Une centaine de personnes ont fait le déplacement au Cinéma Bonne Garde pour partager ce regard différent sur la question migratoire.
Fragil y était et a rencontré Bérengère Matta, responsable du bureau SOS méditerranée Bretagne Grand Ouest, Marie Estelle Cissokho, bénévole du tout récent bureau de SOS Méditerranée de Nantes et Stéphane Broc’h officier embarqué sur l’Aquarius.
Un cycle de documentaires pour présenter des visages et des parcours de migration
Le documentaire « Les migrants ne savent pas nager » de Jean Paul Mari et Franck Dhelens a ouvert le cycle samedi. Le grand reporter Jean Paul Mari est monté pendant trois semaines à bord du navire de SOS Méditerranée « L’Aquarius » qui sillonne la Méditerranée pour venir en aide aux embarcations de fortune des exilés . Il a recueilli les témoignages et images de volontaires, de membres de l’équipage, d’exilés secourus lors d’opérations de secours délicates. Il nous donne à voir l’attente plombante d’un canot perdu au milieu des vagues, la minutie des opérations de secours bien rodées, le professionnalisme de l’équipage et des bénévoles. Et la détresse implacable de ceux prêts à mourir pour échapper au pire.
Le deuxième documentaire projeté « Un village de Calabre » de Shu Aiello et Catherine Catella poursuit le parcours des exilés à Riace, où le maire en décidant de céder des logements vides à ceux qui avaient besoin d’un toit à fait de son village le premier à accueillir dignement . De nouvelles approches, de nouvelles valeurs communes émergent, comme en réponse aux discours politiciens qui surfent sur le populisme et la discrimination.
Dimanche, avec le poignant documentaire « J’ai marché jusqu’à vous » de Rachid Oujdi, le périple des voyageurs sans bagage nous a été montré lors de l’arrivée de certains d’entre eux à Marseille. Rachid Oujdi a choisi de suivre dans leur parcours des jeunes mineurs isolés, soumis à la protection Sociale à l’Enfance.
Le cycle s’est conclu avec le documentaire de Sylvain George « Les Éclats », qui a filmé les migrants bloqués à Calais dans l’attente d’un passage vers le Royaume Uni. Un film qui nous renvoie au pire mais peut laisser de marbre les spectateurs tant le parti-pris est esthétisant.
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SOS Méditerranée, une association soutenue par un élan citoyen
SOS Méditerranée est une association citoyenne qui base son action sur les citoyens bénévoles pour sensibiliser le grand public et mobiliser pour faire des dons qui permettront aux navire l’Aquarius de continuer à effectuer sa mission de sauver des vies en Méditerranée.
Une douzaine d’antennes se sont ouvertes de façon assez spontanée au gré des connaissances des membres fondateurs. Les membres fondateurs sont un capitaine de marine marchande allemand, Klaus Vogel et une humanitaire française, Sophie Beau. C’est la rencontre du monde humanitaire et du monde maritime qui a permis l’émergence de l’association en 2015. Elle a été créée à Berlin en mai 2015 et à Paris en juin 2015. Des italiens ont rejoint l’association en 2016 et en septembre 2017 une branche suisse s’est constituée. Les fonds proviennent essentiellement de France et d’Allemagne.
Bérangère Matta , un des membres fondateurs, a été extrêmement surprise par l’importante mobilisation citoyenne au lancement du projet. Elle savait le défi énorme que ce projet représentait en termes financiers : affréter un bateau et le faire fonctionner nécessite 11000 euros par jour. L’appel à financement participatif a été lancé en septembre 2015 via la plate -forme Ulule et en moins de trois mois 275 000 euros ont été récoltés. Cette somme, inédite sur un temps si court, leur a permis de convaincre l’armateur d’affréter le navire l’Aquarius. Aujourd’hui ce sont les dons privés qui financent essentiellement le projet. EN 2016, 98% des dons étaient privés, dont trois quarts de dons de citoyens, un quart d’entreprises, mécènes et fondations. En 2017 les dons institutionnels ont légèrement augmenté (Mairie de Paris, Région Occitanie). En 2017/2018 plus de 80% des dons restent des dons privés. Il y a 14 salariés uniquement en France.
À bord de l’Aquarius, une équipe professionnelle pour sauver des vies
En tant que membre d’équipage, comment survivre à cette expérience, lorsque l’on ne sait pas si les opérations de sauvetage vont réussir, et que l’on se confronte au quotidien à une telle détresse ? Stéphane Broc’h qui effectue régulièrement des missions en tant que membre d’équipage explique que le choc est énorme. Il se remet dans la vie normale lorsqu’il revient à terre, comme après un accident de voiture : il repart voir la mer avec son œil d’avant , faire de la voile, de la pêche et essayer d’oublier quand il se lève qu’il y a des gens sur les embarcations de fortune et que l’Aquarius va peut-être les récupérer.
