20 mars 2018

Art Me! : c’est fini !

Sans doute êtes vous déjà passés devant cette vitrine sans prétention, mais l'aviez-vous seulement remarquée ? Saviez-vous qu'il s'y vendait des œuvres originales ? Il y a de cela quelques semaines nous avions rencontré Brice Peter, le fondateur de la galerie Art Me! située 9 Rue de la Barillerie à Nantes, à deux pas des Galeries Lafayette. Sa démarche de démocratisation de l’œuvre d’art, atypique et généreuse nous avait beaucoup intéressés à Fragil. Cet aspect éducation à l’art faisait en effet parfaitement écho à notre éducation aux médias. Nous aimons et défendons cette idée, au cœur de notre démarche, selon laquelle la culture appartient à tous et à toutes. Que nous pouvons nous l’approprier. C’est donc avec dépit, et alors que l’article qui devait la présenter était encore en écriture, que nous avons appris la fermeture de cette galerie pas comme les autres. Les manifestations de 2016 qui quatre mois durant ont mis à mal notre centre ville lui ont porté un coup financier qui s’est avéré fatal. Art Me!, ce lieu iconoclaste qui avait su fédérer public, galeries et collectionneurs, a fermé ses portes le 10 mars.

Art Me! : c’est fini !

20 Mar 2018

Sans doute êtes vous déjà passés devant cette vitrine sans prétention, mais l'aviez-vous seulement remarquée ? Saviez-vous qu'il s'y vendait des œuvres originales ? Il y a de cela quelques semaines nous avions rencontré Brice Peter, le fondateur de la galerie Art Me! située 9 Rue de la Barillerie à Nantes, à deux pas des Galeries Lafayette. Sa démarche de démocratisation de l’œuvre d’art, atypique et généreuse nous avait beaucoup intéressés à Fragil. Cet aspect éducation à l’art faisait en effet parfaitement écho à notre éducation aux médias. Nous aimons et défendons cette idée, au cœur de notre démarche, selon laquelle la culture appartient à tous et à toutes. Que nous pouvons nous l’approprier. C’est donc avec dépit, et alors que l’article qui devait la présenter était encore en écriture, que nous avons appris la fermeture de cette galerie pas comme les autres. Les manifestations de 2016 qui quatre mois durant ont mis à mal notre centre ville lui ont porté un coup financier qui s’est avéré fatal. Art Me!, ce lieu iconoclaste qui avait su fédérer public, galeries et collectionneurs, a fermé ses portes le 10 mars.

Entretien avec Brice Peter, le fondateur de Art Me! , une galerie d’art démocratique

Fragil : Depuis combien de temps existez-vous sur Nantes ?
Brice Peter : Cela fait cinq ans, j’ai ouvert fin mars 2013. J’ai ouvert sur une idée à l’origine de ce que j’aimerais comme galerie (je suis un passionné d’art), de ce que j’aurais aimé trouver comme galerie quand j’ai commencé à m’intéresser à l’achat d’art. Je suis un collectionneur, je connais pas mal d’artistes, et j’ai eu la chance pendant des années avec mon métier précédent de rentrer dans beaucoup de galeries. Mais au début j’étais toujours très embêté par les galeries parce qu’on me posait des questions bizarres, sur mes goûts, du style « quel courant vous intéresse ? » Heu… tous en fait ! Ce qui m’intéresse c’est une œuvre, pas un courant. Le transfigurationisme abstrait m’intéresse beaucoup mais bon… C’était vraiment par rapport à cette approche là, je ne viens pas d’un milieu de collectionneur mais d’un milieu plutôt modeste, ma mère aimait l’art mais sans plus, je me suis construit et c’est par mon goût personnel que je suis arrivé à vouloir acheter de l’art. Du coup je n’avais pas du tout l’étiquette, les connaissances, comment fait-on dans une galerie ?

Fragil : Les galeries sont-elles très codées ?
Brice Peter : A Nantes, nous avons la chance de ne pas trop avoir cette partie là, mais à Paris ou partout dans le monde oui ! Je suis allé à Pékin et c’est exactement la même chose, à New-York, à Londres on retrouve ces codes là. C’est-à-dire que tous les autres commerces sont passés au libre service et les galeries d’art se sont au contraire « élitisées ».

