Photographe professionnel depuis plus de six ans, Olivier Lanrivain travaille pour le journal quotidien Presse Océan. Il collabore également ponctuellement avec Fragil. Mercredi 11 avril 2018, il s’est rendu sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes pour couvrir le troisième jour de l’évacuation du site situé au nord de Nantes par les forces de l’ordre. Il s’est livré à Fragil pour témoigner de la violence de ce jour spécial, après 48 heures d’évacuations et de destructions des infrastructures créées par les zadistes.
Fragil : Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Olivier Lanrivain : J’ai 48 ans, je suis photographe depuis six ans. Et j’ai fait un parcours dans la presse mais dans tout ce qui est métiers techniques : l’imprimerie, la mise en page, l’infographie, l’encadrement… Et je suis rentré dans la rédaction comme photo-journaliste en 2012, à l’époque de l’opération César. Donc j’ai débuté dans un climat un peu chaud. Mais c’est bien, c’est formateur.
Fragil : Pourquoi as-tu choisi de témoigner sur cette journée du 11 avril 2018 ?
Olivier Lanrivain : C’est un jour dont on a moins parlé au local parce que la ZAD occupait la Une depuis déjà deux jours. Au national, les rédactions se sont aperçus que c’était une journée importante. On arrivait à un moment où, pour les gendarmes, le boulot était fait après les deux premiers jours, mais où la tension était à son paroxysme après les destructions et les évacuations… C’était une journée charnière : est-ce qu’on va plus loin ou est-ce qu’on modère ? Après cette journée, ils ont donc choisi de temporiser. Mon but en vous racontant cette journée, c’est d’éclairer les jeunes qui aimeraient faire ce genre de métier.
Fragil : Est-ce compliqué de rester neutre ?
Olivier Lanrivain : L’avantage d’être photographe c’est que tu es caché derrière un appareil photo. On ne te voit pas, on ne sait pas vraiment qui tu es et donc on reste neutre parce qu’il y a cette barrière, qui est beaucoup plus évidente qu’un bloc-note et un crayon. Je ne suis pas complètement “nu”. Moi mon boulot c’est de faire de la photo, de rendre compte de ce qui se passe. C’est juste les faits, rien que les faits. Ce qui n’est pas toujours évident !
Fragil : Quels matériels emportes-tu sur ce genre de reportage ?
Olivier Lanrivain : Sac à dos, bouteille d’eau, barre de céréale, fruits secs, casque, lunettes, masque à gaz, Nikon D4S, 70-200, 35, 24-70.
Reportage photo sur la ZAD
« On est arrivés à 8h30 sur place. Première surprise : on nous a barré les deux routes, à pieds et en voiture. Si on voulait atteindre la zone, il fallait passer par les champs. J’ai contacté des collègues des agences AFP et Sipa qui était à Vigneux-de-Bretagne, pour leur expliquer la situation. Ils m’ont proposé de les rejoindre pour atteindre le site ensemble… à travers champs. En chemin, je reçois un message m’informant que la gendarmerie organisait un convoi presse pour nous emmener sur un site de déconstruction, selon le terme qu’ils ont employé.
On leur fait les sommations, ils écartent les bras, ils montrent leur carte de presse et ils se prennent des gaz lacrymo.
Mes collègues ont traversé les champs et sont tombés sur un cordon de gendarme. On leur fait les sommations, ils écartent les bras, ils montrent leur carte de presse et ils se prennent des gaz lacrymo. Mon collègue s’est également pris des éclats dans la jambe. Pendant ce temps-là, j’ai suivi le convoi presse. C’était une vraie campagne de communication pour nous montrer que l’évacuation avançait.
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L’huissier était passé et ils étaient en train de détruire des maisons.
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Ça donnait l’impression que les gens qui étaient là depuis plusieurs années étaient partis dans la précipitation en laissant derrière eux des livres, de la nourriture…
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On a terminé cette visite avec eux et on a quitté ce lieu pour rejoindre le pique-nique aux Fosses noires. J’y étais pour voir ce qui allait s’y passer. On ne pensait pas qu’il y aurait une présence militaire à cet endroit-là.
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Je suivais un groupe de sympathisants sur la D281, la route des chicanes avant d’atteindre les Fosses noires.
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A la fin du pique-nique, on s’est rendu dans un champ. Je discute avec des zadistes pour faire des photos. La route était pleine de gendarmes, également présents sur le champ. En face, les zadistes avec des masques à gaz, qui ont refusé de se faire photographier.
Après, je retrouve un collègue qui était dans le champ. Il me propose de le suivre un peu plus loin pour photographier des zadistes qui construisent des tranchées. Assez rapidement, ils m’ont fait comprendre que ça les dérangeait de se faire prendre en photos.
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On retourne sur le champ où il y avait eu un discours prononcé du toit d’une des constructions.
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Soudain, les lacrymos ont commencé à pleuvoir.
