4 juin 2018

« Chair et âme » : la sexualité des ados mise à nue

Jeune auteure de 20 ans, Blanche Martire a publié son deuxième roman intitulé « Chair et âme, l’hypersexualisation des jeunes filles ». Intéressés par ce sujet qui explore la vie sentimentale et les premiers émois sexuels des jeunes adolescentes et adolescents à l’heure d’internet, nous nous sommes plongés dans la lecture de ce récit autobiographique et avons eu la chance d’interviewer l’auteure.

« Chair et âme » : la sexualité des ados mise à nue

04 Juin 2018

Jeune auteure de 20 ans, Blanche Martire a publié son deuxième roman intitulé « Chair et âme, l’hypersexualisation des jeunes filles ». Intéressés par ce sujet qui explore la vie sentimentale et les premiers émois sexuels des jeunes adolescentes et adolescents à l’heure d’internet, nous nous sommes plongés dans la lecture de ce récit autobiographique et avons eu la chance d’interviewer l’auteure.

Il n’a jamais été facile de traverser sereinement l’adolescence. C’est un âge où les corps se modifient, où les caractères se forgent et s’affirment. Cependant, depuis plusieurs années, les adolescents sont soumis, via la publicité ou les réseaux sociaux, à un matraquage d’images dégradantes, humiliantes, violentes voire sexuelles.

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C’est autour de ce thème que Blanche Martire a tiré l’inspiration pour son deuxième roman intitulé « Chair et âme, l’hypersexualisation des jeunes filles » (éditions Fabert). En effet, Louise, Julie, Isabelle et Aurore, amies depuis l’enfance, s’éveillent à l’amour et au désir tout en étant submergées d’images qui sexualisent tout, tout le temps. A l’heure d’internet, elles sont nourries de « culture porn » et assaillies d’images et de mots crus. La noblesse et la pureté des sentiments se noient dans les vidéos et dans les publicités.

« Et l’histoire du mec qui m’a appelée pour qu’on se voie ? Je n’ai jamais su comment il avait obtenu mon numéro, par une copine… Enfin… Bref. Un mystérieux inconnu. Il demande à me voir et on est allé dans un jardin. Une fois arrivés là-bas, il croyait que j’allais le sucer ! J’étais hyper furax. Je voulais passer un bon moment, faire connaissance quoi. On aurait pu être de bons amis, non ? Seulement, les gens sont cons ! J’ai halluciné et lui aussi. « Pourquoi tu veux pas ? Les filles font toutes ça de nos jours. » Je l’ai laissé en plan. »

Ponctué d’images publicitaires à connotation sexuelle, le texte de Blanche Martire mêle les interrogations et expériences sentimentales et sexuelles des quatre collégiennes aux réflexions philosophiques de l’auteure. Les témoignages sont crus, concrets et réels. De quoi vous glacer le sang.

« Il me semble qu’Aurore fut celle qui coucha la première. Pendant les vacances d’été, avec un ami de sa demi-sœur. A treize ans. Une sodomie sans préliminaires. « Je me suis faite défoncer le cul par le pote de ma demi-sœur. Il m’avais aidée à faire mon lit, puis ça a dérapé. C’était pas désagréable, c’est juste que les jours suivants j’avais mal quand j’allais aux toilettes et je marchais en canard. »

Quant aux méditations de l’auteure, elles nous bousculent et nous font réfléchir.

« Avoir me rend victime. Il m’aguiche. Je succombe mais je ne sais plus savourer. Avoir-Avoir-Avoir-Avoir. Ça finit par me donner la nausée. Ça me lave le cerveau. L’être humain devient avoir humain. Je veux un avoir humain sans plus attendre. Qu’a-t-il à me donner ? »

Après avoir terminé ce texte très bien écrit, on prend pleinement conscience de la société dans laquelle évoluent les adolescentes et les adolescents. Une société de consommation prête à dénuder et sexualiser pour vendre, prête à dénaturer la beauté des sentiments pour quelques clicks.

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Interview

Fragil : Quand as-tu commencé à écrire ?
Blanche Martire : J’ai commencé à écrire à l’âge de 14 ans « Et il me dit : Pourquoi tu rigoles jamais Blanche ? » publié aux éditions Fabert, lorsque j’ai été victime de harcèlement scolaire pour raconter mon expérience et sensibiliser. J’étais alors déscolarisée, je suivais les cours du CNED.

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Fragil : Pourquoi as-tu eu envie de t’attaquer à ce sujet, l’hypersexualisation des jeunes filles ?
Blanche Martire : J’ai eu envie d’écrire sur l’hypersexualisation car je suis de cette génération qui baigne dans cette société de l’image qui ne propose qu’un seul type de sexualité : sexiste, mécanique…. Le sexe est formaté et inspiré de la pornographie. Je me sentais agressée par ce matraquage d’images que j’ai voulu dénoncer. J’ai observé également sur les jeunes de mon entourage les conséquences dangereuses en lien avec ce phénomène, des dérives, une perte de la notion de consentement, une baisse d’estime de soi etc… Au moment où je l’ai écrit, personne n’avait conscience du phénomène, j’avais l’impression que les jeunes étaient complètement abandonnés…

Fragil : A quel point ton récit est-il autobiographique ?
Blanche Martire : Mon récit est totalement autobiographique, j’ai décrit tout ce que j’observais : les conversations, les relations des uns et des autres… Je suis la narratrice, Louise dans Chair et âme.

Fragil : Quel accueil a reçu ton livre ?
Blanche Martire : J’ai créé une exposition en lien avec Chair et âme (des photos de publicités décryptées) et cela a beaucoup sensibilisé au sujet. Les parents sont effrayés par le livre, ils préfèrent penser que ce sont des situations extrêmes. Les professionnels sont très intéressés parce qu’il n’y a pas encore d’études sur ce phénomène, et mon livre les met au courant sur ce qui se passe aujourd’hui. Je suis sollicitée pour des conférences et un congrès féministe.

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Fragil : Si les jeunes filles de ton livre sont réelles, comment vont-elles aujourd’hui ?
Blanche Martire : J’ai rompu avec mes anciennes amies, mais le peu que j’en sais c’est qu’elles ont été prises en charge par des psychologues.

Fragil : Maintenant que tu es plus âgée, que penses-tu de la société dans laquelle grandissent les adolescents, notamment avec l’explosion des réseaux sociaux ?
Blanche Martire : Maintenant que je suis plus âgée je pense que j’étais au début du phénomène et que celui ci ne cesse de s’accentuer, j’essaye de recueillir des témoignages de jeunes (garçons et filles) et j’ai des retours inquiétants : des jeux d’action ou vérité qui tournent au viol collectif, des adolescents qui se plaignent qu’à l’école on n’aborde jamais la notion de consentement…

Fragil : Avec le recul, penses-tu que cette hypersexualisation de la société a perturbé ton évolution personnelle ?
Blanche Martire : Oui cela a perturbé ma vie. J’ai notamment ressenti un dégout pour la sexualité et j’ai connu une période bizarre où je ne ressentais plus aucun désir, aucune sexualité. J’étais incapable de déceler de la tension sexuelle, et mes relations étaient platoniques.

Réalisateur de formation, Merwann s’intéresse à la musique, à la littérature, à la photographie, aux arts en général. De juillet 2017 à juillet 2023, il a été rédacteur en chef du magazine Fragil et coordinateur de l'association.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017