« Art me, ça percute, c’est court, facile à retenir. »

Fragil : Comment avez-vous choisi le nom d’Art Me ! ?
Brice Peter : Ce n’est pas moi, c’est une copine qui me l’a proposé, je cherchais un nom et ça a été jeté comme ça lors d’un brainstorming. Je trouvais cela intéressant parce qu’il y avait le côté d’injonction, de dire « je suis inclus dans l’art ». Ça percute, c’est court, facile à retenir.

Fragil : Quelle était la spécificité que vous vouliez amener ?
Brice Peter : Ce que je voulais c’était de pouvoir rentrer dans une galerie, déjà sans être importuné, sans que l’on me saute dessus, sans que l’on me pose trop de questions. Je ne suis pas verbeux mais plutôt contemplatif, j’aime regarder, j’aime découvrir, j’aime comprendre le travail et puis effectivement si j’ai besoin de compléments, hé bien je demande des compléments ! Je ne suis pas du style à arriver dans une expo et prendre forcément la fiche explicative pour comprendre, j’essaie de comprendre par moi-même d’abord, avant d’aller plus loin. Toujours l’exemple d’une super expo que j’ai vue il y a une dizaine d’années où je suis rentré dans une salle, c’était une installation, une salle blanche avec un climatiseur. Il faisait très chaud à l’extérieur alors je me suis dit ok… il y a un climatiseur, mais la salle blanche, je ne comprends pas. C’était le climatiseur l’œuvre. Voilà. Le froid glacial, le blanc etc… Bon. L’explication quant à elle était très bien écrite. Mais pour moi c’était de la littérature à ce niveau là. Et souvent hélas c’est le cas. C’est bien lorsque c’est complémentaire, et que l’œuvre touche, qu’il y a quelque chose qui se passe, une émotion. Dans l’esprit de l’ouverture de la galerie c’était proposer à un public, qui ne soit pas forcément composé d’avertis, de l’art accessible. Et accessible cela a plein de sens. Facile à trouver déjà, il ne faut pas aller à un endroit spécifique, donc pour moi c’était plein centre ville. C’est aussi accessible en terme de regard, c’est-à-dire qu’on est touché, on a une émotion immédiate sans avoir à consulter les 300 000 fiches qui vont tout nous expliquer.

« Dans l’esprit de l’ouverture de la galerie c’était proposer à un public, qui ne soit pas forcément composé d’avertis, de l’art accessible. »

Fragil : Vous avez conçu votre galerie comme une boutique qui vendrait des cadres, qui n’est pas estampillée « galerie »…
Brice Peter : Exactement. On entre parce que les portes sont ouvertes et qu’on a vu de la lumière. Et puis on se dit Ah tiens c’est quand même… de l’art ! On n’a pas le sentiment de renter dans quelque chose de différent. L’idée c’est que tout le monde puisse rentrer, ait envie de rentrer. Et puis ensuite on se rend compte que ce sont des œuvres d’art, des œuvres uniques ou des tirages limités de photos, de lithos. Et que la personne puisse se dire mais moi aussi je peux ! Parce qu’au moment où elle trouve quelque chose qui lui plait, elle regarde le prix et il est accessible.

 

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Fragil : Quelle est votre gamme de prix et comment l’avez-vous pensée ?
Brice Peter : En fait j’ai regardé ce qui se faisait dans la rue, ici, et je me suis fixé la même gamme de prix en fonction de ce qui se rencontre rue de la Barillerie. Les gens qui viennent dans cette rue s’attendent à rencontrer des « produits » qui sont compris entre 25 et 1000 euros. 1000 euros pour les bijouteries, 25 pour la plupart. Un T-shirt coute 25 euros, un pantalon 100 euros, des chaussures environ 120/150 euros. C’est ce que nous avons dans le quartier et c’est cette gamme de prix que j’ai voulu avoir. Après j’ai trouvé les artistes qui entraient dans cette gamme, mon but n’était bien sûr pas de baisser les prix des artistes. Si j’avais mis mes prix au dessus de 1000 euros les gens se seraient dit que ce n’était pas pour eux puisqu’il n’y a pratiquement rien au dessus de ce prix dans la rue et qu’ils sont bien là pour la rue, et non pas pour la galerie. C’est vraiment cet esprit là, l’accessibilité : ne pas choquer, qu’il n’y ait pas de « ce n’est pas pour moi » mais plutôt « ah oui, à 200 euros c’est tout à fait cohérent par rapport à ce que j’avais l’intention de mettre dans un manteau, des chaussures etc ».

