• ohn Singer Sargent (1856-1925), Ellen Terry en Lady Macbeth, 1889. Tate Britain, Londres. © Tate, London 2016
21 octobre 2016

« Tout art est parfaitement inutile »

« Tout art est parfaitement inutile »

21 Oct 2016

Alors que deux expositions londoniennes célébraient en 2000 les cent ans de la mort d’Oscar Wilde, aucun hommage de ce genre n’avait été organisé à Paris, où l’esthète est décédé. Voilà l’oubli réparé par cette grande rétrospective se tenant au Petit Palais jusqu’au 15 janvier 2017 et qui plonge le visiteur, par le prisme Wilde, au cœur de l’époque victorienne.

Rythmée par les aphorismes du dandy anglais, un parfum de douce provocation fin de siècle flotte : « On peut pardonner à un homme de faire une chose utile tant qu’on ne l’admire pas. On n’a d’autre excuse lorsqu’on fait une chose inutile que de l’admirer intensément. Tout art est parfaitement inutile ». Car Oscar Wilde est avant tout un amoureux du beau, lui qui a suivi l’enseignement du professeur John Ruskin. Fervent défenseur des peintres préraphaélites qui se réclament de la moralité des peintres primitifs italiens, et influençant le mouvement Arts and Crafts qui prône un retour à l’artisanat, cet écrivain et critique d’art sera un maître pour Wilde, qui s’entoure des plus belles porcelaines, représente et loue les artistes les plus en vue. A noter l’exposition d’un magnifique portrait de la comédienne Ellen Terry en Lady Mac Beth par John Singer Sargent, prêt de la Tate Gallery et accueillant le visiteur dans un premier espace bleu roi. D’autres œuvres du courant préraphaélite, moins impressionnantes, illustrent la mission critique de Wilde à la Grosvenor Gallery de Londres en 1877 et 1879. Malheureusement sans le Nocturne avant-gardiste de Whistler représentant un feu d’artifice, et violemment esquinté par Wilde (et Ruskin), les Nocturnes « valant certainement la peine d’être regardés aussi longtemps qu’on regarde une vraie fusée, c’est-à-dire un peu moins d’un quart de minute ». Un poète provocateur pourtant réfractaire à une forme de modernité donc.

[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2016/10/17.A_BEARDSLEY_Salome-gimp.jpg » credit= »Collection Merlin Holland » alt= »Aubrey Beardsley, J’ai baisé ta bouche Ioka-naan, The Studio, n°1, avril 1893. Collection Merlin Holland » align= »center » lightbox= »on » caption= »Aubrey Beardsley, J’ai baisé ta bouche Ioka-naan, The Studio, n°1, avril 1893.
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Le parcours chronologique réunissant 200 œuvres (manuscrits, photographies, dessins, caricatures, effets personnels, tableaux…) nous mène des États-Unis pour une tournée de conférences, en France. Dans cette dernière section, des éditions dédicacées par Wilde dessinent autour de lui un cercle d’amis parmi l’avant-garde artistique de l’époque : Jacques-Émile Blanche, André Gide, Toulouse-Lautrec, Verlaine, Mallarmé, Hugo…Francophile, Wilde ira jusqu’à rédiger une pièce de théâtre en français, Salomé, censurée à sa publication. L’édition est illustrée par les gravures sèches et sinueuses, délicieusement décadentes, du jeune Aubrey Beardsley, dont 17 planches sont présentes à Paris.

En 1891, l’écrivain entame une relation amoureuse avec Alfred Douglas : des photos de son épouse et de ses enfants côtoient celles de son amant, son cercle d’intimes. Pourtant cette passion amoureuse, outrage aux bonnes mœurs de l’époque, lui vaudra d’être traité au-delà de l’humain, jugé et condamné à deux ans de travaux forcés. C’est ce qu’évoque la dernière partie de l’exposition, au travers d’un précieux témoignage filmé : Robert Badinter remonte aux condamnations réservées aux sorcières sous l’Ancien Régime pour terminer son exposé par le procès et l’incarcération d’Oscar Wilde auquel il consacre la pièce C.3.3.. Et d’asséner : « Toute justice est relative, c’est pourquoi elle ne doit pas attenter à la personne humaine. »

Sandrine Lesage / Octobre 2016

 

Sans la musique (et l'art), la vie serait une erreur. Passionnée par le rock indé, les arts visuels et les mutations urbaines, Sandrine tente de retrouver l'émotion des concerts, de restituer l'univers des artistes et s’interroge sur la société en mutation.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017