• Photo de Ziad, franco-libanais de Nantes.
5 décembre 2024

À Nantes, Ziad Farhat témoigne du conflit au Liban : « Que cette guerre ne soit pas qu’un décompte morbide »

Plus de deux mois après le début de l'invasion du Liban par Israël, Ziad, Franco-Libanais à Nantes, explique comment il s'informe et combat les biais médiatiques, pour tenter de relayer une vision plus fidèle de la situation au Sud-Liban.

À Nantes, Ziad Farhat témoigne du conflit au Liban : « Que cette guerre ne soit pas qu’un décompte morbide »

05 Déc 2024

Plus de deux mois après le début de l'invasion du Liban par Israël, Ziad, Franco-Libanais à Nantes, explique comment il s'informe et combat les biais médiatiques, pour tenter de relayer une vision plus fidèle de la situation au Sud-Liban.

Ni historien, ni journaliste, ni géopolitologue, Ziad Farhat travaille dans les énergies renouvelables et citoyennes. Pourtant, ce nantais né au Liban consacre une partie de son temps libre à sensibiliser ses concitoyen·nes français·es sur la situation au Liban, à travers ses réseaux sociaux d’abord, puis en organisant des conférences. Confronté aux biais médiatiques et à la désinformation qui entourent ce conflit, il s’efforce de partager une vision « plus nuancée et fidèle de la réalité » : Rencontre avec un témoin engagé.

Photo de Ziad, franco-libanais de Nantes.

Photo de Ziad Farhat, franco-libanais, sur son lieu de travail à Nantes. © Maxence David / Fragil

Les principaux moyens pour suivre le conflit au Liban

Pour suivre l’actualité libanaise, celui qui avait suivi ses parents en France pour fuir la guerre civile du Liban de 1975 à 1990, s’appuie principalement sur l’information transmise par L’Orient-Le Jour, un quotidien indépendant francophone, établi à Beyrouth. Ce média traite de la géopolitique du Moyen-Orient. Ziad conseille régulièrement ce média aux gens qui souhaitent comprendre la question libanaise : «L’Orient-Le Jour me semble être orienté vers la défense de l’intérêt général du Liban, offrant une vision plurielle, pas confessionnelle, ce qui est assez rare au Liban». Lui et ses proches consultent également des médias arabophones comme Al-Jazeera.

L’actualité arrive également à travers les communications familiales, via les réseaux sociaux (Facebook et WhatsApp), où l’information est diffusée en direct, notamment par l’intermédiaire d’une partie de sa famille, qui vit et subit le conflit au Sud-Liban. Parfois issu de médias du Hezbollah, il confie devoir alors « croiser les sources » pour accéder à une information aussi objective et neutre que possible.

Des biais médiatiques dans la presse occidentale

Ziad a vite cessé de consulter ses sources habituelles dans les médias occidentaux, afin de se « protéger émotionnellement». Il y dénonce «la stigmatisation des populations arabes […], la diffusion de chiffres qui vient déshumaniser les personnes et les angles journalistiques pro-israéliens sous-entendant qu’elles l’ont mérité ». Comme illustration, il évoque l’interview de Nethanyahou par Cnews, le mercredi 23 octobre en direct de Jérusalem.

«Regarder les médias français m’a fait souffrir : vu la manière dont le conflit était traité et caricaturé, l’écart était tel avec ce que je voyais et ce que ma famille vivait, que je ne pouvais plus gérer émotionnellement». Ziad évoque aussi la destruction du patrimoine culturel libanais musulman, comme les mosquées, ou encore des profanations de stèles commémoratives en mémoire des victimes du massacre perpétué par des soldats d’Israël au Sud-Liban à Hula en 1948. Il déplore « l’absence de réaction internationale » face à ces actes, tandis qu’il « imagine le scandale international qu’aurait suscité la profanation de stèles commémorant la Shoah« .

La responsabilité collective d’informer ses concitoyens

Au début du conflit, Ziad n’osait plus sortir, aller au bureau, voir ses collègues. C’est sa famille restée au Liban qui insistera et lui fera prendre conscience de son rôle fondamental, celui d’informer, de relayer ce qui se passe vraiment sur le terrain. « C’était nécessaire de communiquer, d’essayer de rendre les choses un peu concrètes pour mon entourage (…) que ce ne soit pas seulement des informations et des décomptes de gens qui meurent »

Bien qu’il ait utilisé les réseaux sociaux pour partager son émoi, il a constaté une difficulté à se structurer collectivement. Il en attribue la responsabilité, d’une part à l’état de sidération causée par la brutalité du conflit, mais émet l’hypothèse de divergences au sein de la diaspora libanaise, qu’il décrit comme représentative du Liban : « complexe, caractérisée par autant de consensus que de désaccords forts sur certains sujets. […] La communauté chiite a longtemps été discriminée au Liban. Le Hezbollah est venu compensé cette discrimination, mais questionne la souveraineté du Liban, conduisant à des tensions confessionnelles ».

Il nuance cependant ces divergences d’ordre politique, en témoignant qu’une partie de sa famille maronite du Nord-Liban a accueillie l’autre partie chiite, qui fuyait les bombardements dans le sud. Et que cet exemple de solidarité n’est pas un cas isolé : « Cette guerre dans son malheur, nous a rappelé à quel point les liens familiaux sont forts, malgré la distance. »

Pour continuer cet engagement, Ziad Farhat organise plusieurs temps d’échanges sur la question du Liban :

  • Le mercredi 18 décembre, au Trois Francs Six Sous au Pellerin à 19h.
  • En soirée du jeudi 30 janvier 2025, au Solilab.
  • Le samedi 01 février en matinée, avec un stand sur le marché du Pellerin .

Un nantais de 28 ans engagé. Intéressé par la presse et les médias indépendants depuis de nombreuses années, sa récente intégration à Fragil n'est pas un hasard.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017