Messager était un immense musicien. Également chef d’orchestre, il a dirigé la première de « Pelléas et Mélisande » en 1902. On lui doit aussi des œuvres légères, aux contours pleins de délicatesse, comme « Véronique » (1898), que Fanny Ardant a mis en scène en 2008 au Châtelet, et « La basoche » (1890), qui a été représenté en 1991 à l’Opéra de Nantes. Nous avons rencontré Loïc Boissier, de la compagnie Les Brigands, producteur exécutif de ces « P’tites Michu », aux côtés d’Angers Nantes Opéra et du Palazzetto Bru Zane (Centre de Musique Romantique Française). Il évoque l’histoire de la compagnie, et partage son enthousiasme pour cette rareté à découvrir.
Fragil : Vous êtes l’un des fondateurs de la compagnie Les Brigands, quels en ont été les temps forts ?
Loïc Boissier : C’est une compagnie singulière, qui n’est pas incarnée par des artistes. Même si j’ai parfois chanté, ce n’est pas mon objectif premier, et je me sens davantage un animateur et un producteur. Les Brigands, c’est un peu une auberge espagnole, où j’aime faire circuler des gens toujours nouveaux, chanteurs ou metteurs en scène, en provoquant sans cesse des rencontres. Ces rencontres ont constitué des temps forts, humainement comme artistiquement, mais il est difficile des hiérarchiser. Nous avons commencé au début des années 2000 par des raretés de Jacques Offenbach, « Barbe Bleue », « Geneviève de Brabant » et « Le docteur Ox », qui sont des spectacles fondateurs dans notre histoire. Ils étaient montés avec des bouts de ficelles, mais avec beaucoup de joie et d’insouciance, deux qualités qui vont bien avec ce répertoire. Je souhaitais que le nom de notre compagnie soit pluriel et collectif, tout en évoquant Offenbach ; « Les Brigands », l’un des titres du compositeur, se sont imposés. Il y a enfin eu en 2015 la rencontre avec le Palazzetto Bru Zane, qui nous a ouvert les portes de maisons d’opéras, de Bordeaux, de Rennes, de Limoges ou de Caen, mais aussi le Teatro Malibran de Venise, des théâtres où nous avons toujours gardé le format réduit de nos productions. Nous présentons avec le Palazzetto ces « p’tites Michu » d’André Messager en coproduction avec Angers Nantes Opéra.
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« La compagnie Les Brigands est une compagnie singulière, qui n’est pas incarnée par des artistes. »
Fragil : La compagnie est née peu de temps après la création, en 1999, de la mémorable « Platée » de Rameau mise en scène par Laurent Pelly, à laquelle vous participiez au Palais Garnier dans le chœur des musiciens du Louvre, dirigé par Marc Minkowski. En quoi la folie de ce spectacle a-t-elle nourri les vôtres ?
Loïc Boissier : Il y a effectivement une filiation. De 1994 à 1996, j’étais administrateur de l’Orchestre des Musiciens du Louvre. Avec Marc Minkowski, nous avons créé un chœur dont « Platée » a été le premier spectacle scénique. Dans ce travail avec Laurent Pelly, nous avons tous pris goût au jeu, à la danse et à toute cette folie sur le plateau. Il y a eu ensuite « La belle Hélène » d’Offenbach au Châtelet, avec la même équipe. C’est durant les répétitions que j’ai proposé à 15 chanteurs issus des Musiciens du Louvre de monter « Barbe Bleue ». L’équipe s’est ensuite renouvelée, mais l’esprit de la compagnie est resté le même, dans une ambiance joyeuse et spontanée, sans les moyens de Garnier ou du Châtelet.
« Le succès de « Ta bouche » a été énorme pour une petite compagnie comme la nôtre. »
Fragil : L’un des grands succès des Brigands a été la production de « Ta bouche » en 2004, une opérette de Maurice Yvain (1891-1965) créée en 1922, dans laquelle vous jouiez Jean Leduc. Quelles traces cette rareté vous a-t-elle laissées ?
Loïc Boissier : Le succès de « Ta bouche » a été énorme pour une petite compagnie comme la nôtre. C’est une sorte de miracle dans un répertoire aussi peu repéré. L’équipe était très soudée et nous étions tous sur un petit nuage ; j’en garde un souvenir ébloui. C’est un ouvrage avec peu de personnages, ce qui était pour nous à l’époque une respiration. La musique est à la fois élégante et efficace. Au printemps 2005, Stéphane Lissner, qui était alors à la tête du Festival d’Aix-en-Provence, dirigeait également le Théâtre de la Madeleine à Paris. Il y a programmé 80 représentations de cette opérette, et en a fait un événement, à la période où il apprenait sa nomination à la Scala de Milan. Je me souviens lorsqu’il est entré dans ma loge pour me l’annoncer. Ainsi, ce spectacle a croisé sa route au moment où lui même vivait quelque chose de merveilleux. J’aimerais revenir à Maurice Yvain, et monter « Yes », dont le parolier, Albert Willemetz, est le même que pour « Ta bouche ».
(photos : Elisabeth de Sauverzac)
« C’est une belle histoire comme on n’en vit peu dans ce métier souvent rude. »
Fragil : Angers Nantes Opéra a présenté en 2016 l’un de vos spectacles, « Les chevaliers de la table ronde » d’Hervé (1825-1892). Quel souvenir en gardez-vous ?
