mise en scène d’autant plus imaginative, jusqu’aux changements de décors et de costumes qui sont de véritables chorégraphies. « Pavillon Noir » a fait salle comble et a été salué par une standing ovation du public conquis par ces pirates d’un nouvel ordre.