Sur scène ils ne sont plus deux mais trois. Trois hommes silencieux et immobiles sur un plateau quasi nu. Le premier geste est une main levée. L’atmosphère est mystérieuse, intrigante. La parole décousue interroge en permanence la possibilité d’un événement. On saisit peu à peu qu’une femme monte dans le camion d’un homme. Destination inconnue. Quelle femme ? Quel homme ? D’où viennent-ils et vers où se dirigent-ils ? Ces interrogations distillées tout au long du texte représentent la seule action de la pièce. La probabilité est de mise quand on ne connait pas la tournure que va prendre l’histoire. Que va-t-il se passer entre cet homme et cette femme ? Où va-t-il l’emmener ? Autant de possibilités qui vont construire un fil conducteur qui amènera les personnages à se questionner sur des sujets tels que l’amour, le prolétariat, la classe ouvrière… Le public peut se sentir parfois déstabilisé face à tant d’inconnus puisque seule la scène de départ fait office de vérité absolue. On se place donc comme les trois personnages dans une posture d’attente face à la suite des événements.
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La route de Marguerite Duras
Au théâtre, l’écriture de Duras prend toute son ampleur, elle nous transporte.
Son écriture est semblable à ce camion qui roule dans la nuit. Un voyage vers l’inconnu. La route défile mais on ignore où elle nous mène. Un peu comme la vie. On ressent à la fois le vent de liberté qu’offre ce voyage et le sentiment paradoxal d’être étriqués, enfermés dans des questions qui ne trouvent aucune réponse. Comme les trois protagonistes, nous nous retrouvons enfermés dans cet univers clos représenté par la cabine du camion. Nous ne pouvons nous en échapper, ou seulement par la parole, l’imaginaire.
Le comédien Laurent Sauvage qui joue le rôle de Marguerite Duras s’approprie le texte avec élégance. Sa partition est dense, ce qui rend sa performance impressionnante. A ses côtés, Hervé Guilloteau reprend le rôle de Depardieu et Olivier
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Dupuy, co-pilote muet, est témoin du dialogue sur le plateau.
Derrière eux, un écran diffuse des images noir et blanc léchées évoquant des fonds marins, des vagues, des chutes d’eau, entrecoupées de longs travellings autoroutiers. La création vidéo de Tesslye Lopez est un personnage à part entière qui illustre ce voyage philosophique intemporel sur l’état du monde.
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Une interrogation permanente
Nous sommes généralement habitués à des pièces qui vont nous interroger une fois que le rideau tombe. Dans Le Camion, les réactions qui vont nous animer vont être tout autre puisque l’incompréhension et l’attente vont demeurer en permanence. C’est assez troublant puisque les réponses à nos questions n’arriveront jamais. Nous allons essayer d’imaginer toutes les issues possibles pour cet homme et cette femme sans pour autant être capable de s’identifier à ces personnages. C’est audacieux de la part du metteur en scène d’avoir traduit à travers les textes des personnages autant de questionnements. C’est un parti pris risqué que choisit la metteure en scène. Entre les spectateurs qui auront embarqué dans le camion et ceux qui seront restés au bord de la route, la pièce va certainement diviser le public. Ce qu’on ne pourra pas remettre en question c’est que Marie de Missolz, à l’instar de Marguerite Duras, nous aura laissé un espace de liberté et d’imagination certes déstabilisant mais assez rare pour être noté.
Article rédigé par Marie Marguerite et Christelle Lader