Créé en 1996, avant d’être repris en 2003 dans une version en deux parties, « Italienne scène et orchestre » est un spectacle fascinant qui interroge l’opéra en plaçant successivement le spectateur dans la fosse d’orchestre, puis sur scène, pendant des répétitions fictives de « Traviata » de Verdi. Le texte de Jean-François Sivadier, dans sa version actuelle, vient de paraître en un volume aux éditions Les solitaires intempestifs.
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Fragil : Que représente pour vous « Italienne avec orchestre » ?
Jean-François Sivadier : C’est une sorte de manifeste sur le théâtre, mais surtout une aventure exceptionnelle pour les acteurs, avec un rapport particulier au public. Au fil des reprises, c’est devenu un fil conducteur.
« Il vaut parfois mieux rater une note et chanter quelque chose de vivant. »
Fragil : Qu’est-ce qui justement a évolué dans ces reprises ?
Jean-François Sivadier : Le texte vient d’être réédité, dans sa nouvelle version. Il a forcément bougé depuis la première écriture de 1996, et même celle de 2003, d’autant qu’à ces deux époques, je n’avais pas encore mis en scène d’opéras. Le sujet est infini, et on aurait pu, même aujourd’hui, aller encore plus loin. Les questionnements du début n’ont pas vieilli, mais le combat idéologique entre deux chanteuses sur la manière d’aborder le plateau a évolué. Le point de vue de Teresa, qui pensait que le théâtre devait sauver l’opéra, a changé ; elle admet que l’on peut être un très grand technicien du chant, tout en faisant passer une émotion. Au départ, on était plutôt du côté de cette jeune chanteuse, mais elles ont désormais toutes deux raison, même si elles ne sont toujours pas d’accord. Il y a moins cette opposition entre ce qui est vivant et ce qui est technique. Il vaut parfois mieux rater une note, et chanter quelque chose de vivant.
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Fragil : Le fait d’avoir mis en scène « Traviata » en 2011 a-t-il enrichi ce spectacle ?
Jean-François Sivadier : Pas du tout, ce n’est pas un spectacle sur « Traviata », mais sur l’opéra : ce sont en effet deux œuvres sur lesquelles on ne se pose pas les mêmes questions. Lorsque j’ai écrit le texte de départ, je me suis mis dans la peau d’un metteur en scène fictif, qui montait « Traviata », mais ça ne m’a pas éclairé lorsque je l’ai réellement abordé. Par contre, pendant la reprise de 2004 au Théâtre des Amandiers de Nanterre, Nathalie Dessay, qui allait chanter plus tard l’ouvrage de Verdi à Aix*, a vu « Italienne » et semblait persuadée que je devais mettre en scène cet opéra. Récemment, elle m’a dit avoir été troublée de le revoir à Bobigny, après avoir chanté le rôle.
« Chaque fois que je monte un opéra, j’ai l’impression qu’il y a toujours un moment de grâce… »
Fragil : Il y a dans votre texte cette phrase attribuée à Michel Ange, « Je prends le bloc de pierre et je retire tout ce qui n’est pas David », qui nous renvoie à l’idée d’une perfection. Que serait ce « David » à l’opéra ?
Jean-François Sivadier : Chaque fois que je monte un opéra, j’ai l’impression qu’il y a toujours un moment de grâce, qui peut arriver par hasard, parfois dans quelques accords. On se dit que ça vaut le coup de faire ce travail, pour ces instants où l’on touche la pureté. C’est quelque chose d’innommable et de foudroyant.
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Fragil : Quelles sont les formules de votre texte qui vous sont particulièrement précieuses ?
Jean-François Sivadier : Dans la version que nous présentons aujourd’hui, il y a pas mal de choses très drôles qui ont été ajoutées, notamment dans ce que dit le chef d’orchestre. Je pense aussi à ces répliques que s’échangeaient les deux chanteuses. Teresa disait « Ne cherche pas la perfection mais la vie », et la diva lui répondait « Sans perfection, on ne peut atteindre la vie ». Celle-ci affirme maintenant : « Être parfaite sur la technique, c’est le seul moyen d’emporter votre auditoire vers les étoiles ».
« Je me souviens d’une spectatrice qui s’est mise à pleurer au bout d’une demi heure de spectacle. »
Fragil : Quel est votre souvenir le plus fort de toutes les reprises de ce spectacle ?
Jean-François Sivadier : Ce sont surtout des réactions de spectateurs, dont on pourrait faire tout un livre. Je me souviens d’une spectatrice qui s’est mise à pleurer au bout d’une demi heure de spectacle. A la fin, elle a pris Charlotte** dans ses bras et lui a dit qu’elle lui avait donné envie de remonter sur scène : c’était la chanteuse Diane Dufresne. Mais il y a eu des tas d’expériences incroyables avec le public.
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« Ce sont toujours les rencontres avec les chanteurs qui me laissent des traces. «
Fragil : Votre mise en scène de « Don Giovanni », créée en 2017 au Festival d’Aix-en-Provence va être reprise à Bologne, au Teatro comunale, en décembre, avec une distribution différente. Quelles traces ce spectacle vous a t-il laissées ?
Jean-François Sivadier : Ce sont toujours les rencontres avec les chanteurs qui me laissent des traces. Ce qui a été miraculeux à Aix, c’est ce qui se jouait entre Philippe Sly et Nahuel di Pierro en Don Giovani et Leporello, mais aussi Julie Fuchs, incroyable en Zerline, et tous ces instants de bonheur avec toute la troupe, en répétition comme pendant les représentations.
Fragil : Quels sont les autres projets qui vous tiennent à cœur ?
Jean-François Sivadier : A l’opéra, j’adorerais monter « Eugène Onéguine » de Tchaïkovski, et « Don Carlos » de Verdi, dans sa version française, mais j’ai un projet de théâtre pour la saison prochaine : je vais mettre en scène « Un ennemi du peuple » d’Ibsen, qui sera créé au Cargo de Grenoble, avant une série de représentations au Théâtre de l’Odéon à Paris, et une tournée.
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* Nathalie Dessay chantait Traviata dans la mise en scène de Jean-François Sivadier au Festival d’Aix-en-Provence en 2011.
**Charlotte Clamens joue June Preston, la diva.