Soudain, les lacrymos ont commencé à pleuvoir. Je n’étais pas casqué, pas de lunettes, pas de masques à gaz. Je me suis donc éloigné les yeux en pleurs. On a compris plus tard qu’on était en train d’être encadrés par la police. Il y avait un face-à-face sans heurt, mais les zadistes avançaient de plus en plus vers les gendarmes. Quand je suis arrivé, il y avait entre 50 et 100 personnes, des cheveux blancs, des sympathisants, des retraités… Vu tout ce monde là, les forces de l’ordre ont décidé de nous disperser : lacrymos, grenades assourdissantes, de désencerclement… On s’est donc retrouvé dans un nuage, tout le monde a donc reculé. La majorité n’avait pas de protection.
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Il y a donc eu un goulot d’étranglement dans la fuite, mais c’est resté suffisamment organisé. C’était tout de même un peu limite.
Je sors du champ pour retrouver mon souffle. Je mets mon masque à gaz et mes lunettes pour retourner près de l’action.
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Je vois qu’on est beaucoup de journalistes et qu’on s’est fait gazé comme tout le monde.
Je vois qu’on est beaucoup de journalistes et qu’on s’est fait gazé comme tout le monde. On s’en est tous pris plein la gueule. A un moment, les zadistes se sont rendus compte qu’on était encerclés de tous les côtés. Ils ont tout de même tenu à protéger les barricades.
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Les gendarmes ont même envoyé une sorte de grenade type GLI F4, qui est tombé au milieu des journalistes et photographes, ça a fait un bruit énorme et une gerbe de terre qui est montée très haut. Ils envoyaient ça pour disperser tout le monde. Il était 15h, on entrait dans le dur et on ne savait pas quand ça finirait. Ensuite, j’ai reculé et suis sorti du champ pour rejoindre les autres points chauds.
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On était deux collègues. Il y avait une dizaine de zadistes. C’était stressant parce qu’on ne savait pas ce qui allait se passer. Les zadistes sont là pour défendre la barricade, les autres pour la détruire. Il fallait quand même que je fasse des images. Je me place juste derrière un petit talus parce quand ils vont envoyer les lacrymos, tout le monde va reculer et donc, par précaution, il fallait que je sois à un endroit de sortie pour avoir moyen de partir dans l’autre sens.
Comme prévu, les lacrymos ont commencé à pleuvoir et tout le monde a reculé. J’étais tranquille pour travailler, mais dans le camp des zadistes. Je n’étais pas obligé d’y être mais je tenais à témoigner.
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Je sors de cet endroit là parce qu’il y avait de la lacrymo partout. J’ai prévenu mon collègue que j’allais me replier et je suis revenu en arrière. C’est une procédure de sécurité qui nous permet d’avoir quelqu’un qui surveille ce qui se passe autour de nous pour regarder des photos… On se protège les uns les autres. On essaie toujours d’être à plusieurs.
Je pars sur l’igloo (qui a été détruit par la suite) où il n’y avait plus que des journalistes qui se reposaient, dont le journaliste de Libé qui s’est pris des éclats de lacrymos dans la tête un peu plus tard.
Les gendarmes ont entamé les sommations. A la dernière, j’ai compris qu’ils allaient avancer et quand ils avancent, ils ne regardent pas, ils avancent.
Il y a du feu c’est spectaculaire, je suis allé voir ce qui se passait. J’ai prévenu mon collègue que j’y allais. Je pars tout seul là où il y a le feu. Il y a six ou sept zadistes, les gendarmes en face. Je reste avec eux. Je me recule un petit peu parce que ça commence à chauffer. Les gendarmes ont entamé les sommations. A la dernière, j’ai compris qu’ils allaient avancer et quand ils avancent, ils ne regardent pas, ils avancent. Je recule et ils ont lancé des lacrymos, dont deux qui ont atterri à mes pieds. J’ai regardé autour de moi et il n’y avait personne. Elles étaient donc pour moi. Le champ d’à côté est passé du vert au blanc.
Je recule et ils ont lancé des lacrymos, dont deux qui ont atterri à mes pieds. J’ai regardé autour de moi et il n’y avait personne. Elles étaient donc pour moi.
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Je retourne à l’igloo où mes collègue ont commencé à se faire canarder. C’est à ce moment là que j’ai décidé de lâcher et de partir. J’avais tout ce qu’il me fallait pour illustrer le papier du lendemain.
On arrive sur un blocage de gendarmes qui ne laissaient passer personne. Mes collègues ont commencé à négocier pour évacuer notre collègue qui était en sang. On s’est tous mis devant les gendarmes avec nos appareils photo et nos cartes de presse, ils ont ouvert pour laisser passer le collègue blessé et ils ont refermé le passage direct. On s’est donc retrouvés bloqués dans un champ pendant une heure. D’autres ont dû patienter pendant deux heures et demi.
Au bout d’une heure, j’en ai ras le bol et je sors du champ. Le drone des gendarmes me tournait autour. J’arrive finalement près des gendarmes mobiles qui étaient au bout du champ et le gradé m’a laissé passer. Mon collègue me suit.
On sort finalement, on monte en voiture et on s’en va. Sur le chemin, on s’est rendu compte que toute la zone était bloquée par les camions des gendarmes mobiles. »
Entretien réalisé par Merwann Abboud et Mélanie Carrière