Fragil : Combien d’artistes exposent chez Art Me, et combien vous sollicitent ?
Brice Peter : En tout je travaille avec une cinquantaine d’artistes, une quinzaine pratiquement en permanence, et en tout 20/25 sur lesquels je fais des expos à l’étage. J’ai à peu près 200 artistes par an qui me font une demande, soit en passant, soit par mail…

« Je ne fais pas une sélection par rapport à mes goûts personnels mais par rapport à ce qui va intéresser un public qui rentre ici et qui va le surprendre, comme avec Piloro. »

Fragil : Et quels sont vos critères de sélection ?
Brice Peter : Ils sont très variés. C’est déjà la maturité de l’œuvre. Dans les 200 que l’on me propose, les deux tiers ne sont pas matures. Ou l’artiste n’a pas de technique du tout et essaie de faire des choses ou bien n’est pas arrivé assez loin dans sa démarche. C’est assez rapide à voir et c’est l’essentiel de ce que je vais refuser. Pas assez mature, pas assez abouti que ce soit par la technique ou par la démarche, la progression. Je ne veux pas non plus multiplier le nombre d’artistes, ça ne sert à rien, je ne vais pas en proposer 50, les faire tourner, leur dire que je les accepte à la galerie et puis après au revoir. Mon but c’est de travailler à long terme avec eux et c’est vrai que lorsque je sélectionne un artiste je vois d’abord ce qu’il a fait, j’essaie de voir d’où il arrive et puis j’essaie de discuter avec lui pour voir comment il fonctionne, comment il avance. L’autre question est de savoir si la clientèle que j’ai va être intéressée par ce travail. Au début j’ai essayé d’ouvrir au maximum mais je sais typiquement que les nus, même très sobres, ça ne fonctionne pas par exemple.

Fragil : Pourriez-vous définir votre clientèle ?
Brice Peter : Elle est assez variée mais il y a des « choses » que je sais que je ne vends pas. Je l’ai testé et celles là je ne les retiens pas. Les photos, j’ai essayé, je ne les vends pas. Aujourd’hui j’ai quelques photos mais c’est plutôt autour de Nantes parce que c’est ce que je vais pouvoir vendre. Cela ne sert à rien que j’embête un artiste à produire, à présenter quelque chose si je sais que j’ai déjà essayé le même style, qu’on est dans le même esprit et que je ne le vends pas. Je sais aussi que je peux prendre des risques quelque part, typiquement pour moi Piloro (article paru sur Fragil), c’est un artiste qui est différent. Pour lui je peux prendre un risque. C’est-à-dire que je ne mets pas en péril la galerie comme dans une galerie d’art classique qui va exposer un artiste pendant un mois. Je ne prends pas de risque par rapport à son travail. Je le présente car moi ça m’intéresse, il est très abouti dans la démarche. Une vraie démarche mature, qui propose quelque chose de différent avec une couleur, un esprit différent. Là je peux, je trouve que c’est intéressant. Après il y a des artistes qui font ce que j’ai déjà présenté ou proche de ce que je présente déjà et je sais que cela ne fonctionnera pas et ce sont deux choses différentes. Je ne fais pas une sélection par rapport à mes goûts personnels mais par rapport à ce qui va intéresser un public qui rentre ici et qui va le surprendre, comme avec Piloro. Je vois un regard clientèle sur son travail qui se dit « tiens ça c’est différent, c’est intéressant ». C’est ce regard que je veux capter, et je vais insister peu importent les ventes. Typiquement pour moi Piloro c’est un artiste complet. C’est-à-dire qu’il vient de quelque part, il a une recherche, il a une démarche réelle qui n’est pas formulée parfois mais ce n’est pas grave. On ressent son fil rouge. Il y a ceux qui arrivent avec un CV où leur démarche est parfaitement formulée et quand on regarde leur travail on se dit qu’on n’est pas sûr que cela corresponde, on ne voit pas la cohérence, on ne comprend pas l’envie qu’ils ont derrière. Chez Piloro, on retrouve cette matière, cette envie de matière. C’est intéressant, avec cette délicatesse. Du coup il y a quelque chose qui se crée, qui évolue, qui s’affermit. C’est ce que je recherche dans un artiste. Une identité, une réelle identité. C’est fou le nombre d’artistes qui n’ont pas cette identité.