Pour lui, sa place était à bord de l’Aquarius, comme une évidence, après un parcours dans le social et dans le maritime. Il avait la compétence en tant qu’officier de marine marchande et adhérait à l’état d’esprit humanitaire.
Les relations avec les garde-côtes italiens sont plutôt courtoises : avec les « anges de la mer » qui les soutiennent dans leur sauvetages, avec les MRCC, centre de secours italien, pour qui ils représentent un appui important. Les 90 garde-côtes libyens, formés et financés par l’Europe depuis mars 2017 naviguent sur quatre bateaux donnés par l’Europe. Leur mission est d’effectuer des sauvetages sur les eaux libyennes, sur la bande des douze miles, et de ramener les personnes en Libye, ce qui est contraire à la convention de Genève de 2001 et aux conventions maritimes internationales. Celles-ci stipulent en effet qu’on ne peut pas ramener des gens dans un port qui n’est pas sûr. Et la Libye n’est pas un pays sûr. Mais l’Europe ferme les yeux et encourage le retour en Lybie des exilés. Stéphane Broc’h exprime son désarroi face à cette situation. Il explique que les relations sont souvent tendues avec les garde-côtes libyens : à chaque sauvetage en leur présence il faut d’abord négocier entre le centre de coordination des libyens à Tripoli, qui n’est pas encore opérationnel et le centre de communication italien. Ce qui peut retarder d’autant le sauvetage. La situation engendre une situation de chaos : les exilés préfèrent souvent se noyer plutôt que de monter à bord d’un navire libyen. Les garde-côtes libyens, armés de kalachnikovs, ont déjà sciemment fait usage de leurs armes, entravé des opérations de sauvetage de l’Aquarius ou d’autres navires civils.
Les passeurs en Libye fournissent parfois des téléphones aux passagers des canots, tenus en joue pour embarquer. Ils appellent aussi parfois le centre de sauvetage italien, jamais les navires de sauvetage directement, pour signaler l’arrivée des canots. Le prix du passage varie, selon les dires des exilés, entre 300 dollars et 3000 dollars pour la traversée de la Libye et le passage. Les exilés sont souvent victimes d’extorsion de fonds : ils sont contraints sous la menace d’appeler les familles restées au pays pour qu’elles envoient des virements bancaires sous peine d’être torturés ou tués.
Les missions sur l’Aquarius durent trois semaines, puis une rotation d’équipe et le réapprovisionnement en nourriture et fuel s’effectuent pendant trois jours.
A bord du navire, onze membres d’équipage (officiers au pont, aux machines, matelots et cuisiniers) dépendent de l’armateur allemand et font tourner le navire. Douze personnes de SOS Méditerranée et huit ou neuf de Médecin Sans Frontière embarquent également, ainsi que quatre journalistes du monde entier qui restent trois semaines.
L’opération de sauvetage la plus importante a recueilli 1047 personnes à bord.
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Les contre-opérations des identitaires d’extrême droite, comme le lancement du bateau C Star, sur le même modèle de financement participatif que l’Aquarius, n’inquiète pas Bérangère Matta. L’objectif était d’entraver les opérations de sauvetage de l’Aquarius et des ONG. Cela a été un échec. Stéphane Broc’h explique que lorsqu’ils ont rencontré le C Star en mer, ils ont appliqué le code maritime, ont effectué quelques manœuvres pour le contourner. Ils les considèrent comme des amateurs qui n’avaient pas les réels compétences et logistique pour aller jusqu’au bout. Les ports grecs et italiens ne les ont pas acceptés, considérant qu’ils entravaient la sauvegarde des vies humaines. Les pêcheurs tunisiens ont fait un blocus du port dans lequel ils souhaitaient accoster.
À Nantes, naissance de la branche locale de SOS Méditerranée
L’antenne nantaise de SOS Méditerranée a ouvert en septembre avec une douzaine de bénévoles. Le premier évènement a eu lieu en décembre, avec une sensibilisation dans un lycée, des débats sur les migrations
Marie Estelle Cissokho, responsable de l’antenne nantaise, se réjouit de l’élan nantais citoyen suscité par le projet de SOS Méditerranée. L’inauguration de l’antenne nantaise aura lieu le 19 juin à Cosmopolis. L’association est sollicitée par des établissements pour continuer le travail de sensibilisation, et sera présente lors de certains temps forts de la région cet été : aux Rendez-vous de l’Erdre, aux Escales de Saint-Nazaire. Elle est ouverte à tout bénévole souhaitant s’investir pour pérenniser le fonctionnement de l’Aquarius grâce à l’organisation d’évènements divers.
Pour Bérangère Matta, le message de SOS, considérer la préservation de la vie humaine comme une priorité absolue, , est rassembleur : chacun peut s’y retrouver, quelle que soit sa sensibilité politique. Et cela explique l’appui citoyen dont l’association bénéficie en France et dans d’autres pays européens.
Site internet de l’association : www.sosmediterranee.fr