Loïc Boissier : C’est une belle histoire comme on n’en vit peu dans ce métier souvent rude. Le Palazzetto Bru Zane m’a fait totalement confiance, j’ai choisi Pierre-André Weitz pour la mise en scène. C’est un homme de spectacle total, également costumier et scénographe, un peu comme Hervé, qui signait souvent ses livrets et chantait lui-même. La rencontre entre le Palazzetto et le metteur en scène a été magique, à tel point qu’ils ont poursuivi cette collaboration en montant avec lui « Mam’zelle Nitouche », du même compositeur, dont ils ont en projet « V’lan dans l’œil » (également nommé « l’œil crevé »). C’est la première fois que cette institution allait sur le terrain de l’opérette. C’était aussi un point de départ pour Les Brigands puisqu’ils ont contribué à ce premier spectacle. Et finalement, l’idée d’enchaîner des débuts, c’est plutôt grisant.
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« Une opérette girly, un peu pop… un spectacle qui fait du bien. »
Fragil : Comment présenteriez-vous « Les p’tites Michu » d’André Messager, et le spectacle que propose Angers Nantes Opéra ?
Loïc Boissier : Avec la compagnie, on parle d’une opérette « girly », un peu pop, avec quelque chose de l’éveil du printemps. On espère que le public sera nombreux à venir partager cet éveil ! Violette Polchi et Anne-Aurore Cochet, les deux jeunes chanteuses qui jouent les héroïnes, sont encore presque inconnues, mais elles sont complètement craquantes. Il y a beaucoup de fraîcheur et de sensualité dans ce qu’elles proposent. Quel dommage qu’il faille rester dans le noir du théâtre pour jouer ça, alors qu’on devrait sortir sur la place Graslin, comme dans « Les demoiselles de Rochefort ». J’assiste aux répétitions avec beaucoup de joie, et c’est un spectacle qui fait du bien. Rémy Barché, le metteur en scène, nous invite à ouvrir le journal intime de deux filles d’aujourd’hui, dans une atmosphère tendre et naïve, avec des dessins et essentiellement du rose.
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« Est-ce que la plus sage doit aller avec le plus sage, et la plus exubérante avec le plus exubérant ? »
Fragil : Qu’est-ce qui vous touche dans cette partition ?
Loïc Boissier : La musique est totalement limpide et parfaite dans son format. Il n’y a pas une mesure en trop et rien n’est bavard. C’est comme dans un grand restaurant où tout est dosé à la perfection ; André Messager est un génie de l’équilibre. Je le rapproche de Mozart, dans sa facilité à nous chatouiller le cœur. Avec trois notes, il trouve un chemin pour partager les émotions de ces gamines. Je m’étonne que cette partition ne soit pas au panthéon du répertoire français, car certains passages atteignent des sommets de sensibilité. On peut voir des similitudes entre l’histoire de cet ouvrage et celle de « Cosi fan tutte » ; il y est aussi question de deux couples que l’on cherche à assortir. Est-ce que la plus sage doit aller avec le plus sage, et la plus exubérante avec le plus exubérant ? Lorsque l’un des couples est en train de se trouver à la fin, il y a un duo particulièrement émouvant.
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Fragil : Vous êtes également directeur de production de La Coopérative. Quels sont les objectifs de cette structure ?
Loïc Boissier : La Coopérative est fondée sur un collectif de quatre scènes nationales : Compiègne, Besançon, Dunkerque et Quimper. Ce sont des théâtres pluridisciplinaires qui veulent se donner les moyens de produire des spectacles lyriques. Je suis animateur des productions, et ne prends aucune décision sans concertation avec les quatre directeurs. C’est dans ce cadre que nous avons produit « Rinaldo » de Haendel, qui a été programmé cette saison par Angers Nantes Opéra. Ce spectacle a été joué 20 fois, et sera repris le 24 août à Sablé-sur-Sarthe. Nous en espérons une autre tournée dans deux ans. En attendant, on va proposer « L’enlèvement au sérail » de Mozart, dans une mise en scène de Christophe Rulhes, un habitué du Grand T à Nantes. On pourra notamment voir cet opéra en janvier 2019 aux Quinconces du Mans.
« Le fait de défendre une telle dérision, dans ce festival glamour, était complètement improbable, un véritable moment de grâce. »
Fragil : Pouvez-vous citer un souvenir particulièrement intense dans votre itinéraire ?
Loïc Boissier : Je pense à un moment en particulier, où la compagnie avait été invitée à se produire au Festival de Spoleto en Italie, dans un adorable petit théâtre à l’italienne. C’était le dernier spectacle où j’ai chanté, en 2013, dans un diptyque composé de deux bouffonneries d’Offenbach, « Croquefer » et « L’île de Tulipatan ». Le fait de défendre une telle dérision, dans ce festival glamour où se côtoyaient des artistes de renommée internationale, était complètement improbable, un véritable moment de grâce.
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Représentations des « P’tites Michu » :
À Nantes
– Mardi 15 Mai 2018 à 20h
– Jeudi 17 Mai 2018 à 20h
– Mercredi 23 Mai 2018 à 20h
– Jeudi 24 Mai 2018 à 20h
À Angers
– Dimanche 10 juin 2018 à 14h30
– Mardi 12 juin 2018 à 20h
À Paris, au Théâtre de l’Athénée
– du 19 au 29 juin 2018