« Il y a une vraie vie de galerie à Nantes. »

Fragil : Comment êtes-vous perçu par vos confrères galeristes ?
Brice Peter : Relativement bien maintenant. J’ai lancé il y a 4 ans avec un collègue l’association des galeries nantaises, Art Galerie Nantes, dont je suis président. Nous sommes 16 galeries sur les 26 nantaises, et nous faisons la Nuit des galeries tous les ans. Globalement je suis bien perçu parce qu’ils comprennent que je ne suis pas un concurrent. Je suis ingénieur de formation et j’aime bien aussi tout ce qui est marketing même si je n’en ai jamais fait en tant que tel, mais j’aime bien concevoir ce qui a marché. Lorsque je fais un projet que ce soit en logistique ou pour une galerie, je le structure. Je veux dire ce qui est marketing dans le sens étude de marché, mon but c’est d’être en accès, la porte d’entrée facile. Ensuite si les gens veulent aller plus loin je n’ai pas forcément la place mais je vais leur indiquer d’autres gens qui sont mes collègues, je ne peux pas tout présenter.

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Je voulais intéresser les gens à l’art, et pour ce faire il faut un réseau avec les autres galeries. Contrairement à d’autres métiers le nôtre est de montrer qu’il y a une offre, et de promouvoir l’offre. La demande n’existe que s’il y a une offre. On n’est pas dans l’inverse, c’est cela qui est intéressant. Quand j’ai ouvert il y a bientôt cinq ans les gens disaient qu’il n’y avait plus de galeries à Nantes. Moi j’en connaissais 28, lieux d’exposition ou galeries. Il n’y a plus de galeries à Nantes, ce n’est pas possible ! Aujourd’hui il n’y en a plus que 26, certaines ont ouvert, d’autres ont fermé, peu importe. Il y a une vraie vie de galerie à Nantes. Avec un autre collègue qui a revendu, nous avons voulu nous réunir pour essayer de montrer qu’on existe. Montrer qu’il y a une offre que les gens peuvent découvrir de manière globale. Nous avons créé un collectif au départ avec une quinzaine de galeries et nous avons monté l’association des galeries avec 16 galeries aujourd’hui qui éditent un petit fascicule, un petit guide d’Art Galerie Nantes qui regroupe tous les membres de l’association : galerie Albane, Montesquieu, Gaïa, Rez de chaussée, et bien sûr Art Me !, Perrine Humeau qui fait de l’art brut… Il y a tous les styles de galeries, de la galerie d’artistes avec 21 grammes ou Prisme jusqu’à Toulouse Lauwers qui a deux ans maintenant et qui propose les artistes internationaux. Le but c’était vraiment de dire regardez, il y a énormément de styles de galeries à Nantes! On est très nombreux et on offre quelque chose de très divers. Après avoir édité ce guide on a voulu créer un événement pour marquer les esprits et se dire que finalement il y a une vraie vie. Du coup on a créé la nuit des galeries qui a lieu tous les ans en avril de 20h à minuit, ce sera la troisième édition cette année. La première année nous avons basé toute notre communication sur oser pousser la porte d’une galerie, oser rentrer, et nous avons eu finalement plus de 5000 passages, j’ai eu plus de 1000 personnes ici, ça fait du monde ! Ce que nous voudrions c’est que les gens viennent voir les galeries et se disent les galeries, ce n’est pas ce qu’on pensait. Parce qu’essentiellement le retour que l’on a des gens qui ont fait la nuit des galeries, qui ont fait plusieurs galeries alors qu’ils n’en connaissaient qu’une, c’est que nous sommes tous différents, nous proposons tous des choses différentes. Ils n’auraient jamais pensé qu’il y avait autant de choses intéressantes à Nantes, et c’est ce que nous voulons. Notre but à nous, contrairement aux autres magasins commerciaux, même si on est commerçants, n’est pas de vendre un produit mais de présenter l’univers d’un artiste. Et en même temps de permettre aux artistes d’avoir un peu d’argent parce que cela les aide bien ! (rires). Dans notre environnement il faut qu’ils gagnent de l’argent, qu’ils paient leur matériel.

Fragil : Vouliez-vous créer des vocations de collectionneur ?
Brice Peter : C’est ce dont j’ai envie. Mon but c’est d’avoir un étudiant ou un jeune actif qui rentre ici, qui va acheter une première œuvre, ce que j’ai déjà eu, qui va en acheter une deuxième, une troisième et qui ira acheter peut être une œuvre à plus de 1000 euros d’ici quelques temps, c’est mon but. Il n’y avait pas ce chainon, cette étape pour commencer. On n’avait pas cela présent à Nantes.

« Vivez avec une œuvre originale vous allez voir c’est addictif, la meilleure des addictions. »

Fragil : Cela existe t-il ailleurs ?
Brice Peter : Oui, cela existe par d’autres galeries effectivement, il y a des gens comme Carré d’artiste qui font cela dans la région parisienne, à Aix en Provence. J’ai vu ça la première fois sous le nom de Bazar dans les années 1999/2000 aux galeries Lafayette. Ils avaient fait un corner temporaire où ils présentaient des œuvres accessibles, petites. Je m’étais dit que c’était vachement intelligent parce que du coup les gens peuvent s’acheter une œuvre originale d’un artiste, facilement. Ils vont aux galeries Lafayette pour acheter des vêtements et finalement ils repartent avec une œuvre…

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Fragil : N’est-ce pas un peu addictif de posséder une œuvre originale ?
Brice Peter : Vivez avec une œuvre originale vous allez voir c’est addictif, la meilleure des addictions. Elle est intéressante parce qu’elle projette plein de choses. Ma première œuvre je l’ai achetée à 23 ans avec mon premier salaire. Un truc très classique, plutôt symbolique, assez difficile à décrire, un artiste absolument inconnu. C’était vraiment par hasard. Évidemment je la vois différemment aujourd’hui qu’à l’époque, on grandit aussi et on y projette des choses différentes. Par rapport à une reproduction ou même par rapport à une œuvre connue, des gens vous disent ce qu’il faut y voir et vous y voyez autre chose dans une œuvre originale. C’est vous qui voyez quelque chose. Finalement l’artiste n’a peut être pas voulu mettre tout ça mais quelque part il a transmis quelque chose, c’est un bébé. Qui grandit lui-même. On se l’approprie, on y voit des choses, c’est vraiment un bébé mis au monde qui grandit dans la famille qui va l’accueillir. A des moments peut-être qu’on s’en lasse, puis on les redécouvre, c’est très étonnant. Et cela on ne peut pas l’avoir avec quelque chose d’inerte.

« C’est l’art plaisir que j’ai envie de promouvoir. »

Fragil : Êtes vous investisseur, pourriez vous spéculer et revendre une œuvre qui a pris de la cote par exemple ?
Brice Peter : Non, ça ne m’intéresserait pas. A la rigueur je me fiche que l’artiste devienne connu ou pas, c’est l’œuvre que j’ai achetée, j’aimerais bien qu’il devienne connu parce que cela me ferait plaisir pour lui mais ça s’arrête là. Je réponds souvent à des acheteurs potentiels qui me disent qu’à ce prix là cela ne vaut le coup que si l’œuvre prend de la valeur, d’aller acheter un ticket de loto. Ils ont plus de chances. L’art investissement c’est un autre métier. C’est l’art plaisir que j’ai envie de promouvoir. L’art investissement il faut acheter déjà cher, très cher parce que si l’artiste ne vend assez cher il ne pourra pas progresser, et vous risquez de perdre beaucoup s’il ne progresse pas. Il faut beaucoup d’argent pour être art investisseur, ou bien faire comme des chinois que j’avais rencontrés qui achetaient des parts d’œuvres d’art. C’est très intéressant financièrement mais je ne vois aucun intérêt à cela. C’est un business. On n’est plus dans l’art. L’œuvre est où, dans un coffre ? Quel est le but de l’œuvre dans ces cas là, qu’on m’explique. Autant que le Louvre ne soit que les réserves ! Pour moi cela fait partie de ces aberrations autour de l’art. Ce qui me fait plaisir c’est de regarder les œuvres, de les comprendre, de les analyser, de voir comment elles ont été faites, ce qu’elles font ressentir. Finalement le seul intérêt de l’art c’est de provoquer une émotion. Une émotion qui va varier dans le temps. Quand elle est trop immédiate parfois elle est fugace. C’est comme cela que je recherche les artistes, que l’émotion qu’ils provoquent soit longue, que l’on découvre et redécouvre des choses à l’intérieur, qu’il y ait plusieurs angles d’approche, qu’il y ait un regard long.

 

 

Communicante passionnée de contact et d'expériences humaines, d'art et de culture : théâtre, cinéma, et expositions

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017